Balado États de service : Le décryptage | l'Encyclopédie Canadienne

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Balado États de service : Le décryptage

La série de balados États de service est présentée par le Projet Mémoire, un programme d’Historica Canada. Dans cette série, nous vous présenterons des entrevues avec des vétérans canadiens –leurs vies, leurs pertes et leur service militaire – afin de construire un portrait des expériences de prisonniers de guerre canadiens. (Cliquez ici pour la série au complet.)

Transcription

Anthony Wilson-Smith: Bonjour. Je m’appelle Anthony Wilson-Smith, je suis le président et chef de direction de Historica Canada. La façon dont nous voyons le monde aujourd’hui est largement influencée par notre passé, à la fois par ce qui a été bon et néfaste. Et c’est là qu’interviennent nos baladodiffusions. Des balados comme la série sur les pensionnats indiens, une série en trois parties créée pour honorer les histoires des survivants, de leurs familles, des communautés, ainsi que pour commémorer l’histoire et l’héritage des pensionnats indiens du Canada.

Riley Burns: « Je ne voulais pas être un Indien. Je ne savais pas qui je voulais être. Je n’étais pas accepté par l’homme blanc et je n’étais pas accepté par mon propre peuple dans ma réserve. »

AWS: Abonnez-vous aux baladodiffusions de Historica Canada pour pouvoir plonger profondément dans notre passé. Vous pouvez écouter la série « Pensionnats indiens » sur Apple Podcasts, sur Spotify, ou partout où vous obtenez vos balados. Ne cessez jamais d’en apprendre davantage.

ANNONCE: En 1971, le Canada est devenu l’un des premiers pays du monde à adopter une politique officielle de multiculturalisme. Elle visait à préserver les libertés culturelles et à reconnaitre les contributions de divers groupes à la société canadienne. Aujourd’hui, le multiculturalisme est une caractéristique déterminante de l’identité canadienne, mais durant une grande partie de notre histoire, cela n’a pas été le cas. Écoutez Trouver sa place : une série en cinq parties de Historica Canada. Joignez-vous à nous pour explorer l’histoire du multiculturalisme au Canada. Abonnez-vous à Trouver sa place sur Apple Podcasts, Spotify, ou partout où vous obtenez vos balados.

Dorothy Lincoln: « Tu sais, j’ai compris ce que vous faites ici. Il y a l’armée, la marine, l’armée de l’air, les civils, je crois que tu es décodeuse. » J’ai failli mourir sur place et je me suis dit : « Mais qu’est-ce que je vais lui dire ? ».

Maia Foster: Bienvenu à États de service, une baladodiffusion présentée par Historica Canada. Dans cette série, nous vous présentons des entrevues avec d’anciennes combattantes qui nous racontent les histoires de leur vie, de leurs pertes, et de leur service. Dans l’épisode d’aujourd’hui : Le décryptage.

Nous commençons à Bletchley Park, un manoir victorien situé à environ 80 kilomètres de Londres, en Angleterre. À partir de 1938, ce domaine de 50 acres est devenu la station principale pour le Governement Code et la Cypher School. Au début de la Deuxième Guerre mondiale, 200 personnes travaillaient à Bletchley Park, des experts en mathématiques, en mots croisés, et aux jeux d’échecs, tous embauchés pour décrypter les messages codés des ennemis.

Beryl Howe: « La plupart d’entre eux venaient de la Oxford University ou de Cambridge University. »

MF: Vous écoutez Beryl Howe, l’une des décodeuses de Bletchley.

BH: « La plupart étaient des mathématiciens ou des gens qui avaient une sorte de vision latérale, en ce sens qu’ils pouvaient voir un problème et le regarder sous un angle différent de l’angle normal habituel. C’était des gens qui pouvaient faire des mots croisés codés en un rien de temps. Ces gens avaient des compétences mathématiques élevées.

Elizabeth Burnyeat :  « À Bletchley Park, il y avait toutes sortes de personnes étranges, de toutes les nationalités, de différents types d’uniformes, et elles faisaient toutes sortes de choses différentes. Personne ne savait ce que les autres faisaient. »

MF: Vous venez d’entendre Elizabeth Burnyeat, une ancienne combattante décodeuse qui travaillait à Bletchley. À fin de l’année 1944, le personnel est passé à près de 10 000 personnes qui travaillaient 24 heures sur 24 en trois équipes. Plus des deux tiers du personnel étaient des femmes.

Dorothy Lincoln se souvient d’avoir eu cette mystérieuse opportunité lorsqu’elle a demandé à se joindre au Women’s Royal Naval Service (aussi reconnu sous le nom de Wrens).

Dorothy Lincoln: « Je suis allée passer cette entrevue et j’ai dit : « Je voudrais vraiment me joindre aux Wrens. » Il m’a posé des questions sur ma vie, et a dit : « Je crois que j’ai l’emploi parfait pour vous. » J’ai dit : « Oh ! Qu’est-ce que c’est ? » Je n’avais que 18 ans à l’époque. Il a dit : « Hé bien c’est la chose la plus importante, et cela contribue énormément à l’effort de guerre ! » Je me suis dit : « Mon Dieu, je n’ai que 18 ans. Que pourrais-je bien faire qui contribuerait autant à l’effort de guerre ? » Alors je lui ai dit : « Est-ce que je peux vous poser quelques questions ? » Il a dit : « Bien sûr ! » J’ai dit : « Est-ce que c’est dangereux ? » Je veux dire, je me voyais transformée en espionne ou quelque chose du genre. Il a dit : « Non, non, c’est le poste le moins dangereux. » Et j’ai dit : « Mais si c’est un secret, que vais-je dire à ma famille ? » Il a dit : « Dites-leur simplement que vous faites du travail de bureau. » Et bien sûr, d’une certaine façon, c’est ce que c’était. Cela impliquait un peu de mathématiques, alors c’était bien. À ce moment-là, j’étais si curieuse, et je n’avais aucune idée de ce que ça pouvait bien être, alors j’ai dit : « Comptez sur moi ! »

MF: Dorothy a travaillé avec des machines de décryptage, incluant un ordinateur de décryptage connu sous le nom de Colossus.

DL: « Vers la fin de la guerre, nous en étions à déchiffrer 90 000 messages par mois. Le gouvernement employait un énorme personnel pour examiner et décider de ce qui était important ensuite, de quels messages avaient de l’importance pour aider le gouvernement, et pour Churchill plus particulièrement, parce que c’était son propre bébé d’abord, pour l’aider à diriger la guerre. Et vers la fin, parfois nous recevions des informations avant même que le haut commandement en Allemagne ne les découvre ! Et nous avions des auditeurs dans le monde entier ! »

MF: Les machines de décodage de la Deuxième Guerre mondiale étaient incroyablement efficaces, même selon les normes d’aujourd’hui. Dorothy se souvient d’un défi de décryptage qui a eu lieu en 2007.

DL : « Le gouvernement allemand a sorti une machine Enigma du musée et a envoyé trois messages codés à Bletchley, alors Colossus se trouvait en compétition avec une équipe d’experts qui avaient des ordinateurs modernes. Colossus a déchiffré deux messages dès la première journée, et le troisième le lendemain matin. Et aucun de ceux qui travaillaient avec les ordinateurs ordinaires, enfin, pas ordinaires mais modernes, n’ont réussi à déchiffrer les messages. »

MF: Durant les trois premières années de la guerre, le Special Operations Executive exploitait également la Station X à Bletchley. Le SOE avait été créé pour promouvoir le sabotage et la subversion derrière les lignes ennemies. Il comprenait des douzaines d’écoles de formation à travers le monde, y compris au Camp X du Canada.

Officiellement nommé Special Training School 103, Camp X, le site de déchiffrage de codes était situé sur la rive nord du lac Ontario, entre Whitby et Oshawa. Son centre de communication radio abritait un émetteur à haute vitesse nommée Hydra. Hydra traitait le trafic entre Bletchley Park et l’armée et la marine américaines. Isobel Duclos travaillait au Camp X.

Isobel Duclos : « Je travaillais au Camp X et tout ce que je faisais c’était d’envoyer des messages en Grande-Bretagne, j’en recevais et les remettais à mes supérieurs. C’était top secret. Nous ne devions pas en parler. Nous étions autorisées à rentrer chez nous, mais un Provo nous conduisait à la station, venait nous chercher, et nous ramenait. Nous étions situés tout juste au nord du lac Ontario. Ils formaient des espions là-bas, où j’étais. Remarquez, je n’étais pas avec les espions, mais c’était là où ils les formaient. Et ils devaient faire toutes sortes de choses pour leur formation, et ensuite, nous sommes arrivées, nous les army girls sommes arrivées, et nous avons pris le relais à partir de là. Nous envoyions simplement des messages en Grande-Bretagne et eux nous en renvoyaient. Mais ceux qui étaient espions, ils allaient à différents endroits en Grande-Bretagne, mais nous ne pouvions pas parler d’eux. »

MF: En 1943, Evelyn Davis s’est jointe au Service féminin de l’Armée canadienne, ou le CWAC.

ED: « J’en savais beaucoup sur le code Morse et la radio avant de m’enrôler, et étant jeune et téméraire, je voulais retourner à Orilia, donc j’ai demandé un transfert. On me l’a accordé et je suis allée à Trinity Barracks à Toronto, m’attendant à retourner à Orilia. À cette époque, les agents de formation du Camp X, une école de formation en espionnage et un centre de communications, ont cessé leurs activités de formation vers la fin du mois d’avril ou au début de mai, et le Camp X est entièrement devenu un centre de communications. J’ai été envoyée à un bureau au coin de la rue Yonge et de la rue King, et j’ai été interviewée par le major Justin. Quelques jours plus tard, le 1er juin 1944, trois CWAA ont embarqué dans un véhicule de l’armée et ont été conduites au Camp X de Toronto. Notre premier aperçu a été un groupe de bâtiments entourés d’une clôture, avec des gardes aux portails. »

« Mon premier emploi était en tant que télétypiste sur un téléscripteur. J’ai plus tard travaillé sur une machine Kleinschmidt qui ressemblait à une vieille machine à écrire avec une bande. J’ai passé la majeure partie de mon temps sur la machine Baume. Nous envoyions et recevions du trafic en Angleterre, New York, et Washington. Nous travaillions 365 jours par années, 24 heures sur 24, et nous avions plusieurs quarts de travail, de huit à quatre, de quatre à douze, et de douze à huit, ainsi que quelques quarts de relève. Ce n’est que bien des années après la guerre que nous avons appris que c’est à Bletchley Park que nous transmettions. Tout le trafic était en groupe de cinq lettres et l’anglais simple n’était jamais utilisé. »

MF: Pour accepter un emploi en décryptage, il fallait signer la Loi sur les secrets officiels, un document qui engageait la personne le signant au secret absolu.

ED :  « Le secret était bien gardé. Jusqu’à après la guerre, ma famille n’a jamais su où j’étais et ce que je faisais. »

MF: Margarita Trull, qui travaillait à Bletchley Park, a dû se taire encore plus longtemps.

Margarita Trull: « Tout d’abord, nous avons prêté serment en vertu de la War Secrets Act pour une durée de 90 ans. Je n’ai pas encore atteint cet échéancier, mais il y a certaines choses qui doivent être gardées secrètes, et je ne suis jamais certaine à 100 % de ce que je peux dire ou ne pas dire. Parce qu’à l’époque, si nous avions divulgué quoi que ce soit, nous aurions pu être envoyées dans un camp de détention, ou, croyez-le ou non, ils nous ont dit que nous serions possiblement fusillées ! Nous avons fait très attention de n’en parler à personne. Ma mère est décédée sans savoir ce que je faisais. »

MF: Elle a dit qu’elle ressent toujours de la pression sur le fait de garder certains des aspects de son travail secrets. Ses 90 années de secrets d’État expireront en 2030. Ce contraignant secret a créé de l’anxiété chez plusieurs décodeuses. Cela signifiait que peu d’entre elles ne pouvaient révéler leurs rôles importants dans la guerre, et ce même à leurs proches.  

DL: « Ils nous ont dit : « Vous devez réaliser que ceci est absolument secret. Vous ne devez en parler à qui que ce soit, et surtout pas à vos proches ou à votre petit ami, ou à qui que ce soit qui sert dans l’armée, parce que s’ils étaient faits prisonniers, ils pourraient être torturés pour des informations. » Ils nous ont dit que si nous en parlions à qui que ce soit, si nous brisions notre promesse, nous serions condamnées à une amende de 2000 livres, et nous irions en prison durant deux ans. » 

« Évidemment, nous étions toutes horrifiées, nous avions même peur d’en parler dans notre sommeil. Je n’en ai jamais parlé à personne. »

MF: Une fois, Dorothy Lincoln est passée très près d’être découverte. 

DL :  « Mon mari était très intelligent, et il avait l’habitude de venir me rencontrer s’il avait un congé et que je n’en avais pas, et il venait aux portails de Bletchley. Il m’a dit : « Tu sais, j’ai compris ce que vous faites ici. Il y a l’armée, la marine, l’armée de l’air, les civils, je crois que tu es décodeuse. » J’ai failli mourir sur place et je me suis dit : « Mais qu’est-ce que je vais lui dire ? » Alors j’ai dit : « Hé bien, comment ferais-je cela ? Je ne parle pas allemand. » Et il a dit : « Ah oui, c’est vrai. »

MF: En raison de la nature top secrète de leur travail, les postes de décryptage, qui sont surtout occupés par des femmes, étaient décrits au monde extérieur comme étant des emplois de bureau. Des termes comme « rédactrice » ou « secrétaire » étaient communs. Par conséquent, les curriculums vitae des décodeuses ne reflétaient pas leurs compétences ou leur expérience, et leurs contributions à l’effort de guerre ont été méconnues pendant de nombreuses années.  

DL : « Comme personne ne savait réellement ce qui était accompli en décodant, personne n’a été reconnu à leur juste valeur ! Vous savez, ces personnes n’étaient pas reconnues comme étant celles qui avaient réellement changé le cours de la guerre. Et Churchill nous a surnommées « les oies qui ont pondu l’œuf d’or et n’ont jamais gloussé. » Je trouve ça adorable ! »

« Et si notre quart de travail était responsable pour quelque chose de merveilleux ou pour une victoire, ou pour avoir fait couler un navire ou quelque chose du genre, ils venaient nous le dire : « C’est votre quart qui en est responsable ». Et nous nous écrions : « Hourra ! Hourra ! » Mais ils ne nous ont jamais offert à boire pour fêter cela. »

MF: Il était entendu qu’un bon nombre des femmes qui avaient été au premier rang de la technologie informatique et qui avaient accompli un travail crucial en contribuant à gagner la guerre retourneraient à leurs rôles féminins traditionnels.  

DL: « Tout le monde a fait quelque chose, les femmes ont simplement contribué à prendre le dessus. Et lorsque la guerre a été terminée, ils ont dit : « Hé bien, maintenant vous devez partir et retourner à vos petites maisons, parce que les emplois sont dorénavant pour les hommes. » Alors c’est à ce moment que nous avons commencé à nous rebeller un peu et à faire une différence. C’est un tout autre monde pour les femmes maintenant. »

MF : États de service est une production du Bureau des orateurs du Projet Mémoire et ses archives, qui met en relation des anciens combattants et anciennes combattantes ainsi que des membres des Forces canadiennes avec des groupes scolaires et communautaires, d’un océan à l’autre. Le Projet Mémoire a été rendu possible en partie grâce au gouvernement du Canada. Nous sommes un programme de Historica Canada, un organisme à but non lucratif qui offre des programmes que vous pouvez utiliser pour explorer, pour apprendre, et pour réfléchir à l’histoire canadienne, ainsi qu’à ce que cela signifie d’être Canadien.

Visitez leprojetmemoire.com pour parcourir nos archives d’entrevues, ou pour réserver la visite d’un orateur pour votre salle de classe ou pour un événement communautaire. Si vous êtes un ancien combattant ou une ancienne combattante ou un membre actif des Forces canadiennes, veuillez communiquer avec nous pour savoir comment devenir orateur. 

Si vous avez aimé cet épisode et que vous aimeriez en apprendre davantage sur l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, visionnez les Minutes du patrimoine sur la page YouTube de Historica Canada.

Le texte supplémentaire pour cet épisode provient de notre programme connexe, L’Encyclopédie canadienne. Vous pouvez trouver des liens vers leurs articles sur le Camp X, sur le renseignement et l’espionnage, et plus encore sur thecanadianencyclopedia.ca/fr.

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Au revoir.

Dans l’épisode suivant de États de service :

Robert Burden: « Il y a un moment dont je me souviens, cinq jours et cinq nuits pendant lesquels le seul instant où j’ai quitté les admissions dans la tente c’est quand je suis allé aux toilettes ou cherché quelque chose à manger. Je ne suis pas retourné à ma tente pour changer de chaussettes ou me brosser les dents pendant cinq jours et cinq nuits. »