Le 8 juillet 1758, la petite armée française d’environ 3 500 hommes commandée par Louis-Joseph de Montcalm remporte une importante victoire contre les 15 000 soldats britanniques du général James Abercromby au fort Carillon. Ce résultat inattendu est attribuable à la stratégie défensive du général français combinée aux erreurs tactiques des Britanniques. La bataille est devenue aujourd’hui une des plus célèbres victoires françaises en Amérique du Nord. Elle marquera l’imaginaire québécois, inspirera les poètes ainsi que la conception de l’actuel drapeau du Québec. (Voir aussi Le Canada et la guerre de Sept Ans.)
Situation catastrophique
L’année 1758 commence mal pour les Français au Canada. Pendant l’hiver 1757-1758, les Britanniques capturent une quinzaine de navires français en route vers la Nouvelle-France. Le ravitaillement est compromis et la situation alimentaire de la colonie devient catastrophique. Sur le plan militaire, les officiers sont pessimistes, la pénurie les contraint à abandonner toute perspective offensive pour la prochaine campagne.
Le Canada semble à bout de souffle et le gouvernement britannique entend bien lui porter le coup fatal. Il confie au major-général James Abercromby la plus grande armée jamais rassemblée jusque-là en Amérique du Nord : 15 000 hommes, soit 6 000 soldats et 9 000 miliciens. James Abercromby est un partisan des tactiques offensives. Au cours de sa carrière, il déplore souvent le manque de combativité des officiers qu’il côtoie. Au mois de juillet 1758, il planifie le voyage de cette vaste armée et la mène vers la jonction des lacs George et Champlain.
Prélude à la bataille
Pendant ce temps, le général Louis-Joseph de Montcalm arrive au fort Carillon. Les huit bataillons de troupes de terre qui lui ont été envoyés sont dans un état lamentable. Le brigadier Louis-Antoine de Bougainville, son aide de camp, critique « la quantité de mauvaises recrues » de ces unités. L’armée ne compte que 3 500 hommes, parmi lesquels environ 3 000 soldats réguliers. Le reste est composé de quelques compagnies des troupes de la Marine, de miliciens et d’une quinzaine d’alliés autochtones. (Voir Peuples autochtones au Canada.) Le marquis de Montcalm ne dispose donc pas des 5 000 hommes que devait envoyer le gouverneur Pierre de Rigaud de Vaudreuil.
Le 5 juillet 1758, on signale la présence de l’armée britannique sur le lac Saint-Sacrement. Plus de 1 000 embarcations occupent le lac sur des kilomètres. Quatre cents hommes sont envoyés à leur rencontre dans la vallée de la rivière Bernetz sous le commandement du capitaine Louis-Joachim de Trépezec, du bataillon de Béarn. Le lendemain, cette troupe tombe sur une colonne britannique au portage de la rivière de la Chute. Une escarmouche éclate lors de laquelle le commandant en second des forces britanniques, George Howe, est tué. Cette nouvelle ébranle le commandement britannique et interrompt la progression des troupes pendant 24 heures. Cette courte période sera salutaire aux Français.
Après ce premier choc, le marquis de Montcalm consulte ses officiers sur la stratégie de défense à appliquer. Sur leurs conseils, il décide de ne pas défendre le fort, mais d’occuper un plateau qui domine en hauteur les environs. Au matin du 7 juillet, le général français mobilise l’ensemble de ses hommes à la construction d’un retranchement tracé par les ingénieurs Nicolas Sarrebource de Pontleroy et Jean-Nicolas Desandrouins.
Sans plus attendre, les soldats abattent des centaines d’arbres, les dégarnissent de leurs branches et les empilent pour former des abattis ― un rempart de bois fait de troncs d’arbres. Leur façade extérieure est garnie de troncs affûtés en pointe. Tout l’espace devant l’ouvrage est comblé de troncs brisés, de branches et de rebuts de toutes sortes formant de véritables barbelés destinés à ralentir l’ennemi. À la tombée du jour, les retranchements forment un arc de 500 mètres. Le mur fait environ 2,4 mètres de haut et suit les courbes du plateau. C’est à ce moment qu’arrivent en renfort les 400 soldats des troupes de terre du chevalier de Lévis, accueillis avec allégresse par les troupes de Carillon.
La bataille de Carillon
Au matin du 8 juillet, les troupes françaises se hâtent de terminer les retranchements. Vers 10 h, l’avant-garde ennemie surgit à l’horizon. Les soldats français troquent la pelle pour le fusil et commencent à prendre leurs positions. Les troupes de terre bordent les abattis sur trois rangs de profondeur. Une unité du régiment de Berry reste dans le fort; 300 soldats de la Marine (voir Troupes de la Marine) et miliciens se déploient au nord de l’abattis le long du lac Champlain et deux unités de volontaires se placent au sud de l’ouvrage, entre le retranchement et la rivière de la Chute. Du côté britannique, James Abercromby fait placer ses hommes en quatre colonnes d’assaut entre lesquelles sont déployés les tirailleurs anglo-américains.
Vers midi trente, c’est l’assaut. Se fiant au conseil d’un de ses ingénieurs, qui le convainc que la position peut être facilement prise, le général britannique n’attend pas son artillerie et ne tente pas de mener un siège en règle. Cette décision aura de graves répercussions. Les miliciens anglo-américains se déploient sur les flancs de l’ouvrage et ouvrent le feu, tandis que les colonnes d’« habits rouges » s’engouffrent en masse dans les débris placés devant les abattis. Ils avancent péniblement au son des cornemuses et au pas de charge à travers les obstacles. Le commandant français les laisse approcher. Il interdit à ses hommes de tirer avant qu’il n’en ait donné l’ordre. Les Britanniques progressent sans opposition et parviennent au pied du retranchement lorsque l’ordre survient enfin de faire feu.
En un court instant, plus de 3 000 fusils déchargent un déluge meurtrier de plomb sur les assaillants, qui subissent de lourdes pertes. Pendant sept heures, les vagues d’assaut se succèdent avec acharnement et sont fauchées l’une après l’autre. Pour optimiser la cadence de tir, les Français utilisent une technique particulière : ils disposent les meilleurs tireurs en première ligne, tandis que les soldats des deuxième et troisième lignes s’affairent à recharger les armes pour les donner aux tireurs. Ce feu dévastateur s’avère d’une efficacité redoutable. À un moment, les Britanniques tentent de contourner l’ouvrage en descendant la rivière de la Chute en bateau, mais ils sont repoussés par l’artillerie du fort Carillon.
Vers 17 h, deux colonnes de régiments écossais tentent un ultime assaut et font une percée inattendue. Ils tiennent tête au feu français et parviennent à escalader le rempart pour engager le combat au corps-à-corps. Rapidement toutefois, les Highlanders sont débordés par les renforts français. À la tombée du jour, les Britanniques ne sont pas parvenus à faire une percée décisive. Vers 19 h 30, leur général doit se résoudre à ordonner la retraite. Dans la hâte, les Britanniques récupèrent leurs blessés et retournent au fort George.
Bilan
La bataille fait de nombreuses victimes. Les Britanniques perdent près de 2 000 hommes, morts ou blessés, et les Français un peu moins de 400. Louis-Joseph de Montcalm s’attend à une nouvelle attaque, mais bien que ses forces soient encore supérieures, James Abercromby regagne précipitamment le lac Saint-Sacrement en abandonnant une partie de ses bagages.
La victoire française retarde d’un an l’invasion britannique du Canada par la vallée de la rivière Richelieu. De retour à Québec, Louis-Joseph de Montcalm est promu au rang de lieutenant-général. Quant à James Abercromby, la responsabilité de cette défaite humiliante lui est imputée par son gouvernement et il ne participera plus aux futures campagnes militaires.
Au Canada, et plus particulièrement au Québec, la bataille de Carillon est devenue le symbole de la résistance française face à la Grande-Bretagne pendant la guerre de Sept Ans. Passablement oubliée après la Conquête, cette bataille suscite un nouvel intérêt au 19e siècle. Elle est popularisée par un poème d’Octave Crémazie intitulé Le Drapeau de Carillon. En 1948, le gouvernement de Maurice Duplessis adopte le drapeau officiel du Québec, en partie inspiré par un étendard religieux qu’on aurait utilisé à la bataille de Carillon.