La bataille de Ridgeway (aussi connue sous le nom de bataille de Lime Ridge ou bataille de Limestone Ridge) a lieu le matin du 2 juin 1866, près du village de Ridgeway et de la commune de Fort Erie, au Canada-Ouest (l’actuel Ontario). Environ 850 soldats canadiens ont fait face à 750 à 800 fenians, des insurgés irlando-américains ayant franchi la rivière Niagara depuis Buffalo, dans l’État de New York. Il s’agit de la première bataille de l’ère industrielle ayant été menée exclusivement par des troupes canadiennes sous le commandement d’officiers canadiens. La bataille de Ridgeway est la dernière bataille ayant été menée sur le territoire de l’Ontario contre une force d’invasion étrangère. Son champ de bataille a été désigné site historique national en 1921.
Raids des fenians
Les fenians sont les membres actifs d’un mouvement de la moitié du 19e siècle visant à établir l’Irlande comme État indépendant, séparé de la Grande-Bretagne. Ils opèrent en secret avec le statut d’organisation illégale dans l’Empire britannique, où ils sont connus sous le nom de Fraternité républicaine irlandaise. Par contre, aux États-Unis, ils opèrent ouvertement et librement sous le nom de Fraternité des fenians. À terme, les deux branches en sont venues à être connues comme les fenians.
Les raids des fenians sont des incursions armées en territoire canadien ayant lieu entre 1866 et 1871. Ces attaques visent à saisir des portions de territoire canadien pour en faire une monnaie d’échange contre l’indépendance de l’Irlande. On espère aussi que ces incursions provoqueront une crise en Grande-Bretagne, ou peut-être même une guerre entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. La mainmise britannique sur l’Irlande, croit-on alors, s’en trouverait affaiblie, et cela favoriserait l’insurrection, attendue ou préparée, en terre irlandaise.
Les autorités américaines font de leur mieux pour empêcher les fenians de procéder à des mobilisations sur la frontière canado-américaine. Malgré cet effort, les fenians peuvent attaquer l’île Campobello, au Nouveau-Brunswick, en avril 1866. Et voici que, fin mai, ils arrivent à amasser suffisamment d’armes et de munitions pour équiper 20 000 insurgés en Ohio, au Michigan, au Vermont et dans l’État de New York.
Intrusion feniane
Le 1er juin 1866, une avant-garde de 1 000 fenians lourdement armés passe la rivière Niagara depuis Buffalo, dans l’État de New York. Ils sont commandés par John O’Neill, un ancien officier de cavalerie américain ayant fait son service en Ohio et en Virginie-Occidentale pendant la guerre de Sécession.
Les fenians s’emparent assez rapidement de Fort Erie au Canada-Ouest, ainsi que la gare et la station de télégraphe. Ils mettent en état d’arrestation les douaniers et les autorités frontalières du quai international des traversiers ainsi que les conseillers municipaux. Ils obligent les hôtels et les boulangeries de la commune à leur fournir des petits déjeuners. Après avoir sectionné les lignes télégraphiques, les insurgés saisissent des chevaux et des outils pour construire des tranchées et des fortifications. À la fin de cette première journée, les fenians contrôlent la frontière du Niagara, de Black Creek au nord, à Fort Erie au sud. Ils sont à distance de marche du canal Welland, la seule voie navigable entre le lac Ontario et le lac Érié.
Réplique canadienne
Pendant les raids des fenians, quelque 22 000 miliciens volontaires canadiens sont mobilisés. Se joignent à eux des unités d’infanterie britanniques stationnées au Canada. Tandis que les fenians prennent position autour de Fort Erie, deux unités de milices canadiennes sont déployées sur Port Colborne près du village de Ridgeway. Il s’agit du 2e bataillon du Queen’s Own Rifles (QOR) de Toronto et du 13e bataillon de la Royal Hamilton Light Infantry, les « Rileys » d’Hamilton. En sa qualité d’officier le plus haut gradé sur le théâtre des opérations, l’officier qui commande le 13e bataillon, le lieutenant-colonel Alfred Booker prend le commandement de la brigade de bataillons. Il était un éminent commissaire-priseur et officier volontaire originaire d’ Hamilton.
Dans la nuit du 1er au 2 juin, le lieutenant-colonel Booker reçoit l’ordre de se rendre par train à Ridgeway puis de marcher jusqu’à la commune de Stevensville. Là, il devra faire sa jonction avec une colonne de renforts composée de soldats britanniques et de miliciens canadiens aux fins d’une contre-attaque conjointe contre les fenians, que l’on croit positionnés non loin de Fort Erie.
Il est exigé du lieutenant-colonel Booker qu’il évite tout engagement avec les fenians lors de sa marche en direction de la colonne de renforts.
La bataille de Ridgeway
Les Canadiens et les Britanniques ignorent que les fenians se sont déplacés, pendant la nuit du 1er au 2 juin, jusqu’à une crête stratégique se trouvant tout juste au nord de Ridgeway. La crête en question longe la route canadienne menant à Stevensville. Alfred Booker avait été prévenu que les fenians préparaient une embuscade depuis la crête. Malgré cela, et malgré ses ordres d’éviter tous contacts avec les fenians, il s’avance directement vers leur position et engage le combat.
Dans la première heure de la bataille, les Canadiens semblent avoir le dessus. Ils délogent les instigateurs de l’escarmouche feniane de leurs positions. Puis, quelque chose se dérègle. À ce jour, on ne sait d’ailleurs pas encore exactement quoi. Les sources d’époque rapportent que les miliciens canadiens auraient pris des éclaireurs fenians à cheval pour des soldats de cavalerie (fenians) les chargeant. L’ordre d’Alfred Booker de former le carré pour se défendre d’une charge de cavalerie expose alors les Canadiens à un feu intense des tirailleurs fenians toujours présents sur la crête. Alfred Booker annule rapidement son ordre antérieur. Malgré tout, il n’arrive plus à resserrer les rangs des soldats canadiens inexpérimentés. Ils essuient maintenant, en groupes dispersés, des tirs nourris et précis. D’autres sources avancent que les troupes canadiennes ont pris une des compagnies du 13e bataillon pour des troupes britanniques venant les relever. Elles se retirent alors et cela déclenche une panique dans le reste des troupes qui, elles, prennent ce retrait circonscrit pour un repli général.
Le saviez-vous?
Selon Peter Vronsky, historien et auteur de Ridgeway : The American Fenian Invasion and the 1866 Battle That Made Canada, cette représentation iconique de la bataille de Ridgeway n’est pas exacte. Les Canadiens sont représentés en tuniques rouges britanniques. Or, les volontaires canadiens étaient en fait vêtus à la fois de tuniques rouges et de tuniques vertes, selon le bataillon avec lequel ils combattaient. Pendant ce temps, les fenians étaient vêtus d’uniformes bleus de la guerre de Sécession ou de vêtements civils. Beaucoup portaient des écharpes vertes. De plus, la bataille n’a pas été livrée dans la formation de ligne traditionnelle représentée ici.
Constatant que le chaos s’installe dans les rangs canadiens, John O’Neill ordonne promptement une charge à la baïonnette. Celle-ci finit de mettre les Canadiens inexpérimentés en déroute. Les fenians prennent et tiennent brièvement la commune de Ridgeway. Puis, s’attendant à être submergés par les renforts britanniques, ils se replient sur Fort Erie. Ils y livrent une seconde bataille contre une unité de Canadiens peu nombreux mais déterminés, qui tient alors la commune.
Dans la nuit du 2 au 3 juin, John O’Neill se rend compte que des embarcations canonnières de la marine américaine vont intercepter tout renfort fenian tentant de traverser la rivière Niagara vers le Canada. Les fenians tentent donc de traverser la rivière dans l’autre sens, pour retourner aux États-Unis, mais ils sont interceptés par la marine américaine. On finit par les relâcher après les avoir fait s’engager à tous retourner dans leurs États d’origine respectifs.
Conséquences immédiates
Les Canadiens perdent neuf hommes tués au combat. On les appelle aujourd’hui « The Ridgeway Nine ». Les Canadiens comptent aussi 33 blessés, dont certains ont dû se faire amputés des membres. Quatre autres miliciens volontaires canadiens sont morts dans les mois après la bataille, soit des suites de blessures ou de maladies contractées à Ridgeway.
Les troupes canadiennes sont déployées correctement. Elles parviennent d’ailleurs à faire face aux fenians dans les heures ayant suivi leur incursion. Cela étant dit, elles étaient très mal entraînées et peu préparées au combat. Les troupes avaient trop peu de munitions. Elles n’avaient pas de nourriture, pas de cuisine de campagne, pas de cartes géographiques assez précises, pas d’approvisionnement médical, pas de citerne d’eau potable, et pas d’outils pour entretenir adéquatement leurs armes à feu. Seulement la moitié des troupes impliquées dans cette bataille avait déjà tiré à balles réelles à l’entraînement. Ces troupiers n’avaient absolument pas l’envergure des fenians, qui, eux, étaient des anciens combattants bien armés et adéquatement équipés de la guerre de Sécession.
Le ministre de la milice et procureur général du Canada-Ouest, était alors John A. Macdonald. La négligence de son ministère, responsable de la milice canadienne, a été complètement blanchie par deux tribunaux militaires d’enquête. Ces tribunaux ont conclu que le blâme devait être mis sur des troupes frontalières inexpérimentées qui ont paniqué et se sont débandées, et non sur des officiers les ayant mal encadrées ou sur un gouvernement les ayant mal équipé et mal formé. Le bataillon Queen’s Own Rifles (QOR) est alors surnommé railleusement « Quickest Outta Ridgeway » (le plus rapide à se barrer de Ridgeway). Le 13e bataillon, quant à lui, se fait appeler « The Scarlet Runners » (les coureurs écarlates).
Héritage et signification
L’histoire de la bataille de Ridgeway a été largement occultée dans la tradition militaire canadienne. Pendant près de 25 ans, le gouvernement canadien a été réfractaire à reconnaître les anciens combattants de cette bataille.
En 1890, la Veterans of'66 Association (l’association des anciens combattants de 1866) a tenu une manifestation de protestation au monument aux volontaires canadiens à Queen’s Park, à Toronto. Ils ont déposé une gerbe de fleurs au pied du monument, le 2 juin, jour du 24e anniversaire de la bataille de Ridgeway. En 1899-1890, après une campagne de protestations et de lobbying longue de dix ans, le gouvernement canadien finit par approuver une médaille des raids fenians et alloue, en 1899-1900, des bourses aux anciens combattants survivants de la bataille de Ridgeway.
La manifestation de protestation est ensuite devenue un événement commémoratif récurrent, connu sous le nom de jour des Décorations; les tombes de soldats canadiens et leurs cénotaphes s’y font « décorer » de fleurs. Pendant les 30 années suivantes, le jour des Décorations allait devenir la populaire journée commémorative militaire nationale du Canada. Ce premier « jour du Souvenir », était célébré la fin de semaine la plus rapprochée du 2 juin. Il rendait hommage aux canadiens tombés lors de la bataille de Ridgeway, lors de la Rébellion du Nord-Ouest (1885), lors de la guerre des Boers (1899–1902) et lors de la Première Guerre mondiale (1914–1918).
(Voir aussi Jour du Souvenir.)
En 2013, la ville de Toronto et la municipalité de Fort Erie envoient des requêtes écrites au gouvernement fédéral pour demander la réinstauration des « Ridgeway Nine » à l’héritage commémoratif militaire canadien par une inscription de leur nom au Livre du Souvenir d’Ottawa. Ces requêtes sont restées sans écho.
Voir aussi Les raids fenians : guide pédagogique; Les raids fenians : chronologie; raids des fenians : collection; Canadiens irlandais; Thomas D’Arcy McGee; Patrick James Whelan.