Histoire de l’exploitation forestière
Pendant la plus grande partie des quelques millénaires derniers, la coupe des arbres est l’affaire de toute personne habitant au Canada. Pendant des siècles, les peuples autochtones abattent des arbres à coups de hache, par le feu ou par annélation. Lorsque les premiers Européens arrivent au début des années 1600, ils se donnent la tâche de défricher les forêts pour l’agriculture, d’ériger des structures, et de produire du bois pour le chauffage et la cuisson. La situation est la même chez les colons britanniques, qui, de la Grande-Bretagne ou après un détour aux États-Unis, migrent au Canada après la conquête de l’Amérique française, vers la fin des années 1700.
Ce n’est qu’au tournant du XVIIIe siècle, toutefois, que le métier d’abatteur, ou bûcheron, apparaît. Pendant près de 100 ans, le commerce du bois dans l’est du Canada prospère. Il finit par devenir le pilier de l’économie régionale et concentre ses efforts sur le pin argenté. De 1800 à 1840 environ, la production est centrée sur la coupe et la taille du bois équarri pour le marché britannique. L’industrie prend ensuite un tournant et commence à transformer les billes de pin en planches vendues aux États-Unis. On estime que durant le XIXe siècle, apogée du pin argenté, plus de la moitié des hommes au Canada étaient bûcherons. Lorsqu’arrive le XXe siècle, l’appauvrissement du nombre de pins argentés dans l’est amène un déclin de l’industrie dans la région, alors que la production de bois d’œuvre, située en grande partie en Colombie-Britannique grâce aux Douglas taxifoliés s’y retrouvant, connaît un boom. Au même moment apparaît le commerce lucratif du bois de papeterie (de l’épinette dans l’est et du Douglas taxifolié dans l’ouest) auprès des papetières canadiennes et états-uniennes. Le XXe siècle voit les industries du bois d’œuvre et des pâtes et papiers devenir une place cruciale dans l’économie du Canada, une tendance qui se poursuit jusque dans les années 2000. Par conséquent, le bois est abattu à des fins commerciales depuis plus de quatre siècles, faisant du métier de bûcheron l’un des plus anciens au Canada.
Conditions de travail traditionnelles
Pendant longtemps, les bûcherons s’éreintent du matin au soir, six jours par semaine, et vivent entassés dans des camps de brousse (ou dortoirs) où l’odeur, un mélange de fumée, de sueur et de vêtements mis à sécher, n’est égalée en répugnance que par les punaises de lit, qui encombrent leur lit. Ces dortoirs sont souvent assortis de règles très strictes; ainsi, l’alcool est prohibé, et, pendant longtemps, le silence est réglementaire durant les repas. La nourriture, toutefois, n’est pas matière à mécontentement : elle est de très bonne qualité, et vient en portions énormes, pour combler l’appétit énorme de ces hommes brûlant environ 7000 calories par jour. L’ambiance n’est malheureusement pas toujours des plus gaies; les cuisiniers parfois n’accordent aux bûcherons que 10 ou 15 minutes pour se restaurer.
Le même son de cloche se fait entendre sur le lieu de travail, car il est l’un des plus dangereux au Canada. Les blessures mortelles et autres peuvent survenir à tout moment et de tous côtés : frappé par un arbre tombant au mauvais endroit, par une traître branche brisée ou encore écrasé par un billot glissant de sa pile. Au vu de leur mode de vie quasi monastique et des conditions de travail moins qu’idéales, il n’est pas surprenant que les bûcherons sèment la pagaille chaque printemps, à leur retour à la civilisation. Les histoires à propos de leurs besoins refoulés de se battre, de boire et de festoyer dans des villes comme Bytown (maintenant Ottawa) sont gravées à jamais dans les mémoires.
Conditions de travail modernes
Le plus impressionnant dans l’histoire des bûcherons est sans doute la transformation draconienne qu’a subie le métier. Avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les arbres sont coupés à la main ou à l’aide de chevaux durant l’automne et l’hiver (sauf sur les côtes de la Colombie-Britannique, où le climat plus clément permet l’abattage à longueur d’année). Le temps froid permet aux chevaux de traîner les billes, ou de les glisser, plus facilement de la souche aux cours d’eau gelés. De plus, les fermiers de l’arrière-pays profitent de la saison morte pour gagner quelques sous, et forment une main-d’œuvre disponible et efficace. Les bûcherons ainsi s’attaquent aux plus gros arbres en équipe de deux ou trois. L’arrivée des scies à tronçonner amène une autre classe de bûcherons, appelés « scieurs ». Ces derniers coupent des arbres au diamètre plus petit (pour le bois de papeterie) en utilisant une scie à bûches suédoise ou à tandem. Au printemps, avec la fonte de la neige et le bris de la glace, les bûcherons les plus hardis et expérimentés deviennent draveurs, c’est-à-dire qu’ils s’occupent de superviser le voyage du bois jusqu’à la scierie en marchant à même les billes sur la rivière à l’aide de bottes crantées et d’un tourne-bille, outil spécial servant à agripper les billes.
Les changements révolutionnaires s’amorcent en même temps que la crise des années 1930, et s’accélèrent après 1945, avec l’arrivée des machines dans pratiquement toutes les phases du travail. Les scies à chaînes motorisées remplacent les scies à mains, et les haches et d’immenses machines sont créées pour abattre, émonder et couper les arbres. À la place des chevaux, des débusqueuses traînent les billes jusqu’aux piles qu’elles ont créées sur le bord des routes en vue du transport par camion. Les jours de la drave sont bel et bien passés. Ces améliorations technologiques se traduisent par une diminution marquée du nombre de travailleurs, qui abattent beaucoup plus de bois en bien moins de temps que leurs ancêtres n’auraient cru possible. Le travail peut aussi désormais se faire à longueur d’année, le jour comme la nuit. De plus, les bûcherons n’ont plus besoin de vivre dans des camps de brousse, puisqu’ils peuvent se rendre au travail en voiture chaque jour. La vie de bûcheron est sans conteste plus facile qu’à l’époque, et les compétences nécessaires ont changé grandement. On retrouve maintenant pour la première fois des bûcheronnes, bien que le métier reste dominé par les hommes. Une chose n’a toutefois pas changé : les risques du métier. Bien qu’on ait instauré une kyrielle de lois et de règlements tout au long du XXe siècle pour rendre le métier de bûcheron plus sécuritaire et que la plupart des bûcherons travaillent dans une cabine protégée, le nombre de blessures et de décès chez les travailleurs forestiers est alarmant. C’est en particulier le cas en Colombie-Britannique, où le terrain montagneux complique grandement la tâche des travailleurs.
Symbolisme
Bien que les bûcherons tiennent toujours une place symbolique énorme au Canada, la perception de la population générale à leur égard a changé radicalement. Au départ, la difficulté extraordinaire du métier des bûcherons suffisait à les placer au panthéon des héros du folklore canadien. Durant le début et le milieu des années 1800, par exemple, on raconte (et imprime) l’histoire de Joe Montferrand, un bûcheron légendaire à la force herculéenne. On croit même qu’il est l’inspiration derrière le mythe américain Paul Bunyan, dont la légende est apparue au milieu des années 1800. De nombreux universitaires, comme Arthur R.M. Lower qui a retracé les premières années du commerce forestier canadien, glorifient les bûcherons pour leur ténacité et leur sang-froid, et pour leur rôle dans la construction des fondations mêmes du pays. Il y a environ 50 ans, toutefois, une distinction s’est faite entre le bûcheron d’antan et son homologue contemporain. Alors que le premier garde sa gloriole, le second est souvent vu d’un mauvais œil. La montée du mouvement environnementaliste vers la fin des années 1960 met en branle des débats très émotionnellement chargés sur l’exploitation forestière qui diabolisent les bûcherons. Les Canadiens, tout comme les étrangers, ont commencé à haïr l’industrie que les bûcherons représentent, même s’ils continuent à tirer profit de leur travail. Cette opinion persiste encore, malgré les progrès remarquables faits en matière de gérance des richesses forestières.