Né à Londres de parents gallois, David Thompson est un déraciné se battant pour trouver sa place dans l'empire qui a assimilé sa patrie. Il se décrit comme «un voyageur solitaire et anonyme». En Amérique du Nord britannique, il se sent souvent plus à l'aise dans les campements d'autochtones nomades que dans les manufactures de traite de fourrures de la baie d'Hudson. Il sent rapidement que la vie de ce pays neuf réside le long des rivières sauvages qui coulent de la ligne de partage des eaux loin de la suffisance et de la prudence du pouvoir colonial. On aurait pu penser qu'il serait attiré par les grands espaces au-delà des terres colonisées où les Américains refont le monde à leur image; mais non, fidèle à lui-même, il semble suivre une voie différente.
Thompson a 14 ans quand il arrive à Churchill Factory en 1784. «Tant que le navire est ancré, il semble n'être qu'à une distance de quelques semaines de ses proches, mais quand, du haut de la falaise, il le regarde disparaître à l'horizon, la distance devient incommensurable.» Ses collègues se morfondent dans ce lieu isolé et balayé par les vents. Thompson y voit plutôt une porte qui s'ouvre sur un monde de possibilités. Il prendra la mesure de la moitié nord d'un continent, de ses vastes étendues, de sa topographie accidentée et de son histoire humaine et naturelle diversifiée.
Les Premières Nations le captivent. Se joignant à une expédition de traite aux pieds des Rocheuses, il passe l'hiver dans le tipi d'un sage pégane, nommé Saukamapee. Pendant quatre mois, ses soirées s'écoulent à écouter le vieil homme lui parler des grandes plaines avant l'arrivée des chevaux et des fusils. «Pour les Indiens attentifs à tous les détails, la plus petite pierre déplacée, la moindre brindille cassée ou tordue, la plus légère marque sur le sol, c'est le langage de la plaine.»
Une partie de la carte de Thompson qui montre les sources de la rivière Red Deer et la rivière Bow (Ontario Archives). |
Comme les Indiens, Thompson n'est pas homme à se perdre. Il se fie à ses instruments d'astronomie, un sextant en cuivre de dix pouces de rayon et un télescope achromatique d'une forte puissance, pour observer les satellites de Jupiter. Avec ces instruments à la fine pointe de la technologie européenne, il détermine la longitude et la latitude en comparant ses calculs aux cartes que les Indiens lui dessinent dans le sable. Grâce à son habileté exceptionnelle à tirer profit des connaissances des deux univers, une grande carte prend forme dans son esprit alors qu'il se dirige vers l'ouest.
Les cartes que les autochtones esquissent pour Thompson reprennent les traces des animaux qu'ils ont chassés depuis le début de l'aventure humaine dans les Amériques. Quand il grimpe pour la première fois à la ligne de partage des eaux - «l'épine dorsale du monde» - en amont de la rivière Howse, le territoire de l'actuel parc national Banff, il suit un sentier de bisons que les Indiens kootenai lui ont décrit comme étant plus vieux que l'homme. Thompson perçoit le «doigt de la providence» sur le paysage. «... là, dans ces espaces prodigieux et solitaires, recouverts de neiges éternelles et de montagnes reliées entre elles par d'immenses glaciers - la mémoire des âges - sur lesquels les rayons n'ont pas prise.»
Au fil de ses voyages, Thompson épouse une Métisse, Charlotte Small, «The Woman of the Paddle Song», qui donne son titre au livre d'Elizabeth Clutton-Brock. Se déplaçant dans un canoë d'écorce, partageant les particularités de leurs cultures, ils sont parmi les premiers explorateurs de l'essence de l'âme canadienne.
Ses périples le mèneront en des points aussi éloignés que Peace River, au nord, et que l'embouchure du fleuve Columbia, au sud et à l'ouest. Tous les soirs, il prend des relevés des planètes. Les Indiens finissent par le baptiser Koo Koo Sint, «l'homme qui regarde les étoiles».
Il passe 34 ans dans l'Ouest, faisant la traite des fourrures, explorant des cours d'eau clairs et froids à couper le souffle. Charlotte et lui auront 13 enfants.
Thompson apprend les parlers et coutumes des Premières Nations et jette un pont entre leur monde et celui des Européens. Il sait que ce ne sera pas facile. «L'homme civilisé, particulièrement celui des États-Unis, nourrit une antipathie envers les Amérindiens. On prédit avec assurance que l'«homme rouge» va bientôt disparaître pour faire place à l'«homme blanc». C'est vrai pour toutes les terres appartenant anciennement aux Peaux rouges, que les Blancs convoitent au point de s'en emparer par la fraude ou par la force.»
Thompson quitte l'Ouest une année avant qu'éclate la guerre de 1812 avec les Américains. Il préfère la plume au fusil et est dégoutté par le commerce croissant de l'alcool qui menace de détruire les Premières Nations. Dans le village québécois de Terrebonne, il achève sa grande carte. Il est le premier à voir le pays dans sa globalité.
Il meurt dans l'ombre le 10 février 1857. Il a suivi une voie différente. C'est une chance pour le Canada.