Dominique François Gaspard, médecin et bâtisseur de communauté (né le 22 décembre 1884 à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane; décédé le 6 février 1938 à Montréal, au Québec). Dominique Gaspard était un médecin respecté et un pionnier dans la communauté noire de Montréal. Après avoir servi avec distinction dans un hôpital de campagne pendant la Première Guerre mondiale, il s’est consacré à la médecine à Montréal. Il a également travaillé à la création de débouchés sociaux et intellectuels pour les hommes noirs de la ville. Catholique bilingue, Dominique Gaspard s’est démarqué au sein de la communauté noire montréalaise du début du 20e siècle, majoritairement anglophone et protestante. Sa vie sera marquée par des enjeux complexes touchant la langue, l’origine ethnique et l’immigration, des thématiques rarement abordées dans les témoignages des communautés anglophones et noires du Québec.
Jeunesse et formation
Dominique Gaspard grandit au sein de la dynamique communauté afro-française créole de la paroisse St. Katherine’s à La Nouvelle-Orléans. Les créoles (personnes de couleur libres) jouissent de positions privilégiées.
Lorsqu’il est adolescent, la paroisse de Dominique Gaspard est dominée par les Joséphites, qui ont pour mission de convertir les Noirs au catholicisme. En 1904, un Joséphite recommande à Dominique Gaspard d’entrer au Séminaire de Saint-Hyacinthe, à Saint-Hyacinthe, au Québec. Les Afro-Américains fréquentent cet établissement depuis les années 1860. Toutefois, Dominique Gaspard est le premier étudiant de race noire à laisser derrière lui des écrits décrivant son expérience dans cette ville. Dominique Gaspard demeure à Saint-Hyacinthe pendant les mois d’été, travaillant comme serveur. Il a tôt fait de devenir un membre clé de sa communauté.
Après l’obtention de son diplôme en 1911, Dominique Gaspard espère devenir prêtre dominicain. Le Séminaire lui barre toutefois la route, utilisant comme prétexte la couleur de sa peau. Le jeune homme jette alors son dévolu sur la médecine, s’inscrivant au campus montréalais de l’Université Laval (établissement qui deviendra plusieurs années plus tard l’Université de Montréal). Il commence ses études en 1912.
Première Guerre mondiale
En août 1914, le Canada est en guerre avec l’Allemagne (voir Première Guerre mondiale). Le Dr Arthur Mignault, chirurgien des Mount Royal Rifles, met sur pied un hôpital de campagne franco-canadien en France. L’hôpital permanent n°4 de Saint-Cloud, géré par le gouvernement français, est doté d’un personnel bénévole issu de l’Université Laval. Dominique Gaspard en fait partie.
Le saviez-vous?
La plupart des militaires noirs de l’époque de Dominique Gaspard se voient contraints de protester pour obtenir le droit de s’enrôler dans l’armée canadienne (voir Volontaires noirs durant la Première Guerre mondiale). Ceux qui parviennent à le faire font généralement l’objet d’une ségrégation. Dominique Gaspard, pendant sa carrière militaire, n’est pourtant confronté à aucun de ces obstacles, peut-être en raison du fait qu’il s’entraîne aux côtés d’étudiants blancs au moment de sa mobilisation. Dans de nombreuses autres unités de l’armée, on s’appuie sur différents préjugés pour empêcher le recrutement de personnes noires.
En avril 1917, le ministre français de la Guerre reconnaît le service exemplaire de Dominique Gaspard en France, lui décernant la Médaille des épidémies pour avoir assuré la sécurité et la salubrité de l’hôpital.
Le 9 septembre 1917, Dominique Gaspard reprend ses études en médecine au Québec.
Carrière à Montréal
En 1918, Dominique Gaspard ouvre un cabinet de médecine générale sur la rue Saint-Antoine, non loin du quartier de la ville où vivent les porteurs noirs, à l’est du Vieux-Montréal. Plusieurs années plus tard, il s’installe plus à l’ouest sur Saint-Antoine, se rapprochant de la rue de la Montagne et des clubs de jazz de la communauté noire. Le cabinet du Dr Gaspard se trouve sur le trajet quotidien des porteurs noirs qui se rendent vers les stations Bonaventure, Windsor et Centrale et en reviennent.
Le saviez-vous?
Pendant la première moitié du 20e siècle, 90 % des travailleurs noirs de Montréal sont des porteurs de voitures-lits. Ce poste, bien que respecté dans la communauté, est l’un des rares emplois offerts aux hommes noirs. Des politiques d’embauche racistes et biaisées font en sorte qu’il est impossible, même pour les hommes les plus instruits, de trouver du travail dans leur domaine.
En 1921, Dominique Gaspard soigne des patients des circonscriptions de Sainte-Cunégonde, Saint-Antoine et Saint-Joseph. S’il est le premier médecin noir dans ces circonscriptions, bon nombre de ses patients, eux, ont la peau blanche. Médecin bilingue respecté, Dominique Gaspard ne manque jamais de patients. On lui reconnaît un talent particulier pour le diagnostic des maladies.
Engagement communautaire
Dominique Gaspard s’implique de manière active dans la vie de la communauté noire de Saint-Antoine (voir La Petite-Bourgogne et la communauté noire d’expression anglaise de Montréal). En janvier 1920, il rejoint les rangs de l’Universal Negro Improvement Association (UNIA), première association de la communauté noire de Montréal. C’est alors l’une des rares portes ouvertes aux hommes noirs à la recherche d’activités sociales et intellectuelles. Au Liberty Hall de l’UNIA, les Noirs socialisent sans entrave. On y discute de science, d’enjeux raciaux, de philosophie, d’histoire, de finances, de questions gouvernementales et de valeurs civiques. Dominique Gaspard établit à cette époque une relation professionnelle avec le Dr D.D. Lewis, président de la filiale montréalaise de l’UNIA. Cette relation place le Dr Gaspard au premier plan du développement initial de la communauté noire de Montréal.
Le 15 juin 1921, Dominique Gaspard épouse Ethel May Lyons, membre bien connue de l’église unie Union, issue d’une famille respectée. Le mariage du Dr Gaspard – à une femme protestante, qui plus est – a pour effet de faciliter encore plus son intégration sociale au sein de la communauté noire.
En 1927, Dominique Gaspard devient l’un des membres fondateurs du Centre communautaire noir (CCN) de Montréal. Ce dernier, dans sa représentation de la communauté noire montréalaise, remet en question le statu quo. Il joue un rôle de tout premier plan à une époque où les Noirs ne sont souvent pas les bienvenus dans les autres centres communautaires de la ville (voir Ségrégation raciale des Noirs au Canada). Le CCN soulève certaines questions se rapportant aux droits de l’homme et s’efforce de combler les fossés culturels. Dans un premier temps, il se concentre surtout sur les jeunes. Au fil des décennies, cependant, le centre sera le cœur créatif et social de la communauté dans son ensemble.
Dominique Gaspard joue un rôle dans la mise sur pied de la Légion des anciens combattants de couleur (Québec n°50) à Montréal. La filiale reçoit sa charte le 20 mars 1935. Ce sera la seule légion canadienne destinée exclusivement aux anciens combattants noirs, bien souvent refusés dans les autres filiales.
Dominique Gaspard joue un rôle toujours croissant dans la communauté noire. En 1937, il entame des démarches pour créer le Canadian Brothers’ Social Club Inc, un club social athlétique de haut niveau pour les Noirs de Montréal où l’on pourrait trouver « des salles de billard, des salles à manger, des courts de tennis, des patinoires, des piscines et des kiosques à journaux », et où l’on pourrait « réaliser la vente de cigares, de cigarettes, de tabac et de friandises ». Ce projet ambitieux vise surtout à contrer l’ostracisme social persistant dont sont victimes les Noirs de Montréal. Le 18 septembre 1937, la province accorde au club sa charte.
L’établissement n’ouvrira malheureusement jamais ses portes. Au terme d’une maladie qui l’accable pendant quatre semaines, Dominique Gaspard, âgé de 53 ans, s’éteint le 6 février 1938. L’homme est enterré au cimetière Notre-Dame-Des-Neiges de Montréal.
Commémoration
En 1953, 15 ans après la mort de Dominique Gaspard, des anciens combattants noirs de Montréal nomment leur légion en son honneur. Le nouveau nom (filiale n°50 Dr Gaspard de la Légion royale canadienne) reconnaît sa contribution à la communauté et au pays.
Plusieurs décennies plus tard, les femmes de l’église unie Union déplorent « la perte d’un humanitaire bien-aimé de la communauté noire ». Elles attribuent sa mort aux soins médicaux désintéressés qu’il prodiguait bien souvent sans rémunération.
La vie de Dominique Gaspard présente un intérêt particulier pour les historiens. En effet, il n’y a eu dans l’histoire aucun autre catholique afro-américain d’expression française ayant reçu un diplôme du séminaire de Saint-Hyacinthe, ayant vécu au Québec et ayant fait partie intégrante de la communauté noire de Montréal.