Friedrich Karl von Bruemmer, C.M., membre de l’Académie royale des arts du Canada, photographe, écrivain, chercheur (né le 26 juin 1929, à Riga, en Lettonie; décédé le 17 décembre 2013, à Montréal, au Québec). Canadien d’origine lettonne, photographe du monde sauvage, Fred Bruemmer a passé une grande partie de sa carrière professionnelle dans l’Arctique. Il s’est rendu célèbre pour avoir photographié la flore et la faune du Nord et le mode de vie des Inuits. C’était également un écrivain et un chercheur prolifique ayant rédigé plus de 1 000 articles et 27 ouvrages. Son travail approfondi dans le monde circumpolaire lui a permis d’atteindre un public international. En 1980, un article du magazine Maclean’s le décrivait comme « l’un des hommes de renommée mondiale les moins connus au Canada ». Il a été intronisé membre de l’Ordre du Canada, en 1983.
Travail comme esclave pendant la Seconde Guerre mondiale
Fred Bruemmer voit le jour dans une famille aisée d’origine balte et allemande, à Riga, en Lettonie, qui voit sa vie bouleversée par l’arrivée de la Deuxième Guerre mondiale, alors que le jeune garçon n’a encore que dix ans. Alors qu’Adolf Hitler ordonne aux Allemands de souche de rentrer chez eux et que la Lettonie passe sous le contrôle de l’Union soviétique, la famille Bruemmer part pour la Pologne occupée par les nazis. Lorsque les Soviétiques remportent la victoire sur les nazis en Pologne, la famille Bruemmer tente de fuir pour trouver un endroit plus sûr, son origine allemande et son appartenance à la classe supérieure la désignant comme cible; toutefois, elle est capturée. Les parents du jeune garçon sont assassinés, lui‑même étant envoyé dans un camp pénitentiaire soviétique.
Alors qu’il n’est encore qu’un adolescent, Fred Bruemmer doit travailler comme esclave dans une mine de charbon ukrainienne. Âgé de 15 ans, il ne pèse alors qu’environ 32 kg. En sous‑poids et mal nourri, il arrive à se faire passer pour un enfant de douze ans, ce qui lui vaut un travail plus facile dans la mine, lui offrant même la possibilité de voler pour se procurer ce dont il a besoin pour survivre dans ces conditions barbares.
Après une tentative d’évasion, Fred Bruemmer est contraint de travailler dans une usine avec d’autres Allemands de souche dont beaucoup meurent d’épuisement ou sous la torture. Au total, le jeune homme passera 18 mois dans des camps pénitentiaires de travail soviétiques. (Sa future femme, Maud, est emprisonnée par les Japonais pendant trois ans durant la guerre.) En 1946, il est réinstallé par les autorités soviétiques dans ce qui était alors l’Allemagne de l’Est. L’année suivante, il franchit la frontière et passe en Allemagne de l’Ouest. Il relatera, en 2005, cette partie de sa vie dans ses mémoires parus sous le titre de Survival: A Refugee Life.
Premières années au Canada
Fred Bruemmer immigre au Canada en 1950, s’installant à Kirkland Lake, en Ontario, pour travailler dans les mines d’or. À cette époque, il se met également en quête d’un photographe local pour lui enseigner l’art de la photographie et se lance dans une exploration des paysages environnants. Il achète une motocyclette, partant seul à l’aventure et à la découverte des routes poussiéreuses menant dans les espaces sauvages. Il se rappellera plus tard qu’il s’est passionné pour l’ Arctique canadien après avoir admiré la baie James et déclarera un jour : « J’ai adoré l’Arctique, sa beauté sauvage, sa solitude obsédante et ses espaces infinis. Il conjugue l’immensité de l’océan et la grandeur d’une fugue de Bach! »
Fred Bruemmer devient citoyen canadien par naturalisation en 1956. À la fin des années 1950, il quitte son emploi dans les mines d’or et commence à travailler pour des journaux locaux. En 1963, il déménage à Montréal où il travaille comme photojournaliste pour la Montreal Gazette. À 33 ans, il décide de se débrouiller seul et se lance comme pigiste, travaillant comme indépendant pendant environ six ans, en participant à des reportages au Moyen‑Orient, en Afrique du Nord et en Europe. Certains de ses reportages, réalisés dans un style immersif au cours de cette période, portent notamment sur la pêche à la baleine aux Açores, sur le travail dans un kibboutz israélien et sur l’élevage des rennes en Finlande.
Points saillants de carrière
À peu près à la même époque, du début au milieu des années 1960, Fred Bruemmer commence à documenter les effets sur les Inuits des réinstallations dans l’Extrême‑Arctique canadien. Il écrira, à propos de ses expériences dans l’Arctique à l’époque : « J’ai rencontré un peuple traumatisé par la transition, suspendu entre deux mondes, l’un bien‑aimé, mais mourant, l’autre nouveau, séduisant, mais essentiellement étranger. »
Il consacre la plus grande partie de sa carrière professionnelle à photographier la faune et les Inuits de l’Arctique canadien et à écrire à ce sujet. Chaque année, pendant près de trois décennies, il passe les hivers à Montréal avec sa famille et environ six mois à explorer l’Arctique. Lors de chacun de ces séjours dans le Nord, il prend souvent des notes manuscrites très détaillées et des milliers de photographies, apprenant le mode de vie et suivant les instructions des Inuits avec qui il réside. Ayant décidé de ne jamais accepter de missions, mais plutôt d’envoyer des projets terminés, choisis par lui, à des rédacteurs en chef, il mène sa vie professionnelle de pigiste de manière tout à fait inhabituelle. Parmi les publications ayant présenté son travail, on trouve Canadian Geographic, National Geographic, Natural History et Smithsonian.
Fred Bruemmer s’immerge totalement dans son environnement et parmi les Inuits. Il effectue des séjours prolongés et des voyages extrêmement riches dans l’Arctique. Son premier ouvrage de 1969, The Long Hunt, dans lequel il documente un périple
de 2 000 km, d’une durée de trois mois, en traîneau à chiens, entrepris avec deux chasseurs,
dans le cadre d’une chasse à l’ours polaire, témoigne de cette forme d’engagement total.
Toujours en 1969, il partage la vie, pendant six mois, de la famille de Joseph Tikhek, dans la région de l’inlet Bathurst. Cette expérience fait l’objet de son livre
suivant, de 1971 : Seasons of the Eskimo: A Vanishing Way of Life. On considère que c’est cet ouvrage, ainsi qu’une photographie de 1964 d’un bébé phoque du Groenland blanc, qui ont fait sa renommée internationale. Au cours de sa carrière, il voyagera beaucoup dans le monde circumpolaire, notamment en Alaska, en Sibérie, au Groenland et en Scandinavie. On estime qu’il a ainsi probablement rivalisé avec certains des plus célèbres explorateurs de l’Arctique de tous les temps, tant par le temps qu’il
a consacré à ses périples que par les distances qu’il a parcourues.
Spécialiste de l’Arctique
En dépit de l’absence de formation formelle, sa prise de notes méticuleuse, ses compétences photographiques et son approche immersive pour en savoir toujours plus sur l’Arctique et sur les Inuits font de Fred Bruemmer un véritable spécialiste de ce domaine. Son livre de 1974, The Arctic, est décrit comme l’ouvrage unique le plus complet jamais rédigé dans ce domaine spécialisé. Considérés comme des documents inestimables sur la culture inuite, ses livres sont largement utilisés par les Inuits eux‑mêmes. Fred Bruemmer est très critique envers les effets des tentatives du gouvernement canadien d’éradiquer la culture inuite et de « faire des Inuits des Blancs en une génération » (comme il l’a formulé dans une entrevue de 1980). Il est horrifié par les effets de ces politiques sur la société et la culture inuite.
Tout au long de sa vie, Fred Bruemmer côtoie de nombreuses fois la mort, d’abord en tant que réfugié et travailleur forcé pendant la Deuxième Guerre mondiale, puis, à plusieurs reprises en explorant l’Extrême‑Arctique. (À une occasion il doit pagayer frénétiquement à bord de son canot pour échapper à un iceberg en train de s’effondrer. À l’âge de 57 ans, il trompe une nouvelle fois la mort, après une transplantation cardiaque dont il se remet totalement.
Distinctions et récompenses
Lorsque Fred Bruemmer est nommé membre de l’Ordre du Canada, en 1983, on le décrit comme « l’un de nos plus grands interprètes de l’Arctique ». L’Université de Calgary le nomme Fellow of the Arctic Institute of North America en 1976. Également membre de l’Académie royale des arts du Canada, il se voit attribuer la Médaille et citation Sandford‑Flemming pour la science du Royal Canadian Institute et reçoit un doctorat honorifique de l’Université du Nouveau‑Brunswick, en 1989. En 2003, il remporte le prix d’excellence pour l’ensemble de son œuvre en photographie de la nature de la North American Nature Photography Association. Ses mémoires de 2005, Survival: A Refugee Life, lui valent le prix Mavis‑Gallant pour un essai de la Quebec Writers’ Federation.
(Voir aussi Photographie au Canada.)