Gar Smith, artiste, photographe (né en 1946 à Toronto, en Ontario). La carrière artistique de Gar Smith s’est déroulée sur une période colorée et prolifique de 20 ans, entre 1968 et 1988. Au cours de ces deux décennies, il a réalisé des œuvres recherchées et d’une virtuosité stridente, notamment des photographies révolutionnaires (Noon, 1968; Notes sur la lumière, 1969-1970; Avenir, 1973), des photographies sans appareil photo (Earth Stars, Future Markets, 1978) et des sculptures de cloches (I Give Bliss, I Give Warning, 1985). Sa dernière œuvre de cloche a été réalisée pour l’édifice de l’ambassade canadienne à Tokyo, en 1988. Puis, assez curieusement, Gar Smith a cessé de faire de l’art.
Jeunesse et début de carrière
Gar Smith naît à Toronto en 1946. C’est son passage à la faculté d’architecture de l’Université de Toronto, entre 1965 et 1968, qui lui est le plus formateur. C’est en 1968 qu’il réalise sa première œuvre marquante en tant qu’artiste, une œuvre photographique révolutionnaire intitulée Noon, alors qu’il est toujours étudiant en architecture.
Noon est une œuvre photographique générative, métaphysiquement saisissante et riche en implications pour le travail qui allait suivre. Pour réaliser Noon, Gar Smith pointe son appareil photo directement vers le ciel pour en saisir le bleu par une journée ensoleillée. Une partie de l’observation de Noon consiste non seulement à voir ce que reproduit la photographie, mais également ce que l’on croit, ou suppose, qu’elle contient : l’air bleu ou l’absence d’air bleu, de même que le fourmillement chimique d’atomes, de pixels et de dérives de lumière colorée, un concert d’effets lyriques et techniques. Noon possède également une efficacité procédurale qui influence tout ce que fait Gar Smith au cours de deux décennies suivantes.
Notes on light (Notes sur la lumière)
Notes on light (1969-1970) constitue l’œuvre qui consolide la réputation de Gar Smith en tant qu’artiste. Troquant la verticalité momentanée de Noon contre une nouvelle horizontalité épique temporelle, Notes on light repose sur la traversée du Canada entreprise par l’artiste via la route transcanadienne, au cours de laquelle il documente et catalogue les levers et les couchers de soleil du pays. Gar Smith systématise conceptuellement cet ambitieux projet en divisant le pays en 30 sections d’une largeur de 265 km chacune.
À chacun des segments désignés, Gar Smith s’arrête et prend 40 photos, une toutes les deux minutes, soit 20 en faisant face à l’est, au lever du soleil, puis 20 en faisant face à l’ouest, au coucher du soleil. Cette taxonomie permet de disséquer la progression et la régression de la lumière planétaire du pays. L’exposition qui en résulte à la Isaacs Gallery, à Toronto, en 1970, prend la forme d’une phalange de projecteurs de diapositives projetant 1 200 images sur le mur de la galerie, qui constitue le panorama de l’artiste. L’exposition est ensuite présentée au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, à la Vancouver Art Gallery et à la Biennale de Paris, en France. Gar Smith n’a que 24 ans.
Rapidement après Notes on Light, Gar Smith présente une exposition pleine d’esprit, presque sinistrement irrévérencieuse, intitulée Notes on Light: Prints and Flags (1971). Cet astucieux exercice d’antiromantisme consiste en une série de photostats granuleux en noir et blanc tirés de certaines diapositives aux couleurs luxuriantes de Notes on Light. Finies les opulentes rapsodies Technicolor de l’année précédente. Il n’en reste que des résidus. Documentaire défraîchi. Retrait d’une beauté facile qui suscite une méfiance presque hostile.
Avenir
Après ces expositions, Gar Smith voyage pendant quelques années en Europe, en Afrique, en Inde et dans certaines parties de l’Asie, documentant son périple, mais surtout les personnes qu’il rencontre, dans un journal filmé en 16 mm. De retour au Canada, il tire de ces portraits rapidement filmés, 275 photographies sur pellicule en noir et blanc de 35 mm, qu’il présente en 1973 dans le cadre d’une exposition intitulée Avenir au Musée des beaux-arts de l’OntarioIl y a dans ces portraits un effet de spontanéité, de quasi-désinvolture qui, comme dans les précédents paysages en noir et blanc, court-circuite efficacement toute joliesse qui plaît aux foules ou le confort inauthentique d’une beauté trop volontaire.
Photographie sans appareil photo
Après les portraits vient un passage prolifique à la photographie sans appareil photo. Gar Smith laisse des feuilles de papier photographique à la lumière, y projette des faisceaux laser, puis y disperse des miettes de baguette (Earth Stars, Future Markets, 1978), des gouttelettes d’huile, des lentilles, des pièces d’un cent ou, dans le cadre d’une longue série d’explorations de plus en plus provocantes, des balles. Davantage politiquement perturbants que visuellement décoratifs, ces puissants photogrammes servent à dénoncer la faim dans le monde, l’agitation sociale et l’émergence de la violence. Ils étaient en avance sur leur temps.
De même, les ambitieux moulages, semblables à des gravures, que réalise Gar Smith de 1985 à 1988 sur de véritables affleurements du Bouclier canadien, dans le nord de l’Ontario, étaient en avance sur leur temps. L’artiste applique du latex liquide sur des surfaces rocheuses qu’il laisse ensuite sécher pour qu’il durcisse. Il utilise ensuite ces surfaces pour réaliser d’étranges moulages en bronze de cloche qui ressemblent à des masques expressifs. La terre muette (et trop souvent souffrante) est ainsi anthropomorphisée. Gar Smith fait parler la paroi rocheuse.
Sculptures de cloches
La dernière période de la carrière de Gar Smith se caractérise par ses étonnantes sculptures de cloches. Les premières (qui sont davantage des gongs que des cloches) sont réalisées en 1975. Inspiré par son séjour en Inde, Gar Smith commence à faire des moulages en bronze de pain indien chapati. La faim devient ainsi un son transmissible. En 1981, pour une exposition intitulée The Food of Love, il transforme des assiettes Duralex bon marché en cloches de laiton, offrant ainsi la musique comme nourriture de l’amour.
Au cœur de la fabrication de ses cloches, et au cœur de la progression transformatrice de son œuvre se trouvent les cloches en laiton qu’il réalise au sommet de son art pour son exposition virtuose de 1985 intitulée, I Give Bliss, I Give Warning. Cette série de cloches reprend les formes chargées d’histoire de la fabrication humaine : une flèche de cathédrale, un élévateur à grains, une cheminée, un gratte-ciel, un phare, un obus de missile et un socle imposant en forme d’aiguille de Cléopâtre. C’est le monde bâti, en état de ravissement, avec une touche démoniaque.
Sa dernière œuvre, réalisée pour l’édifice de l’ambassade canadienne, à Tokyo, au Japon, est presque apocalyptique en esprit et en performance. Deux gigantesques cloches de 21 mètres de large et de 1 400 kg traversent l’édifice comme d’immenses parenthèses, l’une au-dessus de l’eau, l’autre au-dessus d’un pont. Elles sont « jouées » au gré du vent qui se déplace sur leurs surfaces bigarrées.
Collections
Les Archives et collections spéciales de l’Université York conservent une partie de la correspondance de Gar Smith. La collection Notes on Light est conservée au Musée des beaux-arts du Canada et la collection The Food of Love, au Musée des beaux-arts de Winnipeg. La Banque d’œuvres d’art du Conseil des Arts du Canada conserve également plusieurs autres œuvres.