Article

Jehin-Prume, Frantz

Frantz (François-Henri) Jehin-Prume (né Jehin). Violoniste, compositeur, professeur (Spa, Belgique, 18 avril 1839 - Montréal, 29 mai 1899). Premier prix (Cons. royal de Bruxelles) 1852.
Frantz Jéhin-Prume
Le violonist Frantz Jéhin-Prume (avec la permission de Bibliotheque et des archives nationales du Quebec ).\r\n

Jehin-Prume, Frantz

Frantz (François-Henri) Jehin-Prume (né Jehin). Violoniste, compositeur, professeur (Spa, Belgique, 18 avril 1839 - Montréal, 29 mai 1899). Premier prix (Cons. royal de Bruxelles) 1852. Petit-fils d'organistes belges, il commença l'étude du violon à quatre ans avec Nicholas Servais et fut admis l'année suivante au Cons. de Liège dans la classe de son oncle, François Prume, frère de sa mère, dont il ajouta le nom au sien en 1849, après la mort de ce dernier. Il entra ensuite au Cons. royal de Bruxelles dans la classe d'Hubert Léonard et dans la classe d'harmonie de Fétis. Tout en poursuivant des études scientifiques, il perfectionna son jeu avec les plus grands maîtres : de Bériot, Wieniawski et Vieuxtemps. Après s'être produit comme soliste à Bruxelles, à Liège et à Spa (1852-54), Jehin-Prume fit une première tournée d'Europe, en Allemagne, Pologne, Autriche et Russie (1855-57). Ses succès lui valurent de nombreuses décorations ainsi qu'une nouvelle tournée en Allemagne et en Russie, pays où il séjourna en 1857-58, se produisant à Moscou et Saint-Pétersbourg à des concerts auxquels participaient des célébrités comme les frères Rubinstein et Jenny Lind. Il retourna ensuite en Belgique (1858) où il reprit l'étude de l'harmonie et s'adonna à la composition. De 1860 à 1862, il donna de nombreux concerts en Hollande, en France et en Belgique, puis fut nommé violon solo au Théâtre royal de Liège (1862), poste qu'il ne conserva que quelques mois. La même année, il fit une nouvelle tournée en Allemagne (où Meyerbeer l'accompagna au piano à Potsdam), suivie de concerts en Scandinavie et en Hollande. À son retour à Bruxelles (1863), il fut nommé par Léopold 1er« violoniste de la musique particulière du roi », succédant à Charles de Bériot.

Jehin-Prume accepta ensuite de se rendre au Mexique (1864) à l'invitation de l'empereur Maximilien qui avait épousé la princesse Charlotte, fille de Léopold 1er. Il donna d'abord plusieurs concerts au théâtre Impérial et pendant quatre mois se fit entendre dans le pays en dépit de la guérilla qui sévissait. Après un court séjour au Brésil, il se rendit à la Havane (1865) puis débarqua à New York au début de mai 1865. Peu après, il vint au Canada pour une partie de pêche et de chasse, invité par son compatriote, le violoniste Jules Hone. À la demande des Jésuites, il prêta aussitôt son concours à un concert de charité, à la salle du Gesù à Montréal, avec R.-O. Pelletier au piano. Subséquemment, D.H. Sénécal et Gustave Smith, délégués par des musiciens de Montréal, se rendirent auprès de l'artiste et lui firent promettre de ne pas quitter le pays sans se faire entendre dans un autre concert, lequel eut lieu le 1er juin à la salle Nordheimer, avec la participation de plusieurs musiciens montréalais, dont A.J. Boucher et Calixa Lavallée. Son succès fut tel qu'à la demande générale, il donna un troisième concert, au Mechanics' Hall, le 8 juin. Quelques jours plus tard, au cours d'une réception offerte par le maire J.-Louis Beaudry, il rencontra la cantatrice Rosita del Vecchio qu'il épousera le 17 juillet 1866 et qui lui donnera un fils Jules (1870). Pendant l'été 1865, il se fit entendre à Québec, Ottawa, Kingston, Toronto, Hamilton et London ainsi qu'à Detroit et New York, et donna par la suite d'autres concerts au Québec, dans les Provinces maritimes et aux États-Unis. À New York, il fut soliste au 101e concert de l'Orchestre philharmonique (16 décembre 1865). Avec sa femme, il donna de nombreux concerts au Canada et aux États-Unis, notamment à la Maison-Blanche en janvier 1867, puis à Cuba et en Belgique. Ils effectuèrent ensuite une grande tournée aux États-Unis et au Canada (1869-70) - 111 concerts dans 59 villes - avec la chanteuse Carlotta Patti et le pianiste Théodore Ritter. La chute de l'empire mexicain et la mort de Maximilien (1867) ainsi que son mariage décidèrent Jehin-Prume à se fixer à Montréal et à choisir le Canada comme pays d'adoption. Il allait avec sa femme jouer un rôle de premier plan dans le développement de la vie musicale de Montréal. Dans les premiers mois de 1871, il présenta au Mechanics' Hall « six concerts de chambre classiques ». Avec des collègues, il fit entendre des quatuors de Haydn, Mozart, Beethoven et Mendelssohn, des ouvertures et, à deux reprises, la Symphonie pastorale de Beethoven. Il joua lui-même des concertos de Viotti, Mendelssohn, Beethoven et Vieuxtemps. Il devint l'ami et le collaborateur de Calixa Lavallée à partir de 1875 et fut chef des choeurs et violon solo d'un orchestre de 58 instrumentistes lors des 18 représentations mémorables de Jeanne d'Arc de Gounod (1877) dans lesquelles sa femme tenait le rôle titre, sous la direction de Lavallée. Il fut prés. de l'AMQ (1877-78).

La mort prématurée de Rosita, le 11 février 1881, quelques jours après l'accouchement d'un enfant mort-né ou presque, aurait été, selon les documents de l'époque, un dur choc pour Jehin-Prume. Il se remaria néanmoins à Montréal le 24 mars 1882 avec Hortense Leduc, une jeune chanteuse. Jehin-Prume poursuivit ses tournées en Ontario, au Québec, au Nouveau-Brunswick et au Manitoba puis, avec sa nouvelle épouse, il retourna en Belgique et en France (1882) pour une dernière tournée. L'hiver 1883-84 vit la naissance d'un second fils, Gaston, dont on a perdu toute trace. En 1885, il rentra définitivement à Montréal afin de se consacrer surtout à l'enseignement. Avec d'autres musiciens montréalais, dont la pianiste Maria Heynberg, son frère Erasme (Spa, 2 juin 1845-1905), également violoniste, venu au Canada en 1888, le violoniste et altiste Robert Gruenwald et le violoncelliste Jean-Baptiste Dubois, il fondait en 1892 l'Assn artistique de Montréal, première société professionnelle de musique de chambre au Québec. En mai 1896, date de son dernier concert, l'association avait présenté un total de 31 manifestations.

Outre ses nombreux concerts au Québec avec Lavallée, Jehin-Prume avait participé, comme violon solo de l'orchestre, au premier concert de la Montreal Philharmonic Society (1877) et avait été soliste du Concerto de Mendelssohn avec la même société (1887). Au plus fort de l'Assn artistique, la santé de Jehin-Prume commença à décliner et il fut obligé de réduire son activité. Il donna son dernier concert public le 16 mai 1896, avec Victoria Cartier. Il n'en continua pas moins d'enseigner jusqu'au dernier moment. Citons, parmi ses élèves, François Boucher, Alfred De Sève, Béatrice La Palme et Émile Taranto.

Jehin-Prume s'est livré avec ardeur à la composition. Selon Une vie d'artiste, dont l'auteur présumé est son premier fils, Jules, la liste de ses oeuvres « principales » comprend 88 numéros d'opus, s'échelonnant de 1857 à l'année de sa mort. Un grand nombre sont des oeuvres pour le violon, dont deux concertos (op. 14 et 31), des fantaisies, polonaises, mazurkas, caprices et études ainsi qu'une sonate avec piano (op. 64), de même que des cadences pour des concertos de Viotti, Beethoven et de Bériot. On lui doit aussi des mélodies et romances pour chant et piano, diverses pièces détachées et transcriptions, quelques choeurs et un Oratorio dédié à Léon XIII, composé à Nicolet en 1885. Schott a publié quelques oeuvres, mais la plupart sont demeurées manuscrites et restent introuvables; des quelque 95 pièces pouvant lui être attribuées, seules une vingtaine sont aujourd'hui accessibles. La Bibliothèque nationale du Canada a fait en 1977 l'acquisition de cinq compositions manuscrites, dont quatre de sa propre main. D'autres copies d'oeuvres sont disponibles à la la BN du Q et à la bibliothèque de musique de l'Université de Montréal (collection Villeneuve).

Les dictionnaires Baker, Riemann et Thompson affirment qu'il fut l'un des professeurs d'Eugène Ysaÿe, mais le fils de ce dernier, Antoine, qui fut dir. des Éditions et de la Fondation Eugène-Ysaÿe à Bruxelles, a nié avec vigueur cette assertion dans une lettre à Gilles Potvin en date du 28 janvier 1971.

Premier musicien de réputation internationale à choisir le Canada comme pays d'adoption, Frantz Jehin-Prume demeure l'un des artistes les plus accomplis dont les annales musicales canadiennes puissent s'enorgueillir. Avec le concours de collègues comme Calixa Lavallée, Dominique Ducharme, Maria Heynberg, Romain-Octave Pelletier, Guillaume Couture et Paul Wiallard, il imprima à la vie artistique du Québec un élan des plus bénéfiques. Le poète Louis-Honoré Fréchette fut également un de ses amis.

Doué d'une prodigieuse technique, il était un musicien au goût sûr et raffiné. « Il sacrifiait à la mode du temps; c'est le seul reproche qu'on peut lui faire », écrivait Frédéric Pelletier qui ajoutait : « Mais ceux qui le connurent dans l'intimité, - je m'honore d'avoir compté parmi eux, - se rappellent quelle âme profondément artiste était la sienne et combien il savait comprendre les glorieux maîtres de son art. » Dans An Encyclopedia of the Violin (New York, Londres 1925; New York 1966), Alberto Bachmann a écrit : « Il possédait une technique superbe et une sonorité douce et pure. »

Son fils Jules (Montréal, 17 juin 1870 - New York, 1947) étudia la déclamation et le chant en Europe mais embrassa la carrière médicale. Il fut laryngologue et oculiste à Paris et à Montréal. Il est l'auteur d'une comédie, Si bémol, jouée en 1901 au Monument national, et d'un drame, Vitrix, créé en 1902 au théâtre National.