Années de jeunesse et de formation
Justine Lacoste est la sixième enfant d’une famille qui en compte 13. Elle est la fille de sir Alexandre Lacoste, un éminent avocat qui occupe au cours de sa carrière les postes de sénateur (1884-1891) et de juge en chef de la province de Québec (1891-1907), et de Marie-Louise Globensky, une grande philanthrope montréalaise. Ses sœurs Marie Lacoste-Gérin-Lajoie et Thaïs Lacoste-Frémont joueront un rôle important dans le mouvement pour les droits des femmes.
Enfant espiègle, rieuse et entreprenante, Justine Lacoste passe sa tendre enfance au 71 de la rue Saint-Hubert, à Montréal. À partir de 1884, elle est pensionnaire au Couvent d’Hochelaga dirigé par les sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie. En 1894, elle remporte la médaille de succès offerte par le lieutenant-gouverneur du Québecsir Joseph-Adolphe Chapleau.
À la fin de ses études, en 1895, elle participe aux bonnes œuvres en compagnie de sa mère. Elle rend notamment visite aux malades et aux mourants à l’Hôpital Notre-Dame et recherche des foyers d’accueil pour les orphelins de la crèche de la Miséricorde. C’est à cette époque qu’elle fait la connaissance de Louis de Gaspé Beaubien, qu’elle épouse le 25 octobre 1899 à la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes à Montréal. Homme d’affaires respecté, celui-ci fonde la maison de courtage Louis de Gaspé Beaubien et Cie Limitée en 1902 et devient président de la Bourse de Montréal en 1932.
Fondation de l’Hôpital Sainte-Justine
Au cours de ses premières années de mariage, le couple multiplie les voyages aux États-Unis et en Europe pour des motifs d’affaires. Justine Lacoste-Beaubien n’arrive pas à devenir enceinte et en est bien triste, car elle rêvait d’avoir une douzaine d’enfants. Aussi, lorsque la Dre Irma Le Vasseur lui demande en novembre 1907 de l’aider à fonder un hôpital pour enfants à Montréal, elle accepte sans hésiter. Peu de temps après, lors d’une réunion de fondation, Justine Lacoste-Beaubien devient présidente du conseil d’administration du nouvel hôpital, qui loge à ses débuts au 644, rue Saint-Denis à Montréal.
À cette époque, plus du quart des enfants meurent avant l’âge d’un an, tant en raison de la mauvaise qualité de l’eau et du lait que des conditions insalubres dans les logements ouvriers (voir Santé publique). Un hôpital voué aux enfants est devenu indispensable dans une grande ville industrielle comme Montréal, non seulement pour soigner ces enfants malades mais aussi pour éduquer les parents, notamment en matière de stérilisation du lait.
Dès l’ouverture de l’hôpital, Mme Lacoste-Beaubien travaille sans relâche avec les six autres femmes du conseil pour trouver non seulement de l’argent mais aussi de la literie, des morceaux de layette et du mobilier pour accueillir les premiers petits patients. Elle fonde à cet effet divers comités de femmes bénévoles qui existeront pendant plusieurs décennies. Le tout premier patient de l’hôpital est un enfant malade que Dre Le Vasseur hébergeait chez elle.
Lors des premières réunions du conseil, les administratrices décident de donner à l’hôpital le nom de Sainte-Justine, en l’honneur de cette martyre des débuts du christianisme et protectrice des enfants malades. Les objectifs et règlements de l’hôpital sont clairement définis et un bureau médical sous la présidence du Dr Joseph-Edmond Dubé, l’un des fondateurs de l’Œuvre des gouttes de lait, est mis en place. Les femmes du conseil d’administration, constitué en corporation, veillent à la gestion quotidienne de l’hôpital. Une loi est d’ailleurs votée le 25 avril 1908 afin qu’elles puissent gérer l’hôpital sans que la responsabilité incombe à leurs maris. Avant 1964 et l’adoption du projet de loi 16 mettant fin à l’incapacité juridique des femmes mariées, une femme devait avoir l’accord de son mari pour rédiger des contrats, être exécutrice testamentaire ou soutenir une action en justice (voir Femmes et loi).
Administratrice visionnaire et déterminée
Dès le printemps 1908, Justine Lacoste-Beaubien décide de déménager l’hôpital dans une maison plus grande située au 820, avenue de Lorimier, où 34 petits patients pourront être logés. Toutefois, en 1912, l’espace étant à nouveau trop exigu pour les besoins des malades, elle décide avec son conseil d’administration de voir à la construction d’un nouveau bâtiment. Après deux ans de demandes et d’engagements auprès de la population et du gouvernement, celui-ci est érigé au 1879, rue Saint-Denis. En raison d’un manque de financement, la fondatrice doit cependant attendre pour compléter son œuvre avec l’ajout de deux ailes. En 1914, après la construction de la première, l’édifice peut accueillir 80 patients et en 1923, après la construction de la deuxième, il compte 300 lits. Une quarantaine d’année plus tard, en 1956, juste avant son déménagement sur Côte-Sainte-Catherine, l’hôpital héberge jusqu’à 500 patients.
En plus du travail bénévole des dames du conseil d’administration, Justine Lacoste-Beaubien peut compter sur l’aide d’infirmières bénévoles et sur celle des garde-malades diplômées qui sont formées dès le début à l’école des infirmières de l’Hôpital (voir Soins infirmiers). On sait que tout au long de sa carrière, la gestionnaire a eu un souci constant de donner la meilleure formation possible tant aux infirmières qu’aux médecins, notamment en leur faisant faire des stages à l’étranger pour parfaire leurs connaissances scientifiques et pratiques.
En 1910, elle signe une entente avec la congrégation des Filles de la Sagesse, qui s’occupera de la régie interne de l’hôpital. Bien que les débuts de la relation aient été laborieux, Mme Lacoste-Beaubien, qui n’entend pas céder à toutes les demandes des religieuses en matière de gestion, finit par s’adapter à leur présence.
Au fil des ans, Justine Lacoste-Beaubien profite également des voyages qu’elle effectue avec son mari aux États-Unis et en Europe pour visiter des hôpitaux et des dispensaires et pour rencontrer des médecins spécialisés dans les soins aux enfants ainsi que des concepteurs et manufacturiers d’équipement médical. C’est ainsi qu’elle fait l’acquisition de nouveaux appareils médicaux pour le bénéfice de l’hôpital et de ses médecins. En plus de vouloir doter Sainte-Justine des appareils les plus modernes, elle souhaite qu’il devienne un centre universitaire d’études et de recherches affilié à l’Université Laval à Montréal (aujourd’hui l’Université de Montréal), afin que les finissants en médecine puissent y compléter leurs études en pédiatrie. L’entente à cet effet est signée entre les deux parties le 30 novembre 1914. Dès lors, la Faculté de médecine développe de nouveaux services médicaux à Sainte-Justine.
Réalisation du rêve
Au fil des années, la fondatrice rêve à nouveau pour son hôpital d’un édifice plus grand et surtout mieux adapté aux enfants malades. Ce rêve prend plus de 40 ans à se réaliser.
En 1946, elle fait l’acquisition d’un terrain sur le chemin de la Côte-Sainte-Catherine. En 1950, elle fait un don de 15 000 $ pour y faire construire une clinique de psychiatrie infantile, où elle installe son bureau. Après de nombreuses sollicitations, elle reçoit du gouvernement du Québec les trois millions de dollars nécessaires pour amorcer les travaux de construction de l’hôpital. Ceux-ci débutent le 29 novembre 1950. Sept ans plus tard, le 20 octobre 1957, les Montréalais assistent au déménagement des enfants malades de la rue Saint-Denis vers le nouvel Hôpital Sainte-Justine situé au 3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine. Au total, plus de 10 millions ont été investis dans la construction du nouvel édifice : 40 % venant de la population et 60 %, de la Ville de Montréal et des gouvernements du Québec et du Canada.
Départ de Sainte-Justine
Quelques années plus tard, Justine Lacoste-Beaubien doit s’adapter à la nouvelle politique de l’assurance-hospitalisation qui entre en vigueur le 1er janvier 1961. Tranquillement, elle doit céder du pouvoir administratif au directeur général, un poste devenu obligatoire dans tous les hôpitaux de la province. Elle quitte finalement la présidence du conseil d’administration le 18 mai 1966. À peine quelques mois plus tard, le 17 janvier 1967, elle s’éteint chez elle à l’âge de 89 ans. En 1969, grâce à un legs important fait à la suite de son décès, la Fondation Justine-Lacoste-Beaubien est créée pour encourager la recherche médicale.
Tout au long de sa vie, Justine Lacoste-Beaubien a été dévouée envers les siens et envers les enfants malades. Grâce à sa détermination, à sa ténacité et à son humour légendaire, elle a su gagner à sa cause la population québécoise et les divers ordres de gouvernement afin que l’Hôpital Sainte-Justine devienne un centre de santé et de recherches à la fine pointe de la technologie au service des enfants malades du Québec. Plus de 100 ans après sa fondation, elle serait sans aucun doute fière de la pérennité de son œuvre.
Prix et distinctions
Médaille Bene Merenti (pour services rendus à l’Église romaine) de Sa Sainteté le pape Pie XI (1927)
Officier de l’Ordre de l’Empire britannique (1934)
Doctorat honorifique de l’Université de Montréal (1936)
Honorary Fellow de l’American College of Hospital Administrators (1939)
Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique (1943)
Gouverneur de l’Association d’hospitalisation du Québec (1943)
Membre honoraire de l’American Hospital Association (1948)
Croix de l’Honneur de Sa Sainteté le pape Pie XII (1949)
Membre honoraire de la Société des femmes universitaires de Montréal (1950)
Membre honoraire du Cercle des femmes journalistes (1952)
Femme de l’année au Canada français, Cercle des femmes journalistes (1958)
Dame de grâce magistrale de l’Ordre de Malte (1958)
Membre honoraire de l’Association des femmes chefs d’entreprises mondiales (1959)
« Homme du mois », revue Commerce-Montréal de la Chambre de commerce de Montréal (1960)
Citoyen d’honneur, Comité du civisme de Montréal (1965)
Présidente d’honneur à vie de l’Hôpital Sainte-Justine (1966)