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Keiko Mary Kitagawa

Keiko Mary Kitagawa (née Murakami), O.B.C., survivante d’un camp d’internement, enseignante et militante pour les droits de la personne (née le 30 juillet 1934 sur l’île Salt Spring, en Colombie-Britannique). Mary Kitagawa est l’une des voix marquantes de la « génération silencieuse » de Canadiens d’origine japonaise ayant subi un internement pendant la Deuxième Guerre mondiale. Pendant l’internement de la communauté japonaise, la famille Murakami a été forcée de se relocaliser à dix reprises, se déplaçant d’un endroit misérable à un autre partout en Colombie-Britannique et en Alberta. Plus tard dans sa vie, Mary Kitagawa a visité des communautés partout en Colombie-Britannique pour raconter l’histoire de sa famille et sensibiliser les gens à la cause des victimes d’incarcération. Elle a notamment milité pour le changement à l’Université de Colombie-Britannique (UBC) et auprès de leaders politiques des trois paliers de gouvernement. En 2018, ses réalisations l’ont amenée à décrocher le plus grand honneur de sa province natale, l’Ordre de la Colombie-Britannique. À la retraite, elle a pris la parole lors de plusieurs événements pour faire connaître l’internement des Canadiens d’origine japonaise.

Mary Kitagawa

Jeunesse sur l’île Salt Spring

Quatrième enfant d’une famille de sept, Mary Kitagawa passe la majorité de son enfance à jouer sur les terres agricoles familiales. Habitant sur une grande propriété de 68 800 km2 (17 acres) située sur la route Sharp, la famille fait partie d’une communauté japonaise installée dans la partie nord-ouest de l’île Salt Spring. Les parents de Mary Kitagawa, Katsuyori et Kimiko Murakami (née Okano), achètent leur première propriété en 1932, non loin des grands-parents des enfants. La ferme des Murakami, qui abrite 5 000 poules, produit une abondance d’asperges, de baies et de légumes.

Adulte, Mary Kitagawa attribue sa ténacité à ses parents, tous deux guidés par des valeurs traditionnelles comme l’éducation, le travail acharné et la persévérance. Très ouverts à parler de politique, ils n’ont aucun mal à aborder avec leurs enfants des sujets difficiles comme le racisme. Ce type de conversation contribue à former l’activiste d’aujourd’hui. Dans un discours prononcé en 2019, Mary Kitagawa affirme : « Mes parents étaient des modèles pour moi. Ce sont eux qui ont fait de moi la personne que je suis. Ils m’ont enseigné à avoir le courage de défendre les autres. »

La famille Murakami en 1938

Internement pendant la Deuxième Guerre mondiale

En décembre 1941, le Japon attaque la base navale américaine de Pearl Harbor, à Hawaï. Le gouvernement du Canada déclare alors la guerre au Japon. (Voir Deuxième Guerre mondiale.) Peu de temps après, des agents canadiens décident d’emprisonner les Canadiens d’origine japonaise en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. Tout comme 22 000 autres Nippo-Canadiens, la famille Murakami voit son mode de vie et sa communauté disparaître en quelques mois à peine.

Le 17 mars 1942, Kimiko Murakami et ses enfants assistent, horrifiés, à l’arrestation de Katsuyori Murakami par un agent de la GRC. Mary Kitagawa, alors âgée de 7 ans, peut voir le pistolet du policier à la hauteur de ses yeux lorsqu’il pousse son père à l’arrière de son véhicule et l’emmène.

Un peu plus tard, le reste de la famille sera chassé de la maison. Kimiko Murakami et les enfants sont alors envoyés dans des granges du parc Hastings, autrefois occupé par des animaux en cage. Cet endroit, très sale, est imprégné d’une odeur fétide d’urine et d’excréments. Au camp suivant, situé à Greenwood, la famille apprend que Katsuyori Murakami est toujours en vie et qu’il est détenu dans un camp de travail au col Yellowhead. La famille réussit enfin à se réunir sur les plantations de betteraves à sucre de Magrath, en Alberta. Assignés à une petite chaumière, ils sont forcés de boire à même un bassin où s’abreuvent les chevaux et les vaches. En raison des mauvaises conditions de vie en Alberta, la famille est déplacée à nouveau, cette fois-ci en Colombie-Britannique. Elle passe tour à tour par Popoff, Bay Farm, Slocan, Rosebery et New Denver. Les Murakami sont ensuite renvoyés sur deux fermes de Magrath, en Alberta, séparés. Ils s’installent finalement tous ensemble à Cardston, en Alberta, où ils gèrent avec peine un restaurant pendant cinq ans.

La famille Murakami en juin 1943

Vie après l’internement

En 1949, la Loi sur les mesures de guerre est abrogée. Il faut toutefois attendre 1954 pour que la famille revienne à l’île Salt Spring, soit 12 ans après son incarcération. À leur retour, les Murakami n’ont plus rien : le gouvernement a saisi et vendu tous leurs biens pendant leur exil. Grâce aux économies réalisées avec leur restaurant en Alberta, ils recommencent leur vie sur un terrain broussailleux sur la route Rainbow.

Après l’incarcération, la vie sur l’île est marquée par des épisodes de racisme perfide et de menaces de mort. Par exemple, lorsque Mary Kitagawa souhaite se lancer dans une carrière en enseignement sur l’île, elle peine à trouver un emploi. Le conseil scolaire lui annonce d’ailleurs qu’elle n’est pas la bienvenue en raison de son ascendance japonaise. Elle réussit finalement à trouver un poste à l’école secondaire Kitsilano de Vancouver et dans le district scolaire de Delta. Lorsque ses deux enfants terminent leurs études secondaires, Mary Kitagawa cesse d’enseigner pour se consacrer à d’autres intérêts.

Militantisme

Pendant sa retraite, Mary Kitagawa suit quelques cours de japonais et d’études asiatiques à l’UBC. Elle y rencontre le professeur René Goldman, qui l’encourage à raconter l’histoire de sa famille et les événements traumatisants liés à son incarcération. Elle commence alors à donner des conférences dans des écoles et pendant des événements communautaires, revivant chaque fois son passé douloureux.

Un autre moment important de la vie de Mary Kitagawa survient en 2006, lorsqu’elle découvre un article du Vancouver Sun portant sur un édifice fédéral de Vancouver nommé d’après Howard Green. Ancien député conservateur, cet homme a autrefois encouragé la délocalisation des Canadiens d’origine japonaise. Mary Kitagawa, ayant si souvent entendu son nom prononcé dans sa jeunesse, le reconnaît aussitôt, même des années plus tard. La même année, elle écrit une lettre au gouvernement fédéral pour s’opposer au choix de nom de l’édifice. Grâce aux pressions qu’elle exerce, l’édifice est renommé en 2007 en l’honneur de Douglas Jung, premier député canadien d’origine chinoise.

On dit que les réussites de Mary Kitagawa sont particulièrement remarquables : sans aucune position de pouvoir, elle a réussi à atteindre ses objectifs en tant que simple citoyenne. Pour elle, l’une des causes les plus difficiles, mais gratifiantes aura été de convaincre l’Université de Colombie-Britannique d’offrir des diplômes honorifiques à 76 étudiants d’origine japonaise ayant été expulsés en 1942. Après un premier rejet de la demande et quatre ans de pressions, une cérémonie est finalement organisée en 2012. Parmi les 76 anciens élèves, seuls 23 sont encore en vie au moment de la remise des diplômes. L’établissement décide également de fonder un programme d’études sur la réalité asiatique-canadienne et l’immigration asiatique pour rendre hommage aux étudiants expulsés. Huit ans après la cérémonie, Mary Kitagawa reçoit elle aussi un diplôme honorifique de l’Université de Colombie-Britannique, qui reconnaît ses efforts militants.

Mary Kitagawa est également connue en tant que membre du comité des droits de la personne de l’Association des citoyens nippo-canadiens du Grand Vancouver. Elle est d’ailleurs du nombre de ceux qui réussissent à convaincre le conseil municipal de Vancouver de présenter ses excuses en 2013 pour une motion adoptée à l’unanimité en 1942, soit celle visant à « expulser les sujets d’un pays ennemi de la côte du Pacifique et du centre du Canada ».

Mary Kitagawa et son époux, Tosh Kitagawa, ont voué leur vie au développement d’une société plus juste. Au fil des ans, ils ont consacré temps et énergie à différents organismes en Colombie-Britannique, comme Landscapes of Injustice, le festival Powell Street et la Japanese Garden Society de l’île Salt Spring. Fidèles à leur esprit généreux, ils ont aussi joué le rôle de mentors à plusieurs reprises.