Andrew Leslie Les Miller (source primaire) | l'Encyclopédie Canadienne

Project Mémoire

Andrew Leslie Les Miller (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Andrew Leslie Les Miller a servi dans l'armée pendant la Deuxième Guerre mondiale. Lisez et écoutez le témoignage d'Andrew Miller ci-dessous.

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

Les Miller
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Photographie de groupe du premier peloton, 1940.
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Groupe de sergents et adjudants pris à la seconde division du quartier général à Nijmegen, Pays Bas, 1944. Andrew Miller est en haut à gauche.
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Andrew Miller (à droite) à Hochwald Forest, Allemagne, 1945.
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Andrew Miller avec son unité, portant les premiers uniformes attribués en 1939.
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Camp Shilo, Brandon, Manitoba en 1940.
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« Nous avons été obligés de les tuer. » Et j’ai pensé que c’était très impressionnant comme phrase : « Nous avons été obligés de les tuer. » Une bande de gamins qui n’avaient aucune idée de ce qu’ils faisaient.

Transcription

Je suis Les Miller, comme on m’appelle généralement, même si on pouvait autrefois m’appeler Andrew Leslie Miller. Je suis né au Manitoba et j’y ai grandi sur une ferme. La guerre avait éclaté et, bien entendu, j’avais facilement trouvé du travail. J’étais allé à Winnipeg rendre visite à mon frère, qui avait été dans la Milice et s’était déjà enrôlé. Alors, évidemment, on l’avait aussitôt appelé. Et je lui rendais donc visite.

Nous nous sommes retrouvés au manège militaire, le Minto Armouries [qui fait partie des Royal Winnipeg Rifles, au Manitoba], et il m’a demandé si je comptais m’enrôler. Je lui ai répondu que je n’en savais rien. Il s’est alors tourné vers son sergent pour lui dire : « Voici mon frère, il veut s’enrôler. » Le sergent a répondu : « Eh bien, allons-y tout de suite pour qu’il soit payé à compter d’aujourd’hui. » Je crois que c’était un dollar par jour, et c’était beaucoup d’argent à l’époque.

C’est ainsi qu’en 15 minutes, je me suis retrouvé dans l’armée. À la ferme, j’avais rêvé de combats après en avoir entendu parler. Et avoir vu des films de guerre, bien entendu. Or j’étais inquiet car j’avais fait trois rêves dans lesquels il y avait des combats, et je leur tournais le dos à chaque fois pour m’enfuir. En fait, je craignais ma réaction en cas de véritables combats. Et je crois que c’était l’un des facteurs de mon indécision face à l’armée.

Lors du débarquement en France, il y a eu cet épisode où notre régiment a servi de diversion. Nous faisions partie des « armées fantômes » du général américain George S. Patton, qui voulait faire croire aux Allemands que nous allions traverser la Manche pour débarquer à Calais [France]. Mais nous n’avions aucune intention de le faire. Ce n’est qu’un mois plus tard que notre division s’est rendue en France. Toute la division est restée deux nuits sur la côte, le temps de s’organiser et de rassembler le matériel. J’ai pu en profiter pour revoir mes frères au régiment, l’un d’eux pour la dernière fois, et je me souviens qu’ils m’avaient conseillé de toujours garder la tête baissée pendant un combat.

C’est la nuit suivante qu’on a reçu l’ordre de prendre le relais de la 3e Division, qui était censée avoir pris l’aéroport de Carpiquet. Nous avons roulé de nuit à bord de notre véhicule de fonction, et c’était un curieux spectacle de voir à notre arrivée tous ces pauvres fantassins qui se réveillaient en sachant ce qui les attendait. Nous nous sommes arrêtés près d’un mur de briques, et on nous a dit que nous ne pourrions pas nous installer avant le lendemain matin. Si bien qu’on en a profité pour dormir. Car c’est ce qu’on fait toujours dans l’armée, on profite du moindre moment pour prendre un peu de sommeil.

C’est le bruit des tirs au mortier qui nous a réveillés, les fameux moaning minnies. En regardant au-dessus du mur, on a vu qu’ils provenaient du champ d’atterrissage. C’est donc dire que l’aéroport n’avait pas été repris à l’ennemi. Et bien sûr, on s’est demandé ce que nous faisions là en tant que Quartier général divisionnaire, car jamais nous n’aurions dû nous approcher aussi près des combats.

Mais tant qu’à faire, un autre type et moi, un autre sergent en fait, avons décidé de faire le tour de la zone pour voir ce qui se passait. Et tout juste de l’autre côté de la route, il y avait une ferme dont le sol était jonché d’animaux morts, les équipements détruits et les bâtiments en ruine. Nous avons traversé à une intersection menant à la zone adjacente pour y découvrir les corps de 80 Allemands, à l’évidence un bataillon de parachutistes. Et ça ne m’a pas dérangé le moins du monde ! Surtout parce que mon camarade, qui avait fait la Première Guerre mondiale, a contemplé le charnier en s’exclamant : « Me revoici, les gars ! ». Alors, croyez-le ou non, il s’est mis à faire les poches de tous ces cadavres d’Allemands. J’étais sidéré, mais j’ai bientôt fait comme lui.

C’est l’un des aspects les plus étranges de la guerre. On suit un entraînement. On s’attend à voir des cadavres. Et pour ma part, ça me laissait impassible. J’étais jeune et j’avais les nerfs solides. Si bien que moi aussi, j’ai commencé à fouiller dans leurs poches. Mais elles étaient vides, évidemment, parce que d’autres étaient passés avant nous, comme c’était souvent le cas.

Puis mon camarade est rentré au quartier général, avec notre camion de fonction en fait, et j’ai marché seul le long de la route pour tomber sur le premier Canadien abattu que je voyais. Il était assis dans la tranchée, son dos criblé de balles. Et une semaine plus tard environ, je traversais notre campement quand j’ai croisé un officier qui m’a arrêté en me disant : « Au fait, sergent, votre frère a été tué. » Je lui ai demandé lequel des deux et il m’a répondu : « Aucune idée. » Alors, bien entendu, j’étais intéressé par la nouvelle, mais j’ai vu qu’il s’en fichait éperdument. Et j’ai dû me débrouiller pour savoir lequel de mes frères était mort et ce qui s’était passé.

Je me suis rendu donc rendu au régiment en quête de précisions. Je suis tombé sur un groupe qui n’avait pas participé aux combats ce jour-là, et j’y ai appris quelque chose qui ne m’avait jamais traversé l’esprit. En entrant dans le campement, je les ai trouvés assis en cercle et plutôt silencieux. Nous avons discuté un peu et j’ai tout à coup lancé : « On devrait tous les tuer, ces salauds. » Alors le sergent m’a demandé si j’avais pris part aux combats. Je lui ai répondu que non, et il a ajouté : « Eh bien, tu devrais attendre de l’avoir vécu avant de faire des remarques du genre. » Je lui ai demandé ce qu’il voulait dire. « Nous étions là aujourd’hui, a-t-il répondu. Et nous avons dû attaquer un groupe de mitrailleurs allemands. De très jeunes gars qui hurlaient et gémissaient en tirant partout. Je crois qu’ils n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils faisaient. » Puis il a terminé par ces mots : « Nous avons été obligés de les tuer. » Et j’ai pensé que c’était très impressionnant comme phrase : « Nous avons été obligés de les tuer. » Une bande de gamins qui n’avaient aucune idée de ce qu’ils faisaient.

C’est alors que j’ai changé d’avis. Il faut toujours voir les deux côtés et chercher à comprendre l’autre. J’avais mal jugé l’ennemi, qui disait sans doute la même chose de mon propre frère. « Ils ont été obligés de s’entretuer », pourrait-on dire. Et tout simplement, j’en ai tiré une leçon qui m’a aidé à faire face à tous les problèmes que la vie m’a réservés par la suite.