Project Mémoire

Balado États de service épisode 4 : Libération

La série de balados États de service est présentée par le Projet Mémoire, un programme d’Historica Canada. Dans cette série, nous vous présenterons des entrevues avec des vétérans canadiens –leurs vies, leurs pertes et leur service militaire – afin de construire un portrait des expériences de prisonniers de guerre canadiens. (Cliquez ici pour la série au complet.)

Ce dernier épisode de la série porte sur la libération de deux prisonniers de guerre, Armand Émond et Jean-Paul Dallain. Il abordera aussi l’expérience des vétérans qui devaient effectuer la transition à la vie civile après avoir passé des mois ou des années dans des camps de prisonniers.

Crédits: Marcel Pequel – Four, Kai Engel – Summer Days

Transcription

Armand Émond : « Le plus beau jour de ma vie c’était le 13 avril, la journée de la libération. Ah, pour moi, ça a été le plus beau cadeau de ma fête. »

Stéphanie Zidel : Bienvenue à la série de balados États de service présenté par le Projet Mémoire, un programme de Historica Canada. Ici votre animatrice Stéphanie Zidel. Dans cette série, nous vous présenterons des entrevues avec des vétérans canadiens. Ils vous raconteront le récit de leurs vies, de leurs pertes et leurs services militaires. Cette série nous permettra d’explorer différents extraits issus de témoignages du Projet Mémoire afin de construire un portrait des expériences de prisonniers de guerre canadiens lors de la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui, nous aborderons le thème de la libération. Tout d’abord, un avertissement. Certaines histoires pourraient ne pas convenir à un jeune public.

Au cours du dernier épisode, nous avons entendu des histoires de tentatives d’évasion, des réussites et des échecs. Lors de cet épisode, nous explorerons des récits de libération et nous aborderons la pratique des «marches de la mort». Nous mettrons aussi en lumière le lourd impact émotionnel chez les prisonniers bien après la guerre. Au tout début, M.Émond s’est réjoui de sa libération qui a coïncidé avec le jour de son vingt-sixième anniversaire. Il nous raconte cette expérience.

Armand Émond : « Nous sommes parties de la Pologne et nous avons marché jusqu’en Allemagne pendant sept semaines. Et puis des fois, il y avait du manger, quand on voyait des champs de carottes ou quelque chose, on allait arracher les carottes pour manger. Ça, ils appelaient ça la « marche de la mort ». Il y en a qui sont morts en chemin, ça a duré sept semaines puis c’est là qu’on a rejoint les Américains. Les Allemands, ils ne voulaient pas que les prisonniers soient pris par les Russes, alors les Allemands nous sont rentrés en Allemagne. Alors les Russes s’en venaient sur l’autre côté. Puis même les Allemands – soldats – ne voulaient pas se faire ramasser par les Russes non plus. Alors, ils s’en allaient sur le côté des Américains. C’était l’armée du général Patton. C’est eux autres qui nous ont encerclés dans une place puis on était pris au milieu de ça. On était encerclés par l’armée américaine. C’est ça qui nous a sauvés! »

SZ : La guerre en Europe a pris fin le 8mai 1945. Mais en automne 1944 jusqu’en avril 1945, les nazis et leurs collaborateurs ont commencé à châtier leurs prisonniers militaires et civils en les forçant à marcher jusqu’à la mort. Les nazis cherchaient à déplacer les prisonniers des camps près des fronts de guerre qui changeaient progressivement alors que les Alliés gagnaient plus de terrain. Ce châtiment était responsable de la mort de centaines de milliers de personnes sur les routes des forces de l’Axe. Si un prisonnier n’arrivait plus à se tenir droit ou à marcher sans aide, il était tiré à vue.

Armand Émond : « Ah, c’était une belle journée pour nous autres. Nous autres, quand nous avons rencontré, quand nous avons fait face aux chars blindés américains, ils ont vu qu’on était des Canadiens, des Britanniques parce qu’on était tous habillés en kaki alors ils nous ont laissé passer. Alors les gardes allemands qui étaient avec nous autres, ils ont jeté leurs carabines par terre puis ils ont crié en allemand : « der Krieg ist fertig » ce qui veut dire en français « la guerre est finie » parce qu’ils ne voulaient pas se faire prendre prisonniers des Russes en arrière. Alors ils aimaient mieux d’être prisonniers des Américains. »

SZ : En général, les troupes allemandes préféraient se rendre aux alliés occidentaux plutôt qu’aux forces soviétiques. Depuis l’invasion catastrophique de l’Union soviétique en 1941, les conditions éprouvées par les prisonniers soviétiques étaient nettement pires. Au cours du reste de la guerre, des centaines de milliers de prisonniers de guerre soviétiques sont décédés de faim, de maladies et aux mains de tortionnaires allemands. À cause de ces pratiques, les militaires allemands craignaient la vengeance soviétique. Un commandant de compagnie de la 352 Volksgrenadier a d’ailleurs écrit aux familles des hommes disparus : « Les Américains en face de nous se battent correctement. Ils traitent bien nos prisonniers et les nourrissent. »

Armand Émond : « Le plus beau jour de ma vie c’était le 13 avril, la journée de la libération. Ah pour moi, ça a été le plus beau cadeau de ma fête. Puis trois jours avant j’avais René Cardinal. »

SZ : Son camarade.

Armand Émond : « Puis je lui ai dit, je savais qu’on était en Allemagne, j’ai dit : « J’espère que la guerre va être finie pour ma fête! » Alors il est parti à rire. Et je me souviens que je ne me suis pas trompé, le 13 on était libérés. Oh, mon Dieu, quel soulagement! J’en voudrais plus de la guerre. Voyez-vous, la guerre là, ils se sont battus et puis le lendemain de la guerre ils étaient prêts à recommencer. »

SZ : N’oubliez pas que la guerre froide a duré jusqu’en 1991.

Armand Émond : « Alors si les peuples se donnaient tous la main entre eux autres on n’aurait pas de guerre. C’est ça le souhait que je leur souhaite : l’harmonie entre les peuples! »

SZ : La guerre a duré trois mois de plus dans le théâtre du Pacifique. Les Alliés se préparaient à mettre fin à la guerre en utilisant des armes d’une force jamais vue auparavant. Dans les camps de prisonniers japonais, des centaines de soldats canadiens et alliés étaient déjà décédés de maladie ou de faim. Un grand nombre de survivants allaient également subir des marches de la mort avant leur libération.

Jean-Paul Dallain a été capturé lors de la bataille de Hong Kong et a été transféré au camp de Niigata, au Japon, où il a enduré des travaux forcés.

Jean-Paul Dallain : « Le dernier mois qu’on allait au travail, les avions américains venaient, et les bombardiers passaient la nuit, alors pensant qu’on se lève et qu’on allait passer la moitié de la nuit dans des souterrains pleins de puces, à se faire mordre à mort. Le lendemain matin, on allait travailler et là, là aussi ils venaient […] tirer de la mitraillette par avion dans notre camp, où on était au travail. Mais eux-autres, ils ne savaient pas qu’on était là. Mais nous, on s’est dit, ceux qui connaissaient ça, puisque ce sont des avions basés sur des porte-avions, les Américains contrôlent l’air, puis contrôlent la mer. C’est une question de temps. Les Japonais… on ne voyait jamais leurs avions ni rien. Et même une fois pendant qu’on était après le travail, pendant qu’on était en train de se faire fouiller, compter, avant de prendre la route et on a entendu un gros bang sur notre havre de mer–on a travaillé sur le bord de la mer pendant un temps. »

Brigitte d’Auzac : Bonjour, mon nom est Brigitte d’Auzac, vice-présidente de Historica Canada. La façon dont nous voyons le monde aujourd’hui est influencée en grande partie par notre passé. Le bon comme le mauvais. C’est là qu’entre en jeu nous balados. Des balados comme Pensionnats indiens, une série en trois parties créée afin d’honorer les histoires des survivants, de leurs familles et communautés et afin de commémorer l’histoire et l’héritage des pensionnats indiens au Canada.

Riley Burns : « Je ne voulais pas être un Indien. Je ne savais pas qui je voulais être. Je n’étais pas accepté par l’homme blanc. Je n’étais pas accepté par mon propre peuple dans ma réserve. »

Brigitte d’Auzac : Inscrivez-vous aux baladodiffusions de Historica Canada pour une exploration en profondeur de notre passé. Vous pouvez écouter Pensionnats indiens sur Apple Podcast, Spotify, ou en visitant l’Encyclopédie canadienne.ca. Ne cessez jamais d’apprendre.

SZ : Après avoir bombardé le port voisin, les troupes américaines ont libéré le camp de Niigata et ont hébergé les prisonniers.

Jean-Paul Dallain : « On a pris le train et nous sommes allés à Yokohama nous faire examiner par les médecins américains. De là, on s’est rendu… j’étais sur un bateau qui transportait des bateaux d’assaut, le derrière du bateau s’ouvrait et c’était fait pour transporter 1500 hommes à peu près, pour une invasion. De là on s’est rendu à l’île de Guam. À l’île de Guam là, on voyait, c’est de là que ça partait pour aller bombarder le Japon ceux que j’ai dû voir dans la nuit-là. Et puis on voyait des B-29 à perte de vue, pas croyable! Des grandes bâtisses comme des granges remplies seulement d’enveloppes et de papiers pour la bureaucratie, pas croyable les Américains! Dans ce temps-là ils s’étaient rendus à 6 000, 7 000 miles de chez eux. »

SZ : Monsieur Dallain n’a pas vu la grande évolution de la technologie militaire au long de la guerre, ni la rapide prolifération des troupes américaines. Puis, ils ont eu le droit de débarquer à Pearl Harbor pour un bref repos.

Jean-Paul Dallain : « Puis de là, à San Francisco par train jusqu’à Seattle ou Victoria. Là quatre, cinq jours à Victoria. À chaque endroit, on restait quatre, cinq jours pour s’acclimater un peu après quatre ans à ne rien voir. Au Canada, des gens sont venus nous donner des conférences. On ne savait pas ce qui s’était passé depuis 1941. »

SZ : Il n’est pas difficile d’imaginer le choc culturel qu’il a ressenti après quatre ans de captivité et d’avoir été confronté à un monde totalement différent. Les pouvoirs mondiaux avaient radicalement changé. Des millions de vies avaient été perdues et un énorme nombre de vétérans devaient rapidement retourner à la vie civile. À leur retour au Canada, parfois retardé, les vétérans étaient censés reprendre leur place avec leurs proches et retrouver leur vie d’avant-guerre. Ceux qui souffraient de troubles psychiatriques ou de graves blessures ont peiné à faire la transition. Un grand nombre ont vécu de grandes parties de leur vie souffrant de symptômes d’épuisement au combat, actuellement connu sous le nom de trouble de stress posttraumatique. Beaucoup avaient aussi des sentiments de culpabilité du survivant.

L’archive du Projet Mémoire contient peu de témoignages concernant les difficultés éprouvées par les vétérans à leur retour du combat. Il est possible qu’ils avaient de la difficulté à en parler ou qu’ils préféraient se confier à des gens qui avaient vécu les mêmes expériences, ou ils ne savaient pas quoi dire. Il voulait simplement retourner à la vie normale.

Néanmoins, Jean Cauchy, l’aviateur qui a passé quatre mois et demi dans un stalag en Allemagne, a indiqué qu’il est toujours difficile pour lui de s’exprimer à ce sujet.

Jean Cauchy : « J’ai donné beaucoup de cours et j’ai fait part de mon expérience à des élèves de primaire, secondaire et ainsi de suite parce que j’ai été nommé colonel honoraire de l’escadrille 425. Avant ça, il n’y était pas question de raconter quoi que ce soit, même à ma famille, parce que je trouvais qu’il y a tellement de camarades qui sont décédés, sont morts, des jeunes qui ne vieilliront jamais. J’ai deux de mon équipage, un jeune mitrailleur et un bombardier pointeur, Fernand Piché et Yves Lamarre. Je pense à eux presque tous les jours ainsi que mon frère. Alors je me disais pourquoi eux et pourquoi si je trouvais comme une espèce de pudeur de pas parler de ça. Et c’était un peu injuste dans un sens. Pourquoi? Je suis vivant aujourd’hui grâce à… évidemment, j’ai la foi. Je pense que… non, c’est impossible parce que c’était vraiment l’enfer cette histoire-là. Mais encore une fois, j’étais volontaire. Alors c’est tout. Il faut que je subisse les conséquences de ça. Heureusement, je suis marié avec une femme spéciale, très jolie et surtout très intelligente et qui m’a supporté. Et grâce à elle, je suis encore vivant aujourd’hui, parce qu’autrement, seul, je n’aurais pas été capable de passer à travers. Je dois beaucoup à ma femme. »

SZ : Une dernière remarque de monsieur Dufour, le vétéran qui a été capturé en France après le débarquement en Normandie, qui encapsule les difficultés quotidiennes qu’il éprouve depuis son retour de la guerre.

Jean- Paul Dufour : « Il n’y a pas une journée que je ne suis pas rendu là. Le soir, des fois, je vais fumer un cigare dehors et puis je pars de l’Angleterre et je fais toute la « run ». Ça m’a pris trente-trois ans avant de commencer à en parler. »

SZ : Le Projet Mémoire est un programme de Historica Canada composé d’un bureau d’orateurs et d’une archive en ligne. Nous mettons les vétérans canadiens et les membres actifs des Forces armées canadiennes en communication avec les écoles et les groupes communautaires d’un océan à l’autre. Ce projet est rendu possible grâce au financement du gouvernement du Canada. Historica Canada est un organisme qui offre des programmes que vous pouvez utiliser afin d’explorer, d’apprendre et de réfléchir à notre histoire et à ce que signifie le fait d’être Canadien.

Visitez leprojetmemoire.com afin de parcourir nos entrevues archivées ou pour organiser la visite gratuite d’un orateur dans votre salle de classe ou lors d’un événement communautaire. Si vous êtes un vétéran ou un membre actif des Forces armées canadiennes, communiquez avec nous afin de découvrir comment vous pourriez devenir un orateur.

Avez-vous aimé notre série? Considérez faire un don à Historica Canada au historicacanada.ca. Si vous avez aimé cet épisode et désirez en apprendre davantage sur les vétérans canadiens et le TSPT au Canada, consultez l’Encyclopédie canadienne. Les textes supplémentaires utilisés dans cet épisode proviennent de notre programme affilié, l’Encyclopédie canadienne. Nous avons aussi consulté la monographie, « Armageddon: The Battle for Germany » de Max Hastings. Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et abonnez-vous au @HistoricaCanada.

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