« ... mais comme l’a dit Winston Churchill dans l’un de ses derniers discours au lendemain de la guerre, eh bien, il avait déclaré que "sans les femmes, nous aurions peut-être perdu cette guerre". »
Pour le témoignage complet de Mlle Crawley, veuillez consulter en bas.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Je m’appelle Helen Jean Crawley.
En 1942, des copines qui s’était enrôlées dans les forces armées m’ont dit : « Pourquoi ne t’enrôlerais-tu pas, toi aussi ? » Je leur ai répondu que je n’avais que 17 ans. « Oui mais, tu sais, on va rencontrer plein de types », m’ont-elles rétorqué. En Angleterre, on dit des « types » (fellas) plutôt que des « gars » (guys). Alors j’ai réfléchi, puis je me suis rendu au bureau de recrutement et j’ai dit que j’avais 18 ans. Disons que j’avais un peu falsifié mes papiers, mais ils n’ont rien remarqué. Je suis donc entrée dans l’armée à 17 ans, en 1942, et j’en suis sortie en 1946.
Je me souviens encore de mon numéro, le 175650, car on n’oublie pas ce genre de choses.
Alors beaucoup de gens les appellent des projecteurs, mais ce sont plutôt des phares de recherche, car ils servent à scruter le ciel. Et quand le Nº 7 faisait basculer l’interrupteur, la lumière jaillissait à une intensité de 12 000 bougies. Derrière le phare, il y avait une bâche et deux sièges, l’un ici et l’autre là, et l’on se retrouvait face à une sorte de petit poste de télévision d’environ 10 centimètres carrés. Cela s’appelait en fait un tube cathodique, et l’écran était traversé d’une ligne avec un V juste au centre, et dès qu’un point apparaissait dans ce V, il fallait crier « Sur la cible ! » On faisait alors basculer l’interrupteur et si tout allait bien, on pouvait éclairer l’avion que l’Artillerie royale devait viser et essayer d’abattre.
Nous restions toujours habillées pour dormir, retirant seulement nos bottes pour nous allonger sur le lit. Parce que s’il fallait se lever en pleine nuit, cela voulait dire que des avions ennemis étaient en route et qu’on avait 15 secondes pour se précipiter sur le matériel. Alors, il nous suffisait d’enfiler nos bottes et ça y était. Parfois nous restions près du matériel jusqu’à 3 ou 4 heures du matin. Et pour rester éveillées, nous chantions toutes sortes de chansons, comme « Show me the way to go home ». Puis nous allions dormir deux ou trois heures avant de nous relever pour faire l’entretien du matériel, qui devait se faire chaque jour, qu’on ait dormi ou pas.
À mes débuts dans l’armée, toutes les filles avaient coutume de sortir le soir et de se réunir dans un pub. Et bien sûr, je ne fumais et ne buvais pas. Je prenais parfois un verre ou deux, et j’ai dû en prendre un de trop un de ces soirs. J’étais ivre et deux filles ont dû me soutenir de part et d’autre pour rentrer au camp. Et comme un officier s’avançait vers nous, elles ont toutes deux lâché mon bras pour faire leur salut, et je me suis affalée aux pieds de l’officier (rires). J’avais eu ma leçon... Alors j’ai continué de sortir avec mes copines, mais je ne buvais plus que de la limonade.
Il y avait beaucoup d’hommes et ils nous faisaient parfois la vie dure, mais comme l’a dit Winston Churchill dans l’un de ses derniers discours au lendemain de la guerre, eh bien, il avait déclaré que « sans les femmes, nous aurions peut-être perdu cette guerre ».
Mais quand les bombardements ont plus ou moins cessé, vous savez, ils ne savaient plus trop quoi faire de nous. Alors une lettre est arrivée dans laquelle on nous demandait de nous porter volontaires comme estafettes. Et j’ai pensé que j’aimerais vraiment conduire une moto, si bien que j’en ai fait la demande et que l’on m’a envoyée dans le nord du Pays de Galles pour apprendre à conduire une motocyclette. Les gars détestaient cela et ont recommencé à nous harceler. Ils roulaient à nos côtés sur ces routes en gravier hautes comme des collines, puis s’approchaient jusqu’à nous faire tomber de nos motos. Oui, il fallait savoir comment amortir une chute. Ou encore, ils s’amusaient à renverser nos motos, qui étaient très lourdes et que nous devions redresser nous-mêmes. Je me souviens d’une fois où ma colère a pris le dessus, je me suis penchée et j’ai redressé ma moto pour l’enfourcher aussitôt et démarrer en trombe (rires).
Je roulais un jour dans les rues de Londres avec ces grosses bottes et ce grand pardessus que nous devions porter, et nous avions l’air affreux avec toute cette saleté, ce casque antichoc sur la tête et nos gants anti-moustiques. Et j’ai soudain eu envie d’aller prendre le thé au Union Jack Club, qui existe encore aujourd’hui. Alors j’y suis entrée et j’ai commandé mon thé, puis je suis allée aux toilettes et comme toutes les filles de l’armée – j’allais dire toutes les filles de l’ATS, car nous faisions partie du Auxiliary Territorial Service –, j’avais toujours un poudrier, un peigne et un rouge à lèvres dans la poche droite de mon manteau. Alors j’ai retiré mon casque dans les toilettes, et disons que je me suis un peu pomponnée. Puis je suis ressortie pour boire mon thé et il y avait là six ou sept soldats. En moins de deux minutes, trois ou quatre d’entre eux se sont retrouvés à ma table. J’étais une jolie blonde à l’époque (rires). Ils n’avait tout simplement pas remarqué que j’étais une fille quand je suis entrée avec mon casque antichoc sur la tête.
Il me reste de très beaux souvenirs de l’armée, et je m’enrôlerais à nouveau sans hésiter. Je suis très fière d’en avoir fait partie.