En 2012, le Projet Mémoire a interviewé Johanna Raymond (née Stadfeld), une ancienne combattante de l’Aviation royale canadienne pendant la Guerre froide. Johanna Raymond est née à Winnipeg, au Manitoba, en septembre 1932. Elle s’est enrôlée dans l’Aviation royale canadienne en 1951 et a servi jusqu’en 1955, d’abord comme opératrice de contrôle de chasse, puis comme dactylographe. Dans ce témoignage, elle évoque l’histoire militaire de sa famille, son expérience de travail dans un système radar d’alerte avancé, son transfert et son expérience dans un bureau. Johanna Raymond est décédée le 5 juin 2024 à Waterloo, en Ontario.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l’orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada. Veuillez noter que Johanna Raymond fait référence au Réseau DEW dans son témoignage, mais elle a probablement analysé des informations radar provenant de stations situées sur le Réseau Pinetree, qui était opérationnel durant son service dans l’Aviation royale canadienne.
Transcription
Bon, je m’appelle Johanna Raymond. Je suis née à Winnipeg et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans. Mais toute la famille a eu la coqueluche, alors nous tous sommes partis, sauf mon père, car c’était la Crise des années 1930. Il a dû rester pour son travail. Ma mère nous a donc emmenés ailleurs et nous ne sommes pas rentrés pendant deux ans. Nous sommes revenus à Winnipeg le jour de la déclaration de guerre [en septembre 1939]. Je m’en souviens parce que j’avais alors sept ans (rires) et je me demandais qu’est-ce que c’est que cette guerre-là. Mais en tout cas, ce fait a tout changé. Nous avons déménagé à Thunder Bay, qui s’appelait alors Fort William, et nous y sommes restés jusqu’après la fin de la guerre. Au début, ma mère a travaillé dans une usine de fabrication de bombes, puis dans une usine de construction d’avions, Curtiss [la Curtiss Aeroplane and Motor Company]. Elle y est devenue inspectrice. Après la guerre, mon père est aussi entré dans l’Aviation royale, c’est la raison pour laquelle j’ai été attirée par ce secteur. Et lui, il était un ancien combattant de la guerre, il n’y est pas resté, ce n’était pas un officier de carrière. Lorsqu’il est revenu, nous sommes allés à Victoria parce qu’il devait trouver un travail. Nous sommes restés à Victoria pendant quelque temps, j’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires là-bas et j’ai travaillé dans une banque pendant deux ans, la Banque de Montréal, Yates et Douglas. Je crois que j’avais 16 ans quand j’ai commencé (rires).
Puis le gouvernement a décidé d’enrôler des femmes dans la l’Aviation royale canadienne, ce qui était quelque chose de nouveau. Je me suis donc dépêchée au bureau qu’ils avaient ouvert là-bas et j’ai décidé de m’enrôler. J’avais un père qui avait servi, un oncle qui était officier de carrière dans l’Aviation royale et un autre oncle qui avait servi dans la Marine pendant la Première Guerre mondiale. J’étais donc peut-être prédisposée à ça. Lorsque je me suis enrôlée, on m’a demandé ce que j’aimerais faire et on m’a donné une liste. J’ai regardé la liste et j’ai pensé que j’aimerais être mécanicienne de radar (rires). Des tests d’intelligence et d’aptitude leur avaient déjà indiqué que j’avais des aptitudes pour la mécanique. Je me suis donc dit pourquoi pas. « Bon », m’ont-ils dit, « nous n’avons plus besoin de mécaniciens, nous en avons déjà beaucoup. Mais que pensez-vous d’être opérateur de contrôle de chasse? » J’ai demandé : « De quoi s’agit-il? » Et ils ont décrit le poste comme étant très prestigieux, bien sûr. [L’opérateur de contrôle de chasse analyse les informations provenant des stations radar et les enregistre sur des cartes.] J’ai leur donc donné mon accord. C’était vraiment tout ce que nous pouvions choisir parce qu’à ce stade du Course 6, tous les autres postes avaient été choisis (rires).
J’ai donc dû suivre une formation, mais elle a été précédée d’une instruction de base. Nous devions nous familiariser avec le Réseau DEW [Réseau d’alerte avancé, un système de stations radar dans l’extrême nord de la région arctique du Canada] et nous devions apprendre ce qu’ils faisaient là-bas. Et nous devions apprendre à détecter sur un radar les choses suspectes. Mais notre tâche de base consistait à nous tenir debout devant une grande carte, dans une sorte de salle de commande, avec des baguettes comme celles qu’on utilise pour jouer au billard, munies de petites pinces, et à décocher des flèches. Si une unité de convoyage outremer passait par le Nord, on recevait les coordonnées du Réseau DEW et nous les marquions sur la carte. Quatre officiers ayant une allure officielle assis sur une estrade donnaient l’ordre de décoller si c’était nécessaire. Mais c’était tellement ennuyeux parce que souvent il n’y avait rien du tout sur le Réseau DEW. Personne ne s’infiltrait dans la région, ils n’avaient pas besoin d’envoyer personne. Nous faisions des gardes de trois jours et les gardes étaient de 24 heures, c’était du 24 sur 24. Nous faisions donc trois jours, trois soirs, trois jours de repos. Trois soirs, trois nuits, trois jours de repos. Je n’ai pas pu bien gérer le changement constant, j’ai eu une éruption cutanée due au stress et ils m’ont dit que je ne réponds pas bien au travail par quarts. J’ai dit non (rires).
Ils m’ont donc dit qu’ils allaient me donner un travail de jour, « que voudriez-vous faire »? J’ai répondu que je vais, je suis sténographe ou dactylographe à la base, selon ma formation. J’ai donc été affecté à un bureau au quartier général du commandement de la défense aérienne, j’ai obtenu une cote de sécurité de niveau très secret et j’ai été au service d’un chef d’escadron qui travaillait directement avec le NORAD. J’étais beaucoup plus heureuse et capable, c’était un travail de jour, vous savez, de neuf à cinq. Il s’agissait essentiellement de dactylographier, vous savez, de faire un travail de secrétariat et de livrer des documents de niveau très secret d’un bureau de niveau très secret à un autre bureau de niveau très secret. Et l’incident le plus mémorable dont je me souviens en lien avec mon travail là-bas, c’est qu’un jour il y avait, j’ai dû taper une lettre, une longue lettre. À ce temps-là, le format de papier pour les lettres pouvait être parfois 8½ x 14, et non pas 8½ x 11. Et taper, taper, taper, taper et ne pas faire d’erreurs parce que le chef d’escadron se trouvait derrière moi et un avion bien chauffé était au bout de la piste et nous étions juste au bout de la piste, alors c’était facile à entendre. J’ai gardé mon contrôle comme par miracle (rires) parce que je n’ai fait aucune erreur et il se tenait debout avec l’enveloppe, prêt à mettre la lettre dedans et à y apposer un timbre correspondant au niveau très secret. Je me souviens de cela parce que c’était, ce qu’il était, c’était quelque chose dont je ne me souviens même pas, j’étais juste la dactylo, je ne comprenais pas la plupart du contenu. Mais il est parti avec cette enveloppe, il a sauté dans l’avion et ils ont décollé vers le Colorado, là où se trouvait le NORAD. Je savais qu’il s’agissait du niveau très secret, mais je ne comprenais pas vraiment ce qui se faisait. Je n’avais pas vraiment d’idée de ce qui se passait concernant la guerre de Corée, ou je n’avais pas vraiment – je veux dire, je savais que les enjeux étaient importants, mais je ne, je pensais que personne ne pourrait jamais me faire parler parce que je n’ai pas de souvenirs (rires). Il a donc fallu six mois pour que je reçoive une habilitation de sécurité « très secret ». [Pour les femmes dans l’Aviation royale.] Je pense que oui, je pense qu’avant, pendant la guerre, elles étaient auxiliaires, n’est-ce pas, alors qu’ici nous faisions partie des forces armées. J’ai pensé à ça aussi, à cette nouveauté. Mais je ne savais pas qu’un jour, elles allaient piloter des avions et participer à des combats. Je pense donc qu’on peut dire que je me sens comme une pionnière dans le Service féminin de l’Aviation [royale canadienne].