Dans les années 1920, le gouvernement canadien tente d’affirmer sa souveraineté dans l’Extrême-Arctique en établissant des postes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Les patrouilles de l’Arctique de l’Est sont des expéditions estivales annuelles par bateau destinées à mettre en place et à réapprovisionner ces détachements. De 1922 à 1968, la patrouille transporte des policiers, des géologues, des scientifiques, des professionnels de la santé et des représentants du gouvernement vers le nord, apportant des fournitures et des services médicaux aux collectivités de l’Arctique de l’Est. Le dernier navire de patrouille, le C.D. Howe, sert également à réinstaller des peuples du nord du Québec (Nunavik) dans des régions éloignées de l’Extrême-Arctique pour asseoir la souveraineté. (Voir Réinstallation d’Inuits dans l’Extrême-Arctique au Canada.)
Souveraineté et patrouille de l’Arctique de l’Est
Dans les années 1920, le Canada perçoit des menaces contre son territoire arctique. Bien que l’Expédition canadienne dans l’Arctique (1913‑1918) ait affirmé sa souveraineté dans l’archipel Arctique, les revendications canadiennes n’ont que peu de poids en droit international, car la région n’est pas effectivement occupée ou administrée. Les expéditions des explorateurs américains, norvégiens et danois menacent également la souveraineté canadienne. De plus, le gouvernement canadien est inquiet d’apprendre que des Inughuit groenlandais se rendent sur l’île d’Ellesmere pour chasser, fournissant ainsi une certaine base à une revendication danoise.
Par conséquent, le gouvernement canadien décide d’affirmer sa souveraineté en installant des postes de la GRC dans des endroits clés de l’Extrême-Arctique. Des agents de la GRC y vivent à longueur d’année et y effectuent des patrouilles en traîneaux à chiens. La patrouille de l’Arctique de l’Est transporte les hommes et le matériel nécessaires à la construction et à l’approvisionnement des postes et surveille les activités dans les eaux arctiques canadiennes.
Premières patrouilles : Arctique (1922‑1925)
Le vaisseau à vapeur en bois Arctic, commandé par Joseph-Elzéar Bernier, effectue les quatre premières patrouilles de l’Arctique de l’Est (1922‑1925). Sous le commandement d’un fonctionnaire, le navire transporte des représentants du gouvernement, des médecins, des scientifiques, des géologues et des agents de la GRC, ainsi que des fournitures et des matériaux de construction pour les postes de police. Chaque année, l’Arctic quitte la ville de Québec en juillet puis y revient en octobre.
Le gouvernement veut établir un poste clé dans la presqu’île de Bache, à l’est de l’île d’Ellesmere, en face d’Etah, au Groenland, là où les Inughuit seraient passés pour chasser le bœuf musqué. Cependant, au cours de ces quatre étés, la glace empêche l’Arctic d’accéder au port de la presqu’île de Bache.
La glace ayant contrecarré les efforts visant à établir le détachement à Bache, l’expédition de 1922 construit un poste dans une baie abritée au sud de l’île d’Ellesmere. Il est nommé Craig Harbour en l’honneur du commandant de l’expédition, J.D. Craig. Un deuxième poste est également établi à Pond Inlet. En 1923, la patrouille de l’Arctique de l’Est érige un troisième poste à Pangnirtung, dans la baie de Cumberland, sur l’île de Baffin.
Le saviez-vous?
À partir de 1923, la patrouille recrute des familles inughuit du Groenland pour aider la police vivant dans les postes de l’île d’Ellesmere. Ironiquement, la patrouille de l’Arctique de l’Est a pour but d’empêcher les Groenlandais de venir sur l’île d’Ellesmere.
En 1924, la patrouille découvre que la maison de Craig Harbour a brûlé et que les agents vivent dans un hangar. Le poste est reconstruit avec des matériaux destinés au détachement de Bache. Un quatrième poste est construit sur le site de Dundas Harbour, sur l’île Devon. En 1924, les matériaux du poste de Bache sont utilisés pour construire un dépôt d’approvisionnement sur le bassin de Kane. La GRC s’y rend souvent en traîneau depuis Craig Harbour.
Procès pour meurtre en 1923
L’expédition de 1923 transporte également un groupe juridique pour un procès à Pond Inlet pour le meurtre du commerçant terre-neuvien Robert Janes. Ce premier procès dans l’Arctique n’est qu’un simulacre. Les barrières linguistiques et culturelles entre les deux groupes engendrent une erreur judiciaire. Un homme, Nuqallaq, est reconnu coupable d’homicide involontaire et condamné à dix ans de prison au pénitencier de Stony Mountain, au Manitoba. Il est emmené au sud à bord du navire, mais revient en 1925 après avoir contracté la tuberculose en prison.
Beothic (1926‑1931)
La patrouille de 1925 constitue le dernier voyage de l’Arctic. Il faut un navire à coque en acier plus solide pour affronter les glaces de l’Arctique. En 1926, le gouvernement affrète le navire à vapeur Beothic, un phoquier terre-neuvien de 2 000 tonnes à coque en acier. Le Beothic réussit à se frayer un chemin à travers les glaces et un poste est finalement construit sur la presqu’île de Bache. Il s’agit du détachement de police le plus septentrional au monde. Craig Harbour reste ouvert, laissant deux postes sur l’île d’Ellesmere jusqu’à la fermeture de Bache en 1933.
De 1926 à 1931, la patrouille de l’Arctique de l’Est à bord du Beothic visite et réapprovisionne les postes de Craig Harbour, de Dundas Harbour, d’Arctic Bay, de Pond Inlet, de Clyde River et de Pangnirtung.
SS Nascopie (1932‑1947)
Au cours de l’été 1932, la patrouille de l’Arctique de l’Est utilise le SS Ungava. En 1933, la GRC s’associe à la Compagnie de la Baie d’Hudson (HBC), et obtient ainsi une traversée annuelle à bord du ravitailleur de la HBC, le SS Nascopie. La HBC possède des postes de traite dans les collectivités de la baie de Baffin, du détroit d’Hudson, de la baie d’Hudson et du centre de l’Arctique. La GRC peut alors mettre en place davantage de détachements et visiter plus d’avant-postes. Le Nascopie sombre en juillet au large de Cape Dorset (Kinngait) dans le sud-ouest de l’île de Baffin. Plusieurs navires (dont le MV Regina Polaris) sont utilisés pour réapprovisionner les postes de 1947 à 1949, et des inspecteurs du gouvernement et des membres de la GRC sont transportés par avion.
N.G.C. C.D. Howe (1950‑1968) : services médicaux et dentaires
En 1950, la patrouille reprend à bord du C.D. Howe, un navire de 3 600 tonnes renforcé pour la navigation dans les glaces appartenant au ministère des Transports. Le champ d’action de la patrouille s’étend à six autres ministères fédéraux, soit Ressources et Développement, Santé nationale et Bien-être social, Transports, Mines et Relevés techniques, Justice et Postes. La patrouille continue de réapprovisionner les collectivités de l’Arctique de l’Est, mais se concentre désormais sur la fourniture de services médicaux et dentaires.
En 1953 et 1955, le C.D. Howe est utilisé pour déplacer des populations depuis leur terre natale du nord du Québec et de Pond Inlet vers Grise Fiord sur l’île d’Ellesmere et vers Resolute Bay sur l’île Cornwallis. (Voir Réinstallation d’Inuits dans l’Extrême-Arctique au Canada, John Amgoalik.) En 1959, la patrouille, commandée par un médecin-chef, devient un navire-hôpital avec à son bord deux médecins, deux dentistes et deux infirmières. La patrouille est autorisée à soumettre tous les Inuits à des tests de dépistage de la tuberculose. Les personnes dont le test est positif sont gardées à bord du navire et emmenées dans le sud pour y être soignées, sans que leur famille en soit informée. Les personnes sont souvent soumises à des tests de dépistage contre leur gré.
En 1968, le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social estime que le service médical du C.D. Howe n’est plus nécessaire puisque la plupart des Inuits s’installent dans des collectivités dotées de postes de soins infirmiers. Les avions facilitent également l’accès aux services dentaires. Pour ces raisons, la patrouille de l’Arctique de l’Est est abandonnée.