Le traumatisme historique se produit lorsqu’un traumatisme causé par l’oppression historique se transmet de génération en génération. Pendant plus de 100 ans, le gouvernement canadien a soutenu les programmes de pensionnats indiens qui isolaient les enfants autochtones de leurs familles et de leurs communautés (voir Pensionnats indiens au Canada). Sous le couvert de l’éducation et de la préparation des enfants autochtones à leur participation à la société canadienne, le gouvernement fédéral ainsi que d’autres administrations du système des pensionnats indiens ont commis ce qui a depuis été décrit comme un acte de génocide culturel. Lorsque des générations d’élèves ont quitté ces institutions, ils sont retournés dans leurs communautés sans les connaissances, les aptitudes ou les outils nécessaires pour affronter l’un ou l’autre monde. Les répercussions de leur vécu dans les pensionnats indiens continuent d’être ressenties par les générations suivantes. C’est ce qu’on appelle le traumatisme intergénérationnel.
Ce texte est l’article intégral sur le traumatisme intergénérationnel et les pensionnats indiens. Si vous souhaitez lire un résumé en langage simple, veuillez consulter notre article Traumatisme intergénérationnel et les pensionnats indiens (résumé en langage simple).
Histoire
L’étude du traumatisme intergénérationnel, que les chercheurs appellent également « traumatisme transgénérationnel », est un domaine en développement. Le phénomène est souvent étudié dans le cadre des recherches sur le traumatisme historique. Des études préliminaires ont porté sur les survivants de l’Holocauste et leurs descendants (voir Le Canada et l’Holocauste). En 1966, le psychiatre canadien, docteur Vivian M. Rakoff, écrit l’un des premiers articles sur le sujet. Son article porte sur les dynamiques familiales, plus particulièrement entre parent et enfant (voir Études sur la famille). Des études subséquentes décrivent des taux élevés de détresse psychologique chez les enfants des survivants de l’Holocauste. Certaines de ces études ont noté les modèles de comportements des enfants, comme la protection excessive de leurs parents, le besoin d’un haut niveau de contrôle, une obsession au sujet l’Holocauste et une dépendance immature.
Au début des années 2010, les chercheurs commencent à étudier les répercussions intergénérationnelles du système des pensionnats indiens sur les peuples autochtones et les communautés à travers le Canada.
Du traumatisme individuel au traumatisme intergénérationnel
De nombreux enfants ont subi des sévices psychologiques, spirituels, physiques et sexuels aux mains de leurs soi-disant tuteurs dans le système des pensionnats indiens (voir Enfants maltraités). D’un point de vue individuel, l’impact à long terme de leurs expériences vécues aux pensionnats indiens a laissé de nombreux anciens élèves confrontés à des obstacles psychologiques de taille (voir Santé mentale). Ces impacts varient de sentiments accrus de colère, d’anxiété, de faible estime de soi et de dépression jusqu’au trouble de stress post-traumatique et à des taux élevés de suicides, entre autres choses. Lors d’un sondage national mené de 2008 à 2010, les membres des communautés des Premières Nations ont identifié la consommation de substances comme étant le défi numéro un pour le bien-être de la communauté (voir Conditions sociales des peuples autochtones au Canada).
Les pensionnats indiens comportaient des modèles parentaux fondés sur les punitions, l’abus, la contrainte et le contrôle. Avec très peu d’expérience d’un modèle familial enrichissant sur lequel se fonder, les générations de survivants des pensionnats indiens luttent avec le traumatisme qui demeure. En tant qu’adultes, plusieurs d’entre eux sont mal préparés à élever leurs propres enfants. Les effets de ces systèmes familiaux chaotiques peuvent être observés dans les taux élevés de violence familiale et conjugale. Bien que les enfants autochtones représentent moins de 8% des enfants de moins de 14 ans au Canada, ils représentent près de 54% des enfants confiés aux services de la protection de l’enfance. Dans son livre publié en 1991, Impact of Residential Schools and Other Root Causes of Poor Mental Health, Maggie Hodson résume l’impact cumulatif de la perte de connaissances et de compétences parentales à travers les générations:
« Si vous soumettez une génération à ce modèle parental, et qu’ils deviennent adultes et ont des enfants; ces enfants sont soumis à ces traitements, et vous soumettez ensuite une troisième génération au système du pensionnat indien, de la même façon que les deux générations précédentes. Vous avez une société entière affectée par l’isolement, la solitude, la tristesse, la colère, le désespoir et la douleur. »
Des taux élevés de chômage chez les autochtones, un nombre disproportionné d’autochtones impliqués dans le système de justice, des taux élevés d’autochtones itinérants dans les centres urbains, et des conditions médiocres de logement dans de nombreuses communautés des Premières Nations, ces éléments partagent tous la même cause profonde: les politiques des pensionnats indiens du Canada.
La transmission du traumatisme intergénérationnel
Les chercheurs en psychologie et en sociologie explorent des théories sur la manière dont les traumatismes se transmettent d’une génération à la suivante. Ils tentent de comprendre la nature persistante des symptômes induits par des traumatismes qui continuent d’affecter le bien-être de nombreuses personnes autochtones, ainsi que leurs familles et leurs communautés.
Docteure Maria Yellow Horse Brave Heart documente, pour la première fois, l’impact de la perte historique dans son étude sur le deuil vécu par la communauté des Lakotas (voir Dakota), vers la fin des années1990. Plus récemment, des chercheurs ont présenté des théories sur les origines des traumatismes chez les peuples autochtones au Canada.
Modèle socioculturel
Les chercheurs ont de nombreuses théories sur la manière dont le traumatisme intergénérationnel est transmis. L’une d’entre elles est le modèle socioculturel, qui se concentre sur les modèles parentaux et sur la façon dont les facteurs environnementaux influencent le développement de l’enfant. Ce modèle estime que les enfants apprennent de leur environnement immédiat et des personnes qui contribuent directement à leur développement, comme leurs parents ou des membres de la famille proche. Lorsque les enfants sont victimes d’abus, de négligence et de stress dans leur environnement familial, ils sont incapables de développer les compétences appropriées ou les stratégies pour s’adapter et faire face aux facteurs de stress de leur vie future. Dans certaines communautés, de nombreuses familles manquent de connaissances et de compétences pour soutenir le bien-être émotionnel et psychologique de leurs enfants. Les chercheurs croient que dans de tels cas, il devient plus difficile de rectifier les comportements qui sont devenus une norme de la communauté. Les comportements parentaux néfastes sont reproduits par la génération suivante, et le cycle se renouvelle. Et plus particulièrement lorsque l’isolement géographique et la marginalisation sociale limitent l’accès à de nouveaux modèles parentaux externes, le cycle demeure inchangé, et peut avoir un impact sur les générations suivantes d’enfants.
Modèle psychologique
Une autre théorie démontre le modèle psychologique de la transmission intergénérationnelle. Ce modèle se concentre sur l’importance de l’attachement du parent à son enfant. L’habileté du parent à s’ajuster aux besoins de son enfant est critique dans le développement de l’autorégulation de celui-ci. Le développement précoce du cerveau du nourrisson peut être affecté si les besoins de l’enfant ne sont pas satisfaits d’une manière à l’aider à développer un sentiment de sécurité et de confiance envers son environnement immédiat. Des retards cognitifs et des stratégies d’adaptations négatives pourraient suivre, et avoir des répercussions sur le succès de l’enfant à l’école et dans d’autres contextes sociaux, ainsi que plus tard dans sa vie. Des communautés entières peuvent être affectées si cet attachement est rompu au sein des groupes de personnes apparentées, et le cycle du traumatisme psychologique pourrait continuer à se perpétuer à travers les générations.
Modèle physiologique
Les théories physiologiques se concentrent sur les facteurs génétiques et biologiques prédisposés pour expliquer la transmission des traumatismes à travers les générations. Certaines théories récentes proposent que les facteurs de risque biologiques pourraient inclure un « stress toxique » causé par l’environnement de l’enfant. Ce type de problème peut contribuer à des changements réels dans le développement du cerveau de l’enfant en raison de niveaux anormaux de cortisol, de dopamine ou de sérotonine, ce qui peut affecter la capacité future de l’enfant à gérer des conditions stressantes. Ceci mène à une augmentation des niveaux d’activités, et peut avoir un impact sur la concentration et les capacités d’apprentissage (voir Troubles d’apprentissage spécifiques). Les enfants confrontés à de telles conditions sont décrits comme ayant des capacités restreintes à s’apaiser et à réguler leurs comportements lorsqu’ils sont en situation de stress. Il existe également des théories épigénétiques suggérant qu’un stress maternel pourrait affecter le développement intra-utérin de l’enfant, et pourrait avoir un impact sur le fonctionnement de ses gènes. Selon ces théories, les conditions génétiques peuvent prédisposer une personne à des réponses négatives au stress, et ces conditions peuvent être transmises aux générations futures.
Traitement
Ces théories socioculturelles, psychologiques et physiologiques considèrent le traumatisme historique comme étant l’expression des expériences traumatiques d’une personne. Elle est liée à son expérience ancestrale distincte. Les interventions pour traiter le trouble de stress post-traumatique mettent l’accent sur le développement de programmes de santé et sociaux qui traitent les symptômes d’une personne. Mais l’efficacité de ces programmes dans le traitement du traumatisme intergénérationnel reste à voir.
De nombreux chercheurs tentent maintenant d’isoler les conditions externes qui favorisent le traumatisme au sein de populations spécifiques. Ils se concentrent sur des groupes qui ont été historiquement marginalisés économiquement, politiquement et socialement par la culture principale et dominante (voir Préjugés et discrimination au Canada). Un article de recherche récent examine les effets de la discrimination et des événements traumatiques sur le bien-être mental de quatre groupes historiquement marginalisés au Canada: les peuples autochtones, les Noirs, les Juifs et les femmes. Les chercheurs ont constaté que tout type d’intervention ne considérant pas les contextes culturel et social au sein desquels ces groupes vivent risque de contribuer à leur oppression (voir Histoire sociale). Ceci transporte la discussion loin du blâme envers la victime à une discussion qui met à profit les connaissances et les expériences de la communauté de nouvelles manières.
Aller de l’avant
La plupart des théories se concentrent sur les manières socioculturelles, psychologiques et physiologiques dont le traumatisme est transmis entre les générations. D’autres examinent les facteurs externes, incluant le racisme, la discrimination culturelle et la marginalisation économique (voir Autochtones: conditions économiques). Ces dernières théories décrivent le rôle que joue la société dans la perpétuation des impacts intergénérationnels des expériences des pensionnats indiens, quelque chose qui, selon les chercheurs, doit être reconnu afin de briser les cycles du traumatisme.
Les stratégies pour aller de l’avant avec des méthodes d’autonomisation comprennent l’augmentation de l’autonomie gouvernementale et de l’autodétermination (voir Autonomie gouvernementale des Autochtones). Les excuses du gouvernement canadien présentées en 2008 aux survivants des pensionnats indiens gérés par le gouvernement fédéral sont un début, mais le travail pour établir des stratégies qui déstabiliseront l’héritage du système des pensionnats indiens demeure.