Le blackface (ou grimage en noir) est une pratique liée à un genre de divertissement théâtral américain populaire au 19e siècle, le « minstrel show ». Il est présent au Canada depuis la même époque. Inventé par des artistes blancs dans le nord des États-Unis, il présentait une vision caricaturale des Noirs asservis des plantations du Sud ou des Noirs libres du Nord. (Voir Communautés noires au Canada.) Dans les années 1860, le Canada a eu ses propres vedettes nationales du blackface, qui effectuaient des tournées au Canada, aux États-Unis et en Angleterre. Le blackface est demeuré une forme de divertissement populaire jusqu’au 20e siècle. Aujourd’hui, il est considéré comme raciste, bien que cela demeure l’objet de controverses et de débats. (Voir Racisme anti-Noirs au Canada.)
Origines du blackface aux États-Unis
Le minstrel show fait son apparition aux États-Unis. C’est un genre théâtral où des acteurs blancs se noircissent le visage avec du liège brûlé afin d’incarner une vision caricaturale de la culture afro-américaine. La plupart du temps, le maquillage utilisé est un mélange d’eau et de poudre de bouchons de champagne carbonisés. La structure des premiers minstrel shows est mise au point dans les années 1830 et 1840 par trois acteurs blancs du Nord, Thomas « Daddy » Rice, Dan Emmett et Edwin Pearce Christy, ainsi que par Stephen Foster, le principal créateur de la musique de minstrel show.
Le blackface américain s’inspire explicitement d’expressions culturelles afro-américaines, notamment la danse et le chant. Ces emprunts abordent aussi le thème de l’asservissement. Les artistes blancs utilisent la scène pour occulter les réalités de l’esclavage. (Voir aussi Esclavage des Noirs au Canada.) Ils décrivent des « esclaves joyeux », qui chantent et dansent dans les plantations, amenant le public à croire que l’esclavage est une chose juste et bonne. En fin de compte, le minstrel show est puissant parce qu’il déforme la réalité de l’asservissement aux États-Unis. Au moment même où ils contestent les lois sur l’esclavage, dans les décennies précédant la guerre de Sécession, les Afro-Américains sont représentés dans ces spectacles comme un peuple heureux de sa condition d’asservissement.
En 1829, George Washington Dixon publie « Coal Black Rose », une chanson qui présente une vision caricaturale des fréquentations amoureuses des Noirs. Elle est sans doute la première chanson de minstrel show à faire son entrée dans le Great American Songbook. Vers 1830, « Daddy » Rice acquiert une renommée internationale en imitant un shuffle qu’il a vu danser par un Noir à Louisville, dans le Kentucky. Son spectacle « Jim Crow » fait le tour du Canada et de la Grande-Bretagne. Il contribue à populariser le minstrel show, qui devient une forme de divertissement théâtral grand public.
En 1843, un quatuor qui s’est baptisé les Virginia Minstrels monte sur la scène du théâtre Chatham, à New York. Les quatre artistes blancs du Nord, Dan Emmett, Billy Whitlock, Frank Brower et Dick Pelham, ont choisi le nom « Minstrels » à cause du grand succès des Tyrolese Minstrels, une famille de chanteurs suisse qui a fait une tournée en Amérique au début des années 1840. Ce choix de nom vient aussi renforcer une prétendue authenticité sudiste. Après 1843, le terme « minstrelsy » s’ajoute à « blackface » pour désigner des spectacles de théâtre où des artistes blancs portent un maquillage à base de liège carbonisé.
Les premiers minstrels shows sont assez peu structurés. Dans les années 1840, une forme en trois parties se dégage. La première partie se compose de farces et chansons. La deuxième est un mélange de « stump speeches » (parodies de discours électoraux) et d’autres numéros de variétés. Le spectacle se termine par un sketch se déroulant dans une plantation (remplacé plus tard par un sketch burlesque).
Les Tom Shows au Canada
Les minstrel shows américains commencent à être présentés en tournée au Canada dans les années 1790. Dans les années 1820, des théâtres et des music-halls sont ouverts pour héberger des concerts et des spectacles de cirque.
Au milieu du 19e siècle, de nombreux Afro-Américains fuyant l’asservissement arrivent au Canada grâce au chemin de fer clandestin. Des spectacles blackface appelés « Tom shows », inspirés du roman d’Harriet Beecher Stowe Uncle Tom’s Cabin, publié en 1852, font leur apparition. (Voir aussi Josiah Henson.) Ces spectacles attirent une multitude de gens qui, autrement, ne seraient jamais allés au théâtre.
Uncle Tom’s Cabin est un des premiers romans américains ayant un Noir comme personnage principal. Non seulement sa publication galvanise le mouvement abolitionniste (voir aussi La Société anti-esclavagiste du Canada), mais elle popularise aussi le stéréotype du Noir libre du Nord, par opposition au Noir asservi du Sud. Contrairement au roman, le spectacle blackface comprend des numéros de chant et de danse. Le spectacle oppose aussi les personnages du Noir asservi et du Noir libre, qu’il confronte pour amuser le public blanc.
Dans les années 1850, le mouvement abolitionniste prend de l’ampleur au Canada. Les Canadiens ne sont pas nécessairement favorables à l’asservissement des Noirs, mais ils n’en apprécient pas moins les minstrel shows et les chansons qui les accompagnent. Ces spectacles sont souvent fondés sur la vision faussée de Noirs asservis heureux dans le Sud, et de Noirs libres sans manières et vêtus de façon ridicule dans le Nord. Les minstrel shows masquent ainsi les réalités de l’asservissement.
Entre 1840 et 1843, la communauté noire de Toronto mène une campagne auprès du conseil municipal afin que les tournées de clowns blackface et de minstrel shows soient interdites. Certains membres de la communauté craignent que ces protestations entraînent des répercussion racistes. (Voir Racisme anti-Noirs au Canada; Ségrégation raciale des Noirs au Canada.) Néanmoins, l’omniprésence des publicités de minstrel shows dans les journaux des années 1850 à 1920 montre que les protestations de la communauté noire n’ont pas réussi à contrer le goût des Canadiens blancs pour le théâtre blackface.
Artistes de blackface canadiens
Un des acteurs de blackface d’origine canadienne les plus populaires du 19e siècle est Colin « Cool » Burgess. Né à Toronto, il effectue des tournées avec une série de compagnies américaines dans les années 1860.
Né au Québec, Calixa Lavallée connaît un grand succès dans les minstrels shows américains dans les années 1850 et 1860. Surtout connu pour avoir composé la musique du « Ô Canada », Calixa Lavallée effectue des tournées musicales dans de nombreuses villes et localités, se grimant en noir chaque soir pour diriger son groupe.
Utilisation contemporaine du blackface
Au 20e siècle, le blackface devient un élément central dans l’industrie du cinéma, avec des productions comme The Birth of a Nation (1915), The Jazz Singer (1927) et Holiday Inn (1942). Beaucoup d’acteurs se maquillent pour interpréter des rôles de personnes racisées. Dans les années 1960, toutefois, sous l’effet du mouvement pour les libertés civiles et de l’évolution des normes culturelles, le blackface perd sa popularité dans le monde du divertissement.
Bien qu’il ait quitté l’écran, le blackface existe toujours. En 2015, Joni Mitchell révèle qu’elle s’est déguisée en Noir en 1977 à l’occasion de la sortie de son album Don Juan’s Reckless Daughter. En 2019, on publie des photos montrant le premier ministre Justin Trudeau grimé en noir au début des années 2000. Justin Trudeau présente ses excuses et reconnaît que le geste était raciste.
Aujourd’hui, on considère que le blackface est raciste. Selon des militants, le fait qu’il ait trouvé son origine dans le théâtre doit nous amener à nous interroger sur la représentation des Noirs dans les industries du divertissement, et sur les relations entre races à l’époque contemporaine. (Voir aussi Éducation antiraciste au Canada.)