Ernest Adolphe Côté, MBE, militaire, haut fonctionnaire et diplomate (né le 12 juin 1913 à Edmonton, Alberta; décédé le 25 février 2015 à Ottawa, Ontario). Après avoir joué un rôle majeur au sein des Forces armées canadiennes et dans la planification du Débarquement de Normandie, ce Franco-Albertain (et Franco-Ontarien d’adoption), mène une brillante carrière dans la fonction publique fédérale. Acteur et témoin de certains des plus importants moments de l’histoire des relations étrangères du Canada, il a servi sous cinq premiers ministres canadiens différents.
Famille et éducation
Né à Edmonton au sein d’une famille francophone, Ernest Côté est le fils de Jean Léon Côté et de Cécile Gagnon. Son père, qui est natif des Éboulements (région de Charlevoix au Québec), s’installe à Edmonton vers 1903 après avoir parcouru l’Ouest canadien en tant qu’arpenteur-géomètre au service du gouvernement. Il fait notamment partie de la Commission chargée de déterminer les frontières entre l’Alaska, le Yukon et la Colombie-Britannique (voir Dispute des frontières de l’Alaska). Le mont Côté, à la frontière de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, a été nommé en son honneur, de même que la municipalité de Jean Côté, au nord-est de Grande Prairie en Alberta. Après avoir fondé une firme d’ingénierie minière en 1907, Jean Léon Côté entreprend une carrière politique qui le mène jusqu’au Sénat.
Quant à Cécile Gagnon, elle provient d’une famille de Québec très engagée dans le milieu des arts et de la culture. Son père est nul autre que Gustave Gagnon, professeur de musique et organiste de la basilique de Notre-Dame de Québec, et sa mère est Séphora Hamel, nièce du célèbre peintre Théophile Hamel. En 1891, Cécile fonde à Québec en compagnie d’autres jeunes filles de l’élite francophone et anglophone, le Ladies’ Morning Musical Club (devenu le Club musical de Québec en 1969), une société de concert qui fêtera ses 125 ans d’existence en 2016. Quelques mois après son mariage en 1907 et son déménagement à Edmonton, elle participe à la fondation du Ladies’ Musical Club of Edmonton (aujourd’hui l’Edmonton Musical Club) et en devient la première présidente.
Troisième enfant d’une fratrie de cinq garçons, Ernest Adolphe n’a que onze ans au moment du décès de son père en septembre 1924. Alors que ses frères aînés doivent abandonner leurs études pour aider leur mère à subvenir aux besoins de la famille, il a la chance, comme ses plus jeunes frères, de poursuivre ses études au Collège des Jésuites d’Edmonton, institution d’enseignement affiliée à l’Université Laval. En 1931, il complète son cours classique et réussit les examens du baccalauréat en sciences. Il travaille ensuite comme commis au Bureau du vérificateur général de l’Alberta. Déjà très engagé dans différentes organisations francophones locales, il fait du théâtre à une station de radio francophone et organise le concours de français de l’Association canadienne-française de l’Alberta. En plus de son poste de commis, Côté devient annonceur bilingue à la Commission canadienne de la radiodiffusion (réseau précurseur de CBC ‒ Radio-Canada). Il y anime notamment une émission consacrée à la musique classique et diffusée sur le réseau national. En 1935, il reprend ses études, cette fois-ci en droit, à l’Université de l’Alberta dont il est diplômé en 1938 d’une licence (LL. B). Il est admis au Barreau de l’Alberta en octobre 1939.
Carrière militaire et planification du Débarquement de Normandie
La Deuxième Guerre mondiale ayant été déclarée et ayant suivi à l’université une formation d’élève-officier, Côté choisi de rejoindre le Royal 22e Régiment (R22R) plutôt que d’amorcer une carrière d’avocat. Admis fin novembre avec le grade de lieutenant, il quitte la ville de Québec pour l’Angleterre le 8 décembre 1939. Éduqué et bilingue, il prend rapidement du galon. En mars 1940, il devient adjudant du R22R, puis est muté comme officier d’état-major au quartier général du 7e Corps d’armée dirigé par le général Andrew McNaughton responsable de la protection des côtes sud de l’Angleterre. L’armée l’envoie suivre le cours d’état-major au Minley Manor, près de Camberley, avant de l’affecter en 1941 dans le Sussex au quartier général de la 1re Division d’infanterie canadienne comme aide-adjudant général adjoint (DAAG), puis à la 8e Brigade d’infanterie comme major et chef d’état-major. À sa grande surprise, ses supérieurs le recommandent pour recevoir l’Ordre de l’Empire britannique; un honneur rare pour un si jeune officier.
Début 1942, Ernest Adolphe Côté est nommé au poste d’assistant adjudant-général du 1er Corps canadien et l’année suivante, à celui d’assistant adjudant et quartier-maître général (AA et QMG) de la 3e Division d’infanterie canadienne au rang de lieutenant-colonel. Devant rendre compte au commandant de la préparation des plans administratifs et de leur exécution pour appuyer les opérations militaires, il est responsable de l’ensemble de la logistique et de l’approvisionnement en matériel d’une division comptant environ 15 000 hommes. Dans ses mémoires intitulées Réminiscences et Souvenances, Côté précise : « Je crois bien qu’on s’est rendu compte assez vite que je serais plus utile comme administrateur que comme responsable des opérations, vu mon mince bagage dans le domaine ».
Ces deux années passées à la 3e Division d’infanterie sont de son avis les plus intéressantes de sa brève carrière militaire, la division se préparant à un débarquement sur le continent européen. Début janvier 1944, il est parmi les quelques officiers privilégiés à être informé du lieu et du jour de cette invasion et doit dès lors en planifier secrètement la logistique pour sa division. Vers la mi-mai 1944, les détails du plan d’invasion sont au point, les plans opérationnels et plans administratifs complétés. Côté précise dans ses mémoires qu’il fallait tout prévoir, comme si déjà l’armée était en sol français : « Par exemple, il fallait tracer les routes à l’avance, même là où elles n’existaient pas; il fallait apporter avec nous des panneaux de signalisation routière et indiquer la direction de la circulation, les lieux de rassemblement des renforts, les lieux de ravitaillement en eau, en essence, en diesel et en munitions, situer les locaux des premiers petits hôpitaux de campagne et, enfin, fixer à l’avance l’emplacement d’un cimetière… ».
Le jour J, Côté débarque à Bény-sur-Mer quatre heures seulement après le début de l’invasion avec les autres membres de l’état-major de la 3e Division afin d’établir un quartier général de campagne. Sa division participe notamment à la libération de Caen, à la bataille du delta de l’Escaut et à la libération définitive des Pays-Bas. En décembre 1944, Côté rentre au Canada et est promu en janvier 1945 au rang de colonel. Il est rattaché au quartier général de la Défense nationale à Ottawa à titre de vice-adjudant général des corps médical et dentaire, de l’aumônerie, des trésoriers payeurs et le Service féminin de l’Armée canadienne, c’est-à-dire le Canadian Women’s Army Corps (CWAC).
C’est à cette époque qu’il fait la rencontre du lieutenant Madeleine Frémont, qu’il épouse le 16 juin 1945. Madeleine Frémont est la fille de l’avocat Charles Frémont et de la militante pour les droits des femmes Thaïs Lacoste, qui vient elle-même d’une famille très engagée politiquement et socialement. Le couple aura quatre enfants : Lucie, Benoît, Denyse et Michel.
Haut fonctionnaire au sein du gouvernement fédéral
Après son mariage, Ernest Côté prend la décision de quitter l’armée et de poser sa candidature au ministère des Affaires extérieures. Celle-ci est retenue et il intègre la direction juridique à titre de deuxième secrétaire. En novembre 1945, il fait partie de la délégation canadienne envoyée à Londres afin de préparer la première réunion de l’assemblée générale des Nations Unies. Il participe également à l’été 1946 à l’élaboration de la Charte de l’Organisation mondiale de la santé et fin 1947, il est nommé secrétaire général de la délégation canadienne chargée de planifier la deuxième partie de la session de l’assemblée générale de l’ONU qui doit se tenir à New York. À l’automne 1948, il reprend ses fonctions de secrétaire général de la délégation canadienne à l’ONU. Cette fois-ci, l’assemblée générale a lieu à Paris. Côté y accompagne le premier ministre William Lyon Mackenzie King et le général Georges Vanier, futur gouverneur général du Canada.
Ses nombreuses missions à l’étranger, qui l’éloignent régulièrement de sa jeune famille, sont bientôt récompensées. Au début 1949, il s’installe avec femme et enfants à Londres. Le ministère des Affaires étrangères l’envoie se former en géopolitique au Imperial Defence College, puis lui confie le poste de conseiller juridique et de consul auprès du Haut-Commissariat canadien à Londres, en remplacement de Jules Léger.
De retour au pays à l’été 1952, il dirige ensuite la Division des affaires consulaires, puis la Division des Amériques responsable notamment de définir la politique avec les États-Unis. En 1955, Lester B. Pearson, alors ministre des Affaires étrangères et responsable des négociations concernant les eaux des chutes du Niagara et celles du fleuve Columbia, lui propose le poste de sous-ministre adjoint au secteur des ressources nationales du ministère du Nord canadien. Au cours des années suivantes, Côté travaillera notamment au traité concernant les oiseaux migrateurs, à la restauration partielle de la forteresse de Louisbourg et au développement de la Voie maritime du Saint-Laurent.
En 1963, Pearson, maintenant premier ministre, lui offre le poste de sous-ministre du Nord canadien et des ressources nationales. Côté siège également à partir de 1965 à la commission chargée de l’organisation des fêtes du centenaire de la Confédération. En 1968, il est muté au ministère des Anciens combattants, et neuf mois à peine plus tard, Pierre Elliott Trudeau lui demande remplacer le solliciteur général adjoint. Celui-ci a alors la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada, des services de sécurité et des pénitenciers ainsi que de la Commission des libérations conditionnelles. Il est en poste lorsqu’éclate la Crise d’octobre et qu’est décrétée la Loi sur les mesures de guerre. À partir de 1972, Côté est nommé ambassadeur en Finlande, poste qu’il occupe jusqu’à sa retraite en décembre 1975.
Engagement social
Membre de l’exécutif provincial de l’Association des communautés francophones d’Ottawa (ACFO), Côté a milité pour l’obtention d’écoles secondaires françaises financées par les fonds publics. Il a été directeur pendant 22 ans de la Société géographique royale du Canada, où il a occupé les fonctions de vice-président et de secrétaire. De 1968 à 1972, il a représenté l’Université Saint-Paul au Bureau des gouverneurs de l’Université d’Ottawa. À la suite de sa retraite de la fonction publique, ce haut fonctionnaire est bénévole auprès de différents organismes et siège notamment comme membre du conseil d’administration de la Bibliothèque publique d’Ottawa.
Prix et reconnaissance
Invité régulièrement à parler de son expérience au sein de l’Armée canadienne, puis des Affaires étrangères, il est un conférencier prisé. Le 6 juin 2004, à l’occasion du 60e anniversaire du Débarquement de Normandie, il est fait Chevalier de la Légion d’honneur du gouvernement français pour son rôle dans la libération de la France. Lors du 70e anniversaire du Débarquement, en 2014, alors qu’il est âgé de 100 ans, Côté traverse à trois reprises l’Atlantique pour prendre part aux cérémonies commémoratives du Centre Juno Beach où il est honoré.
Quelques mois plus tard, le 18 décembre 2014, Côté défraye la chronique alors qu’il est victime d’un braquage à domicile et de voies de fait. Ligoté par le voleur, le vétéran de 101 ans réussit à défaire ses liens et alerter le service de police de la Ville d’Ottawa. Il déclara par la suite dans une entrevue que : « Certaines personnes pensent que comme tu as 101 ans, tu vas t’effondrer et te demander : pourquoi, qu’est-ce qui m’arrive? Non, j’étais vraiment fâché » [trad. libre].
Grâce à la description du vétéran et à une caméra de surveillance installée à l’entrée de son immeuble, l’assaillant a été rapidement arrêté et traduit en justice pour vol et tentative de meurtre. Des tests d’ADN démontreront plus tard que le suspect arrêté dans cette affaire a aussi été impliqué en juin 2007 dans l’homicide de trois personnes à Ottawa, dont l’ancien juge Alban Caron. Ernest Côté est décédé de causes naturelles le 25 février 2015, avant de pouvoir connaître l’issue du procès. Cette nouvelle manifestation d’un courage peu commun avait été saluée par les médias dans les semaines précédant sa mort. En raison de son engagement en matière de défense des droits linguistiques des francophones de l’Ontario, il a reçu à titre posthume la médaille de l’Ordre de la Pléiade en avril 2015.