Alan Shard (source primaire) | l'Encyclopédie Canadienne

Project Mémoire

Alan Shard (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Alan Shard a servi dans la marine marchande pendant la Deuxième Guerre mondiale. Veuillez lire et écouter le témoignage d'Alan Shard en bas.

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

L'équipage du U-203, juillet 1942.
Un radeau similaire à celui qu'utilisa monsieur Shard en 1942.
M. Alan Shard, octobre 2010.
Kptlt. Rolf Mutzelburg et son chef-mécanicien.
Quand il est arrivé sur notre radeau, c’était complètement irréel. On lui a dit, Hancock, comment diable as-tu fait pour monter sur le U-boote ?

Transcription

Le 25 juin 1942, alors que le bateau (navire marchand British Motors Putney Hill) faisait la route du Cap à New York, on a été torpillés à 11h25 du soir à peu près, pleine lune. Je n’ai pas vu le sillage de la torpille, même si j’étais de vigie de ce côté-là, mais avec la pleine lune ce n’était pas possible de distinguer ça à cause des reflets que faisaient les rayons de lune, vous ne pouviez pas détecter la moindre différence entre le sillage et la torpille.

On a été frappé par une torpille, projetés en l’air, et je savais qu’il était 11h25 parce que les chefs de vigie ont signalé l’heure, ils venaient juste d’aller dans la timonerie et avaient noté l’heure. Et on a tous les deux été projetés en l’air, à un mètre environ. Le capitaine est sorti, il a dit d’abandonner le navire ; on est partis vers les canots de sauvetage. Les deux canots de sauvetage à bâbord s’étaient explosés contre la cheminée et n’étaient pas utilisables. On est allés à tribord, maintenant le navire gîtait de 40, 45 degrés à tribord. Deux bateaux étaient dans l’eau de ce côté-là. On est montés dans les bateaux, 22 hommes. Ils ont immédiatement coulé jusqu’aux plat-bord parce que c’était un bateau en bois et les virures étaient ouvertes, de n’avoir pas été dans l’eau pendant deux ans.

Quand le bateau a chaviré, vous regardiez le petit bateau devant nous et il était sur le point de faire la même chose. Et c’est ainsi que les deux bateaux de sauvetage ont chaviré au milieu de la nuit. Je ne sais pas nager mais je porte un gilet de sauvetage et j’ai vu un radeau à une cinquantaine de mètres, une centaine de mètres de là. Et je connais les mouvements pour nager mais je ne sais pas nager. Mais j’ai réussi à aller jusqu’au radeau. J’étais le premier dessus. J’ai aidé huit gars à monter sur le radeau.

Plus tard dans la nuit, le U-boote (U-203) s’est approché sur le côté et a demandé après le capitaine. On ne savait pas où il était. Il est reparti et est revenu. Sur le pont il y avait un apprenti de notre bateau. Il a parlé au second, c’était un peu plus agité maintenant et ce garçon ne savait pas nager lui non plus, alors j’ai demandé à quelqu’un d’aller du radeau au U-Boote, pour le faire traverser. Ce qu’il a fait. Il s’appelait Hancock. Quand il est arrivé sur notre radeau, c’était complètement irréel. On lui a dit, Hancock, comment diable as-tu fait pour monter sur le U-boote ? Et il semblerait qu’il ne savait pas nager non plus mais il a trouvé une rame sur laquelle il se maintenait. Mais quelques minutes plus tard, un canonnier, un canonnier marin est venu et s’est agrippé lui aussi à la rame qui ne pouvait pas supporter tout ce poids. Alors ils ont commencé à se bagarrer. Et ce gamin a gagné, je suppose qu’il lui a donné un coup dans les tripes ou quelque chose et il a disparu.

Alors le voilà, et le U-boote s’est présenté, presque le long et il a attrapé le ballast du U-boote qui est autour le long pour se remplir d’eau. Et ils l’ont monté à bord et l’ont pris. Il lui a posé des questions, parlait parfaitement anglais, le commandant (Lieutenant Capitaine Rolf Mutzelberg). Il s’est avéré, il était allé dans la même école anglaise du coin d’où le gamin venait, Chelmsford en Angleterre. Incroyable.

Quoi qu’il en soit, il lui a dit, bon, je vais te ramener avec tes compagnons mais ne reviens pas sinon l’issue pourrait être différente. Alors il nous a donné des cigarettes, un paquet de cigarettes et des allumettes. Le gamin ne savait pas nager, et le second est allé le chercher, alors ils ont rendu ces cigarettes et ces allumettes à l’équipage parce qu’elles auraient été gâchées.

À la suite de ça, quand il a été interrogé par l’amirauté à Londres, ils lui ont fait passé un mauvais quart d’heure parce qu’il ne connaissait pas la marque des cigarettes en question. Ils essayaient évidemment de trouver où le U-boote était gardé, approvisionné, était-ce en Amérique centrale ou quelque chose comme ça ? Alors le matin est arrivé, les deux bateaux qui avaient chavirés avaient été remis à l’endroit ce qui peut se faire avec la quille et en secouant le bateau jusqu’à ce qu’il se retourne.

Je suis allé dans le bateau du capitaine, il n’y avait pas de nourriture dans le radeau, elle avait été volée par les dockers à Suez (Égypte). Mais il y avait de l’eau, alors on a fait passer l’eau sur le bateau et on est partis. On était à peu près à 500 milles au nord de San Juan, Porto Rico, et on a navigué. On avait déjà perdu deux hommes, l’assistant cuistot, on l’avait vu s’accrocher à une hélice alors qu’il était encore un peu en forme comme ça. L’autre c’était notre artilleur DEMS (Navire doté d’un équipement défensif)

On a vu le navire sombrer à la fin (il fait des gestes), juste comme ça. J’ai peut-être pris de l’avance là. Alors après sept jours dans le bateau de sauvetage, le quatrième mécanicien, qui était de quart au moment de la torpille, et qui avait été grièvement brûlé par l’huile bouillante qui lui était tombée dessus. Il avait 80 pourcent de son corps qui était brûlé, il est mort en sept jours. Alors on a avancé encore pendant deux jours et soudain on a vu une corvette britannique s’approcher, c’était le NSM Saxifage. Elle venait droit sur nous et elle est venue, ils ne savaient pas qu’on était là, on ne savait pas qu’elle était là, on était seul à ce moment-là, c’était un vrai coup de chance et il est arrivé le long et il nous a pris sur les filets, on a grimpé sur les filets. On pouvait à peine tenir debout en fait. De manière étrange, il y avait un gamin à bord de la corvette du village à côté du mien, il était signaleur et il m’a donné sa couchette pour la nuit et de quoi me raser et tout le bataclan. Et puis on a débarqué à Porto Rico.

Date de l'entrevue: 19 octobre 2010