Alfred Le Reverend a servi dans l'armée pendant la Deuxième Guerre mondiale. Lisez et écoutez le témoignage d'Alfred Le Reverend ci-dessous.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Je me suis engagé à Londres, en Ontario, District militaire numéro un, le 17 mars 1943. J’avais 16 ans. J’ai fait mes classes à Chatham et mon entrainement complémentaire à Ipperwash à l’A10 (centre de formation). Finalement quand le deuxième front s’est ouvert (en France après le débarquement des troupes alliées le 6 juin 1944), je me suis arrangé pour faire partie d’un contingent en septembre. Et je suis allé dans une unité de dépôt en France, et deux jours plus tard on m’a affecté au Régiment Lincoln et Welland comme renfort.
C’était le 24 octobre (1944) et nous étions au nord d’Amsterdam et nous étions sous les ordres de (Maréchal Bernard) Montgomery. Et son travail consistait à dégager toute la région au nord d’Amsterdam afin de pouvoir utiliser le port d’Amsterdam pour le ravitaillement de l’armée. Notre ligne de ravitaillement était trop longue. Et alors notre travail c’était de dégager entièrement, toute la région. Et on se dirigeait vers Bergen-op-Zoom en Hollande. Et c’était, il avait dit dans ses directives, que c’était la priorité des priorités et qu’il fallait s’attendre à subir de lourdes pertes.
On s’est retrouvés en face de, le jour précédent on avait eu de nouveaux blindés. En fait, le matin de notre attaque, on avait cinq chars avec nous et on s’est rassemblés juste à l’extérieur de Essen (Pays Bas) et notre objectif c’était un bois de l’autre côté d’un champ de navets, d’environ mille six cents mètres, à découvert. Et on s’est déployés, on a traversé le champ et nos cinq chars se sont embourbés dans le champ, alors on n’avait pas d’appui. Et on n’avait pas d’appui d’artillerie. Et ils nous ont tout simplement battus comme plâtre pendant la traversée et des trente au départ dans notre vague, je pense que seulement quatorze d’entre nous ont atteint l’objectif, juste un bouquet d’arbres, sans plus.
Et ils étaient planqués dans des tranchées et on les a capturés. Et quatorze d’entre nous et puis on est arrivés là-bas, et on en a perdu trois de plus sous les tirs d’artillerie. Un des gars a sauté juste à deux mètres de moi. Et on s’est retrouvés en plein milieu de l’état-major d’un groupe blindé, c’était un groupe très connu, et on est arrivés au beau milieu. Vous savez, en conséquence de quoi, nous avons essayé de nous échapper mais on n’a pas pu, ils ont contre-attaqué, on n’avait plus que douze personnes. Et on n’avait pas d’arme automatique à ce stade là. Et ils ont contre-attaqué, on a rampé dans un fossé, en essayant de nous échapper et on s’est retrouvés encerclés. Et le lieutenant a dit, "je suis désolé, les gars, il va falloir qu’on se rende."
Dans le grand Stalag, le Stalag 11B à Fallingbostel (un camp de prisonniers de guerre), il y avait sans doute dans les, oh, je dirais, six, sept mille américains, anglais et canadiens. Et on vous donnait une tranche de pain et en général deux pommes de terre bouillies en robe des champs et c’était tout pour la journée. Et c’était tout ce que vous aviez. Et le matin, ils apportaient, ils appelaient ça du café. C’était des glands grillés qu’ils utilisaient. Ou de l’orge grillé je crois que c’était. Et si vous aviez ça tôt le matin, une tasse de ça, et puis on attendait jusqu’à 5 heures pour avoir notre soupe. Et c’était tout ce que vous aviez. Et s’il n’y avait pas eu les colis de la Croix Rouge, on aurait eu des gens morts de faim. Et même, on n’avait que la peau sur les os. Donc vous imaginez dans quel état on était quand on s’est enfuis. C’était d’ailleurs ce qu’il y avait de plus dur quand on s’est enfuis, c’était qu’on se fatiguait tellement vite et facilement qu’il fallait qu’on se repose. Mais on y est arrivés.
Je me souviens d’un jour où, c’était un soir pendant notre fuite et on marchait le long d’un bois. Il y avait un champ, un champ de verdure, c’était beau, avec une clôture en face, une clôture en grillage. Et je ne les a pas entendu arriver mais tout à coup, il y a eu au moins une vingtaine de faons. Ils étaient petits mais mon Dieu, ils faisaient des bonds de 6 mètres de long. Et ils sont passés au dessus de la clôture sans sourciller. Et on les a regardés arriver et repartir, pendant seulement deux secondes vous savez, je n’avais jamais vu quelque chose d’aussi beau de toute ma vie. Et j’en garderai toujours le souvenir, comme étant l’une des choses les plus agréables qui me soit arrivées pendant la guerre. Oui.