« Alors après ça j’étais complètement seul. Il n’y avait personne autour de moi qui était, qui était en vie et capable de m’apporter un peu de soutien moral ou de l’aide, ou quoi que ce soit d’autre. La troisième contre-attaque, ça a été une de trop. Je me suis retrouvé prisonnier de guerre. »
Pour le témoignage complet de M. Bagstad, veuillez consulter en bas.
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Transcription
Bon, mon premier combat important ça a été à Ortona. C’est une petite ville sur la côte adriatique en Italie. Nous avons passé sept jours et demi à nous battre là-bas, pour prendre cette petite ville, et de temps en temps, c’était à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Et c’était là-bas qu’on a eu notre très célèbre repas de Noël : le repas de Noël des Seaforth Highlanders(du Canada). Et ça, je trouve ça incroyable, complètement incroyable, que les cuisiniers soient arrivés à préparer un repas comme ça à quelques pâtés de maisons de là où la guerre se déroulait.
Un gars du nom de Matthew Halton (correspondant de guerre canadien) faisait une émission de radio sur les ondes courtes en direction du Canada pendant qu’on avait notre repas de Noël. On avait un joueur de cornemuse qui jouait la marche de défilé du régiment (l’hymne du régiment) ; et mon beau-père, il a entendu la marche et il s’est tourné vers ma mère et il a dit, Ernie est en train de dîner. Est-ce que vous imaginez ? Il avait un sixième sens je suppose. Il faisait partie duImperial Seaforth Highlanders pendant la Première Guerre mondiale et ça, bien sûr, c’est la raison pour laquelle je me suis engagé dans le Seaforth Highlanders pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il donnait l’impression de toujours savoir où je me trouvais et ce que je faisais, pratiquement tout le temps.
Dans la vallée du Liri, sur la ligne Hitler (la ligne de défense allemande dans le centre de l’Italie), le Seaforth Highlanders était en fait le seul régiment qui a réussi à atteindre sa destination ce jour-là. On est allés juste un tout petit peu trop loin, une demi douzaine d’entre nous à peu près. Au cours de cette journée, on a perdu tous nos chars ; et on a perdu tout notre appui d’artillerie, et les communications avec le régiment étaient mortes. Nos opérateurs radio étaient soit seuls ou blessés, ou tués, ce genre de choses.
Et, bien évidemment, les postes radio à cette époque c’était vraiment du costaud. Un seul gars n’était pas suffisant, vous savez. Il fallait un gars pour porter le poste, mais il fallait quelqu’un d’autre pour porter les batteries parce rien que l’ensemble des batteries ça pesait dans les 35 kilos, et le poste radio était plutôt lourd et volumineux. Alors il fallait deux hommes ensemble en permanence et ce n’était pas toujours simple à réaliser. Très souvent l’un d’eux se faisait blesser ou se faisait tuer, ou quelque chose de cette nature, vous savez, alors pour nos communications c’en était terminé, n’est-ce pas.
Et puis, bien sûr, vous ne pouviez pas vous éloigner plus que ça du quartier général et les radios n’étaient pas très fortes. Et elles ne pouvaient pas faire de grandes distances du tout. Alors on se retrouvait hors d’atteinte de l’état-major; et l’état-major ne pouvait pas faire grand-chose pour nous de toute façon. Alors quand on, tous les quatre, on a creusé et c’était assez stupide ce qu’on a fait parce qu’on savait qu’on allait recevoir une riposte, on le savait, vous voyez – absolument, sûr à cent pour cent, on allait avoir une contre-attaque. On n’a pas assez fait attention à nous-mêmes.
Donc lors de la première contre-attaque, deux des gars qui étaient avec nous ont été blessés ; et à la seconde contre-attaque, l’autre gars qui était avec moi, il s’est fait tué. Alors après ça j’étais complètement seul. Il n’y avait personne autour de moi qui était, qui était en vie et capable de m’apporter un peu de soutien moral ou de l’aide, ou quoi que ce soit d’autre. La troisième contre-attaque, ça a été une de trop. Je me suis retrouvé prisonnier de guerre.
Ce dont je me souviens après qu’on ait été bien installés dans le camp de prisonniers de guerre c’est un des gardes qui est venu dans notre enceinte et il fanfaronnait à propos du jour J qui venait juste de se produire. Je crois que c’était peut être bien le sept juin. Il nous racontait avec fierté que tous ces idiots qui avaient envahi la France allaient se retrouver dans l’océan d’un jour à l’autre. On s’est permis de ne pas être d’accord avec lui.
Une cinquantaine d’entre nous sont partis à Munich pour travailler sur le chemin de fer, et on réparait une voie ferrée qui avait été endommagée, qui avait été un petit peu tordue par les bombes, vous savez, celles qui tombaient à proximité de la voie et ce genre de choses. On n’a pas fait du très bon boulot là dessus, volontairement, bien sûr. Un moment plus tard le train est arrivé et il se présentait par là, il arrivait sur Munich, vous voyez ; et je crois qu’il transportait du charbon ou quelque chose du même genre. En tout cas, il est sorti des rails et il a eu un gros accident. Il y a eu un moment de jubilation parmi nous parce qu’on avait fait ça exprès, et tout ça. Mais on ne pouvait pas montrer qu’on jubilait parce que, bon sang de bonsoir, les gardes allemands ne l’auraient sûrement pas très bien pris.
C’était dur d’avaler notre joie, mais ça nous a procuré un profond sentiment de satisfaction après coup, vous savez. Oh, bon sang, on a fait quelque chose de terrible. Les soldats canadiens sont irrévérencieux à certains égards et pourtant, à bien des égards, ils étaient tout sauf ça.
Donc on était le genre de personnes qui, vous savez, parce que je l’ai fait moi-même, vous allez donner votre dernière gorgée d’eau un jour de grande sécheresse. Donnez votre dernière ration de nourriture aussi, vous savez. Quelqu’un qui, un civil, un petit gars qui arrive vers vous en courant en disant qu’il a faim ; vous lui donnez ce que vous avez. Je pense que c’est le genre de choses qu’on doit faire sans y penser. Ça me rappelle l’histoire d’un gars du nom de Isvelt et c’était un casque bleu. Il s’est trouvé nez à nez avec tout un tas de gamins qui étaient sans abris, pour ainsi dire, leurs maisons étaient détruites, et, bien sûr, leurs jouets et tout le reste avaient été détruits en même temps. Il a écrit à sa mère et sa mère a commencé à fabriquer des petites poupées et à les lui envoyer ; et elle a recruté ses amies et puis il a commencé à distribuer les poupées aux petits gamins qui n’avaient plus rien pour jouer, et ce genre de choses. Je pense que ce sont ces choses d’une grande humanité qui font la réputation des canadiens.