Project Mémoire

Louis Antoine Tremblay (source primaire)

« Nous avons eu des batailles dures mais jamais comme Carpiquet. Notre premier repos à été au bout de 39 jours. »

Pour le témoignage complet de M. Tremblay, veuillez consulter en bas.


Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

Page du livre de bord de M. Tremblay, enrôlé le 30 aout 1940.
Page du livre de bord de M. Tremblay, enrôlé le 30 aout 1940.
Avec la permission de Louis Antoine Tremblay
Régiment de la Chaudière, Compagnie B, peloton 11, Holland, 20 mai 1945
Régiment de la Chaudière, Compagnie B, peloton 11, Holland, 20 mai 1945
Avec la permission de Louis Antoine Tremblay
Louis Antoine Tremblay. Hollande, 1945.
Louis Antoine Tremblay. Hollande, 1945.
Avec la permission de Louis Antoine Tremblay
Billets de banque émis par les forces alliées, pour la France, la Hollande et l'Allemagne.
Billets de banque émis par les forces alliées, pour la France, la Hollande et l'Allemagne.
Avec la permission de Louis Antoine Tremblay
Ecussons d'épaule, régiment de la Chaudière.
Ecussons d'épaule, régiment de la Chaudière.
Avec la permission de Louis Antoine Tremblay

Transcription

Moi je suis du Saguenay. Lorsqu'on a embarqué abord des péniches en Angleterre, on est embarqué le 3 juin. On devait débarquer le 5 mais comme la mer était grosse, il y avait beaucoup de tempête, on nous a retardé une journée pour débarquer le 6. On est parti de l'Angleterre avec des péniches et on a traversé sur une distance de 140 kilomètres. Lorsqu'on est arrivé en vue des côtes de la France, on a compris l'ampleur. Aussi loin qu'on pouvait voir sur la mer, on voyait des bateaux. Il y a 5000 bateaux qui ont pris part. Il y avait des milliers d'avions dans le ciel. Ça bombardait des deux cotés. Les Allemands aussi. On a débarqué à l'eau car nos péniches ne pouvaient atteindre la berge. On a gagné la terre ferme. On a perdu du monde, c'est sûr. Il y en a qui se sont fait tuer et d'autres qui se sont fait blesser. Le plus gros des troupes ont réussi a gagner terre. On a gagné la ville de Bernières-sur-Mer. On allait semer la mort et on allait faire la mort. C'est aussi pire que ça.

On se faufilait le long des maisons dans les rues parce que les Allemands avaient mis des obstacles un peu partout. Il y en avait qui étaient cachés avec des mitraillettes. Pour ne pas se faire tirer, on se faufilait le long des maisons. À un moment donné, il y avait une dame française, c'est la première Française que j'ai vu. Elle était cachée dans son sous-sol. Elle nous avait entendus parler en français. Elle m'a dit: « Vous parlez français ? » Je lui ai dit que oui. Elle m'a demandé si on était ici pour rester ou allez vous repartir? Elle croyait que c'était juste un coup de main comme à Dieppe. Je lui ai dit qu'on était ici pour rester. Elle est sortie de sa maison avec une bouteille de Calvados. Elle nous a donné chacun un petit verre de Calvados et on a parlé quelques minutes et nous sommes repartis pour faire notre travail. Lorsque je suis retourné 40 ans après, j'ai rencontré la même dame et j'ai retrinqué avec elle, j'ai pris un autre verre de Calvados.

Le premier soir qu'on a débarqué, on était sur les hauteurs de Carpiquet, près de Fontaine-Henry. C'est là qu'on a eu les premières grosses contre-attaques des Allemands. Dans la nourriture, nous autres c'était seulement que du ''cannage''. Des semaines de temps, c'était de la sardine, lundi, mardi, mercredi; des sardines toute la semaine. Les gars devenaient écœurés de leurs boîtes de sardines. Ils les lançaient au bout de leur bras. Ça donnait un peu de petits vols. C'était défendu mais ils faisaient les poulaillers. Ils ramassaient des œufs. Ça leur faisait un changement. Ils n’avaient pas le droit de faire ça mais je fermais les yeux et je leur disais : « Faites-vous pas pogner. » Un nommé Theriault, il s'en venait avec son casque d'acier plein d'œufs et trois ou quatre bouteilles de vin dans ses bras. Il rencontre une Française. Elle lui dit : « Mon Dieu, les Canadiens vous êtes venus nous délivrer ou nous voler ? » Vous savez comment les Canadiens français parlent hein; des jurons il y en a. Il dit : « Les deux, câlisse! »

En dernier, il n'y avait seulement qu'un soldat qui était vivant [de la compagnie « A »]. C'est un nommé Roy. L.V. [Louis Valmont] Roy. Il chargeait le canon seul et il tirait sur les chars d'assaut. Finalement il s'est fait tuer aussi, sur son canon. Je dis qu’il a sauvé le régiment. On était presqu'encerclé. On a duré quatre jours là, on a été deux jours sans manger. Pas d'eau, pas de nourriture, rien. On a réussi à garder nos positions. On a eu 68 morts et une centaine de blessés. Quand Carpiquet à été fini, nous avons pris le champ d'aviation et tout ça. J'ai dit quand bien même que la guerre durerait dix ans, je ne me ferai pas tuer. Ça ne sera jamais aussi pire que ça. C'était effroyable. Ça n’a jamais été pire que ça. Nous avons eu des batailles dures mais jamais comme Carpiquet. Notre premier repos à été au bout de 39 jours.

On a débarqué à l'eau et notre linge nous a séché sur le dos. On s'est déchaussé au bout de 39 jours. Les pieds nous pourrissaient dans nos bottes. Au bout de 39 jours, on nous a emmenés en arrière du front. On nous a donné du linge sec et on nous a fait prendre des douches, changer de linge et un bon repas. Le lendemain, ils nous ont remontés à la ligne de feu. Ça a été le seul repos. Ça a été comme ça jusqu'a la fin de la guerre. Lorsqu'on est entré dans la ville de Rouen, il y avait des maquisards français qui nous donnaient des renseignements. Les Allemands, pour se venger des maquisards, ils avaient attaché 13 personnes; hommes, femmes, au hasard probablement. Ils les avaient tous attachés à des poteaux et ils les avaient fusillés. Donc quand on est arrivé on a vu ces gens-là attachés après les poteaux encore. Le terrain, la Hollande est en bas du niveau de la mer. On a essayé de débarquer mais sans succès. Ils nous ont vus venir. Alors nous avons passé la journée couchés dans les roseaux. Dans l'eau, les pieds dans l'eau et puis à terre quand on pouvait. Parce que la minute que les Allemands voyaient bouger les quenouilles, ils fauchaient ça à la mitrailleuse. Il ne fallait pas bouger. On a passé la journée là et on a réussi a monter sur la digue seulement que le soir. Prendre un peu de terrain à mesure de jour en jour. On a libéré le côté ouest de la rivière jusqu'à Ostend en Belgique. Le côté est c'était des régiments Canadiens-anglais.

Ça a été difficile toute ma vie car je n'ai jamais oublié mes compagnons qui sont morts. J'y pense à tous les jours. J'étais un des plus vieux. J'avais des jeunes de 18, 19, 20, 21 ans. Quand je perdais un homme, c'est pareil que si ça avait été un des mes enfants. Je suis retourné au bout de 40 ans. Lorsque j'ai été sur la plage où j'avais débarqué, j'ai pleuré. Je me posais des questions. Comment j'avais pu passer au travers de ça ? J'ai visité le petit cimetière à Bény-sur-Mer. Je voyais les noms de mes gars qui sont décédés. Je me disais, « Comment ça se fait que toi tu dors ici depuis 40 ans et moi je suis encore debout ? » Lorsque je suis revenu à la vie civile, je me sentais démuni, je me sentais seul. Tous mes amis que j'avais avant étaient maintenant mariés ou chacun de leur bord, chacun leur vie. Ça a été dur. Une chance que j'ai eu une épouse qui m'a aidé beaucoup, beaucoup. Parce que je ne sais pas trop ce qui serait arrivé. Ça a été aussi dur que la guerre. Parce que mentalement j’étais déboussolé. J'ai eu une compagne qui m’a aidé terriblement et je l'adore, je l'adore encore.