« Alors j’ai dit que je m’en allais. Il m’a répondu que c’était impossible, que j’étais encore malade. Mais après tout ce temps dans un camp de prisonniers, je risquais surtout de perdre la raison. Je voulais être libre et je suis parti. »
Transcription
Je me souviens de la nuit où ça s’est terminé (la bataille de Hong Kong). Il n’y a pas de fatigue équivalente à la fatigue d’une bataille et j’étais complètement épuisé. Et je me suis endormi à un endroit appelé Stanley, sur la péninsule Stanley dans la caserne Stanley. Au cours de la nuit j’ai entendu crier et j’ai dit, que se passe-t-il ? Et quelqu’un a répondu, la bataille est terminée. Et j’ai dit, ce n’est pas possible parce qu’on nous avait dit qu’il n’y aurait pas de capitulation, pas sans combat – c’était fini. C’était terminé. Apparemment le gouverneur de Hong Kong avait signé une sorte de reddition (aux japonais le 25 décembre 1941quand les positions alliées avaient été envahies). Peut-être que c’était une bonne chose parce que je ne serais pas ici en train de vous parler aujourd’hui si ça avait continué.
Dans (un camp de prisonniers) à Hong Kong en premier, il n’y avait pas de groupes de travail mais ensuite ils ont commencé avec ses groupes de travail et ça encore c’était bon pour moi. Parce que quand vous travaillez, vous ne pouvez pas broyer du noir ou… Et nous avons un peu travaillé à l’aéroport de Kai Tak (sous occupation japonaise, les prisonniers de guerre ont travaillé à l’expansion de l’aéroport et à la construction des pistes). Je sais que c’était du travail pour les japonais mais ensuite on nous a faits partir. On est allés à Nagasaki en bateau, on est allés dans un petit endroit appelé Fukuoka. Et à Fukuoka, on est allé travailler dans les mines de charbon. Et c’est là que j’ai passé les… Et je m’occupais des conditions de sécurité dans la mine en quelque sorte. Une mine de charbon c’est différent des autres mines. Vous percez un tunnel à travers et puis vous travaillez tout le côté du tunnel. Alors votre problème principal c’est de garder le toit en place. Et c’était une de mes tâches, m’assurer que le toit tenait bien en place.
On n’avait pas trop affaire aux gardes. On avait bien plus à faire avec les patrons dans la mine. Et on avait tiré un vieux salaud et on avait un français avec nous et il l’avait surnommé « Ti vieux ». Et comme ça tout le temps, je ne connais toujours pas son nom. Mais c’était « Ti vieux » et voilà. En français ça veut dire « petit vieux » je pense.
La guerre s’est terminée, je n’étais pas vraiment dans les mines quand la guerre s’est terminée. Ce qui s’est passé, on avait notre jour de repos toutes les deux semaines. Et tout à coup sans crier gare, on nous a donné un jour de repos et on n’arrivait pas à comprendre pourquoi ; ce n’était pas normal du tout. Et il y avait toujours des rumeurs dans l’air et il y a une rumeur qui est arrivée comme quoi la guerre était terminée. Et c’était fini (le 15 août 1945 l’empereur japonais Hirohito annonçait la capitulation du Japon). Et c’est seulement un mois après la fin de la guerre que nous sommes rentrés.
Les gardiens dans le camp qui étaient violents ont juste disparus. Et les autres, il y avait des japonais – même s’ils faisaient partie du camp ennemi – ils se conduisaient bien avec nous. Mais il y en avait quelques uns là-dedans qui n’étaient pas trop bien. Ce vieux salaud, j’ai pourchassé ce vieux salaud qui avait l’air… parce qu’il était responsable à mon avis d’une partie des décès. Mais il était toujours parti.
Les américains étaient venus et on leur avait dit qu’il y aurait des moyens de transport fournis et c’était le cas. Et on a pris un train, on est descendu jusqu’à une ville appelée Nagasaki et là, on est montés à bord d’un bateau de troupes américain. Et on est allés à Manille, aux Philippines. Et les américains étaient des hôtes merveilleux. Ils nous ont traités d’une manière tout à fait extraordinaire.
J’ai eu la malchance dans le camp de dormir par terre avec un homme qui est mort de la tuberculose. Or, sans nourriture ou vraiment si peu de nourriture et mourant de faim, et lui, je me souviens encore de sa toux, oh mon Dieu, et j’avais un tas de lésions sur les poumons quand je suis rentré. Bon, elles ne sont jamais devenues actives, mais j’ai été hospitalisé.
J’ai encore du mal à en parler mais après, ce dont vous vous languissez le plus quand vous êtes un prisonnier de guerre c’est la liberté. Et quand je suis rentré au Canada, j’ai été hospitalisé. Et pendant quelques temps ça allait. J’étais hospitalisé à Montréal. Ma petite amie était à Montréal. Ce n’était pas trop mal. Mais ensuite ils nous ont emmenés dans une petite ville française du nom de Saint-Hyacinthe. Et comme pour empirer les choses, juste de l’autre côté de la salle commune il y avait un ancien combattant de la Première Guerre mondiale qui était à l’hôpital depuis 28 ans.
On avait quelques docteurs qui étaient compréhensifs. Il y en avait un qui s’appelait MacDonnell ou McDonald. Et je lui ai parlé. Et je lui ai demandé si j’étais contagieux, il a répondu non, vous n’avez rien de contagieux. Bon, alors je m’en vais, j’ai dit. Oh, il a répondu, vous ne pouvez pas partir, vous êtes malade. J’ai dit, je vais être devenir fou aussi si je dois rester ici. J’ai dit, après tout ce temps passé dans un camp de prisonniers, j’ai besoin d’être libre. Et je suis parti.