William Adelman a servi dans le Princess Patricia's Canadian Light Infantry pendant la Deuxième Guerre mondiale.
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Transcription
William Adelman. Je suis né le 31 mars 1924. J’ai 85 ans.
Quand la guerre s’est déclarée, j’étais encore trop jeune pour y aller, donc j’ai été assez chanceux – j’y ai obtenu un emploi dans une fabrique d’avions –, mais je voulais faire mon service militaire. Quand j’ai atteint l’âge réglementaire, j’ai laissé cet emploi intéressant et je me suis enrôlé. J’avais le goût de l’aventure. Je me disais : « Ah oui, je veux y aller! » Vu que je travaillais dans une fabrique d’avions, j’étais exempté, je n’étais pas obligé d’y aller. Mais je voulais partir et, le temps venu, quand ils m’ont envoyé l’invitation, si je puis dire, j’y ai répondu. Mais à ce moment-là, à titre de conscrit. Je n’aimais pas du tout ça et, dès que je suis entré en service, je me suis porté volontaire pour aller outre mer.
Étant donné que je suis juif, je sentais que je devais faire quelque chose, parce que nous étions persécutés là-bas. Je ne savais pas tout de ce qu’ils étaient en train de faire, mais je me sentais le devoir d’intervenir. En plus, j’avais une vision romantique, je me voyais marcher et chanter avec les troupes. Oui, c’était plus ou moins une vision romantique.
Ils avaient besoin de renforts en Italie, et c’est en Italie que se trouvait mon régiment, le « Princess Pats », le PPCLI [Princess Patricia’s Canadian Light Infantry]. Et quand ils ont eu besoin de renforts et qu’ils ont dit : « Toi, c’est là que tu vas », j’étais volontaire pour partir. Nous avions le choix entre trois régiments. Parfois ils pouvaient nous dire que nous n’avions pas le choix, mais moi je l’ai eu et j’ai choisi le Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, et en route pour l’Italie!
Ma première mission a été Cassino. Je ne sais pas si vous savez ce que c’est que Cassino. Cassino était une grande bataille. Les Allemands étaient postés au sommet d’une montagne et nous n’arrivions pas à les en déloger. Tout le monde a essayé et ça a été une grande bataille. J’ai joint mon régiment là-bas à titre de renfort. Mais nous devions rejoindre le régiment, qui était sur la ligne de front. Les bombardements et les tirs étaient si intenses que nous ne pouvions pas vraiment nous y rendre. Nous en étions peut-être à un pâté de maisons, mais nous n’avons pas pu les rejoindre. Nous subissions quand même les bombardements et ça a mal tourné quand le premier de nos compagnons que je connaissais personnellement a été tué. Ça a vraiment été une période difficile, il n’y avait pas de quoi se la couler douce.
Comme nous n’avons pas pu atteindre notre régiment, un peu plus tard, quand la bataille a été finie, nous, les renforts, sommes parvenus à eux, et ils nous ont assigné des rôles : « Maintenant, vous, venez avec nous. Vous joindrez l’escouade des enterrements. » L’escouade des enterrements, c’est là où j’ai perdu toutes mes illusions. Nous ramassions les morts et nous les enveloppions dans des couvertures. Nous les empilions comme des poches de patates. Une période très, très dure. Ça nous rongeait. Pourtant, après un certain temps, même ça, nous nous y sommes habitués. Les jours passaient, et ça semblait n’avoir pas de fin. Nous avons prié beaucoup dans ce temps-là.
Aux quatre coins de l’Italie, les villes dans lesquelles nous étions envoyés étaient bombardées. Quand nous arrivions, c’était toujours le chaos. Rome, elle, était une ville ouverte. Elle a été épargnée. Les Allemands et les Alliés s’étaient entendus pour ne pas s’affronter à Rome. Et nous y sommes entrés. Tout était merveilleux et propre, et les filles étaient élégantes, maquillées, elles étaient si jolies! Roma!
Nous étions sur la ligne de front, il pleuvait, et nous nous trouvions dans une tranchée-abri. Un temps de misère. Nous étions postés là, sans bouger, à attendre, sans savoir exactement ce qui allait se passer. Et puis il y a eu ce sergent major qui a crié : « Adelman, Daniel ». Daniel Holsell et moi pensions qu’il voulait nous donner une tâche ingrate. Nous n’étions pas trop pressés de répondre, alors nous sommes restés silencieux dans notre coin. Finalement, il nous a repéré et il nous a dit des choses pas trop gentilles. Il nous a passé tout un savon. Il a dit : « Vous deux, vous êtes hors bataille. Vous serez envoyés à Rome. » Wow! Euh, bien sûr, on y va monsieur!
Alors, nous sommes montés dans notre véhicule, et nous avons été éloignés des premières lignes. Mais nous étions dans nos vêtements sales, vous savez, nous n’avons pas eu la chance de prendre nos sacs avec nos vêtements propres. Le conducteur devait s’arrêter aux divers échelons. En chemin, il y avait des dépôts où étaient conservés les ravitaillements. Et quand nous nous y arrêtions, nous avions notre boniment : « Nos vêtements sont sales, nous partons pour Rome, nous avons besoin de vêtements. Alors, ils nous ont donné des vêtements, plein de vêtements, parce qu’à chaque poste de ravitaillement nous racontions la même histoire. Nous avions des vêtements et, bah, nous n’avions pas besoin d’argent, mais la plupart d’entre nous à ce moment-là vendions nos vêtements en surplus aux civils. Nous sommes arrivés à Rome et pas plus tard que deux minutes après, nous étions sur les places, et c’était la fête pour tout le monde. « Voici des chaussures, voici des pardessus », et nous nous retrouvions avec une pile d’argent. C’était illégal, mais tout le monde le faisait.
J’avais une Thompson, une mitrailleuse très maniable. Je dirigeais mes compagnons et je me suis rendu à la première maison. J’ai aperçu dans la cour une botte de foin et trois hommes qui y étaient accotés. Je savais qu’ils étaient allemands parce qu’ils portaient de longs manteaux et que nos compagnons ne portaient pas encore leur manteau d’hiver. Ce que j’aurais dû faire, c’est donner un commandement : « La botte de foin, là, feu! », mais j’ai craint que, comme la plupart des gars derrière moi étaient des nouveaux, ils prennent leur arme, tirent devant eux et que, par accident, ils tirent sur moi. Mais j’avais ma propre arme, ma mitraillette Thompson. J’ai appuyé sur la gâchette et l’arme s’est enrayée. Elle était pleine de boue et ne fonctionnait pas.
Mon arme n’a pas fonctionné, mais celles des Allemands, oui. Ils ont commencé à tirer sur moi; j’ai reçu une balle dans le bras, une au poignet, et une au travers du col. Je me suis écroulé et je me suis retrouvé dans une petite rigole. Tout ce dont je me rappelle maintenant, c’est d’avoir rampé jusqu’à cette rigole comme un serpent. J’ai rampé, rampé, interminablement. Finalement, nos gars m’ont ramassé, ils m’ont amené dans cette maison et ils m’ont donné une dose de morphine. J’ai replié les doigts et j’ai dit : «Ouf, c’est pas trop pire, ça fait pas trop mal! », mais c’était la morphine. Je me sentais bien, en fait. J’étais blessé et ils appelaient cela une blessure à un million de dollars. Je savais que la bataille était finie pour moi. Ils étaient prêts à me renvoyer me reposer. Les gars ont capturé les trois Allemands qui se trouvaient dans la cour. Dans mon allemand approximatif, parce que je parle un peu l’allemand, je les ai traité de tous les noms. Je leur ai dit : « Vous, vous m’avez tiré dessus, et quand nous serons rendus là-bas, je vais vous descendre. » J’étais hors de moi, je les ai couverts d’injures.
Puis nous sommes partis. Sur le chemin du retour, j’avais un garde avec un fusil, qui tenait à l’oeil les trois prisonniers. Mon bras a commencé à raidir. Je m’appuyais sur mon compagnon, quand j’ai réalisé que j’allais l’encombrer si les prisonniers voulaient s’évader ou tenter quoi que ce soit. Alors, je me suis plutôt appuyé sur un des prisonniers, le plus petit d’entre eux. Nous avons poursuivi notre marche en direction d’un poste de secours pour moi et d’un camp de prisonniers pour eux. C’était glissant. Je suis tombé, et le gars sur lequel j’étais appuyé est tombé, lui aussi. Lui, à peine plus de cinq pieds, et moi, six pieds un à cette époque. Il m’a ramassé et m’a porté comme un bébé. La colère s’est apaisée. Arrivés au campement de premiers soins je leur ai dit : « Au revoir, les gars ». C’était ça, l’histoire de ma fameuse blessure.