Il y a cent ans, le Canada a apporté sa plus importante contribution de la Première Guerre mondiale . Les jeunes soldats du Corps canadien livrent, cette année-là, leurs trois batailles les plus mémorables, prenant d’assaut trois positions ennemies capitales, les conquérant toutes trois et se forgeant ainsi la réputation d’une formidable troupe de choc. En dépit d’un terrible bilan humain, les sacrifices de cette année ont jeté les bases d’un nouveau nationalisme canadien et, au bout du compte, de l’indépendance totale du Canada vis-à-vis de la Grande-Bretagne.
Vimy
En 1917, les 100 000 hommes du Corps canadien représentent l’armée la plus nombreuse que le pays a jamais rassemblée. Dans le cadre d’une offensive plus générale des forces britanniques contre les lignes allemandes ce printemps‑là, ils reçoivent l’ordre de s’emparer de la crête de Vimy, une colline fortifiée s’étendant sur sept kilomètres dans le nord‑est de la France.
Les Canadiens donnent l’assaut le 9 avril, le lundi de Pâques. L’infanterie attaque la crête par vagues successives, appuyée par des barrages d’artillerie massifs, dans des conditions dantesques : vent, verglas et chutes de neige. Après quatre jours d’intenses combats, la majeure partie de la crête est aux mains des Alliés.
La bataille fait 3 598 morts et 7 000 blessés parmi les combattants canadiens. On estime à quelque 20 000 les victimes côté allemand.
La victoire, l’un des premiers grands succès des Alliés pendant la guerre, est accueillie avec admiration et enthousiasme au Canada, et cette bataille devient rapidement le symbole d’un nationalisme qui s’éveille. L’une des principales raisons de ce phénomène est que ce sont les quatre divisions du Corps, composées de soldats de toutes les régions du Canada, qui se sont emparées de la crête en combattant ensemble, pour la première fois, en une seule troupe de choc.
« Des hommes blessés jonchent le sol dans la boue, dans les trous d’obus et dans les cratères creusés par les mines; certains hurlent en direction du ciel, d’autres gisent en silence, les uns implorant de l’aide, les autres luttant pour ne pas être engloutis dans des cratères remplis d’eau; le terrain grouille de brancardiers essayant de porter secours à des victimes dont le nombre ne cesse d’augmenter. » – journal de guerre de la 6e Brigade (surnommée « Iron Sixth ») de la 2e Division du Corps canadien
Julian Byng et Arthur Currie
C’est le lieutenant‑général Julian Byng, commandant britannique du Corps canadien, qui dirige l’attaque contre la crête de Vimy. Alors que les rangs du Corps sont largement composés de soldats canadiens volontaires, une grande partie des officiers supérieurs sont des militaires britanniques de carrière.
L’appui de l’organisation, du leadership, de l’artillerie, de l’approvisionnement et du génie de l’armée britannique s’avère toutefois crucial pour le succès des Canadiens à Vimy, une réalité qui n’est pas véritablement passée dans l’histoire.
Après la guerre, Julian Byng occupe, de 1921 à 1926, les fonctions de gouverneur‑général du Canada, se rendant célèbre pour l’affaire King‑Byng qui le voit entrer en conflit avec le premier ministre William Lyon Mackenzie King.
Après la victoire à Vimy, Julian Byng est promu au haut commandement de l’armée britannique. Le lieutenant‑général Arthur Currie, l’un des héros de Vimy, prend alors le commandement du Corps canadien, devenant le premier Canadien à occuper ce poste (voir Commandement canadien pendant la Grande Guerre).
Arthur Currie, après avoir été enseignant et vendeur d’assurances, s’engage comme volontaire dans la milice en Colombie‑Britannique. Bien que dénué d’expérience en tant que militaire professionnel, il deviendra l’un des généraux alliés les plus compétents de la guerre. Tacticien habile et novateur sur le champ de bataille, il conduira, de juin 1917 à la fin de la guerre, le Corps canadien à une série de victoires durement acquises.
Cote 70
En juillet, Arthur Currie reçoit l’ordre d’attaquer Lens, une ville charbonnière française alors occupée par les Allemands. Les Britanniques espèrent que cette attaque permettra d’éloigner de Passchendaele, une offensive plus importante qui fait alors rage en Belgique, des ressources militaires allemandes.
Arthur Currie estime que la cote 70, un point stratégique en altitude juste au‑dessus de Lens, revêt une plus grande importance que la ville elle‑même; en effet, il y aurait peu d’intérêt à s’emparer de Lens si les Allemands étaient en mesure de continuer à tirer des hauteurs environnantes. Il réussit à convaincre ses supérieurs de faire de la cote 70 le principal objectif.
Les Canadiens donnent l’assaut le 15 août. Peu à peu, ils réussissent à s’emparer de positions allemandes équipées de mitrailleuses et progressent en direction du sommet. Repoussant des vagues successives de contre‑attaques ennemies, ils finissent par s’assurer du terrain le plus élevé. Toutefois, les combats se poursuivent pendant trois jours, le Corps canadien mettant en échec 21 tentatives allemandes pour reprendre la cote.
On estime qu’environ 9 000 Canadiens et 25 000 Allemands ont été tués ou blessés au cours de cette bataille.
Arthur Currie écrira : « Cette bataille a indubitablement été la bataille la plus difficile à laquelle le Corps a participé, et le quartier général la considère comme l’une des performances les plus extraordinaires de la guerre. »
Passchendaele
Pendant ce temps, les forces britanniques mettent en place une offensive massive contre les lignes allemandes en Belgique, dans l’espoir de conquérir le village de Passchendaele, au sommet d’une crête stratégique, et de pouvoir, à partir de là, pousser jusqu’à la côte de la mer du Nord et s’emparer des ports détenus par les Allemands.
Les combats précédents et des bombardements incessants ont transformé le champ de bataille de Passchendaele en un bourbier apocalyptique, parsemé de cratères remplis d’eau suffisamment profonds pour qu’un homme s’y noie. Des mois d’assauts infructueux, conduits par les troupes britanniques, australiennes et néo‑zélandaises, ont fait près de 70 000 victimes alliées. Toutefois, les Canadiens reçoivent l’ordre de reprendre le combat des alliés pour s’emparer de Passchendaele.
Arthur Currie s’oppose à ce qu’il considère comme une attaque trop téméraire. Cependant, après avoir officiellement protesté, il met au point les plans minutieux d’une attaque canadienne. Pendant deux semaines, le Corps canadien attaque la crête de Passchendaele, ne progressant, en dépit de lourdes pertes, que de quelques centaines de mètres chaque jour. Les conditions sont absolument épouvantables : les soldats blottis dans des trous d’obus gorgés d’eau, parfois perdus dans un paysage boueux chaotique, ne savent plus où passe la ligne de front séparant les positions allemandes des positions canadiennes.
Le 6 novembre, les Canadiens réussissent à s’emparer de la crête et des ruines du village de Passchendaele. La bataille de Passchendaele fera plus de 15 600 victimes canadiennes, blessées ou tuées, sur un total de 275 000 victimes alliées. Les victimes allemandes, blessées ou tuées, se compteront, elles, au nombre de 220 000.
Finalement, à l’issue de la bataille, on ne comprend plus très bien les raisons de cette boucherie : en effet, quelques mois plus tard, tout le terrain gagné par les Alliés doit être évacué en prévision d’une attaque allemande imminente.
Perte
On doit tout d’abord se souvenir de 1917 pour ses horreurs. Les pertes innombrables en vies humaines et les traumatismes subis par les soldats des deux camps n’ont pas beaucoup de sens si on les rapporte aux gains militaires réalisés lors de ces trois batailles. En effet, le terrain conquis sera à nouveau perdu l’année suivante à Passchendaele et la victoire de Vimy aura finalement peu de répercussions sur l’orientation de la guerre.
Cependant, les batailles de 1917 ont convaincu le Corps canadien qu’il pouvait se battre efficacement et remporter la victoire. Ces combats ont usé l’armée allemande qui, même si elle s’est relevée et a réussi à conduire une nouvelle offensive en 1918, a vu cette dernière tourner court. La guerre se terminera en novembre de cette année‑là grâce, en partie, au rôle de fer de lance jouée par les Canadiens lors de la campagne des Cents Jours qui mettra fin à la Première Guerre mondiale et aux carnages auxquels elle a donné lieu (voir : La bataille d’Amiens; La bataille de Cambrai).
Héritage
Les campagnes épiques de 1917 ont fait germer l’idée que le Canada méritait de jouer sa propre partition sur la scène mondiale sans nécessairement être lié aux Britanniques.
Vimy, la cote 70 et Passchendaele, ainsi que les sacrifices collectifs du Canada lors de la guerre, ont incité les dirigeants canadiens, notamment le premier ministre Robert Borden et ses successeurs, à rechercher une plus grande autonomie au sein de l’Empire britannique. Leurs efforts conduiront finalement, dans les décennies qui suivront, à une indépendance totale du Canada en tant qu’État souverain (voir : Traité de Versailles; Rapport Balfour).