Anatomie
Les abeilles se caractérisent par leur corps couvert de poils ramifiés, leurs pièces buccales munies d’un long rostre (langue) pour aspirer le nectar, leurs ailes veineuses transparentes et leurs pattes arrière souvent doublées de poils raides servant à collecter le pollen. Presque toutes les espèces sont adaptées pour récolter le nectar et le pollen de fleurs. Toutefois, les mâles ne butinent pas activement et, par conséquent, ne possèdent généralement pas les mêmes appareils que les femelles pour le transport du pollen.
Les colonies eusociales se composent de trois différentes castes : les reines (femelles fertiles et reproductrices), les ouvrières (femelles stériles descendantes de la reine) et les faux bourdons (mâles). Les reines sont généralement plus grosses que les ouvrières et faux bourdons et elles ont un grand abdomen. Les ouvrières sont légèrement plus petites que les faux bourdons. Les abeilles mesurent de 2 mm à 4 cm. Leurs couleurs varient grandement : certaines espèces sont noires, d’autres sont brunes, jaunes, blanches, orangées, rouges, grises ou ont même des nuances métalliques de vert, bleu ou pourpre, alors que d’autres arborent un assemblage de ces couleurs.
Distribution et habitat
Les abeilles sont à leur plus haut niveau de diversification dans les climats secs et méditerranéens, surtout dans les prairies et les déserts chauds. Elles préfèrent les habitats ensoleillés qui regorgent de fleurs, mais on en retrouve partout où le climat permet la subsistance de plantes à fleurs. Par conséquent, les régions subarctiques et arctiques abritent beaucoup moins d’abeilles. On y retrouve principalement de petites populations de gros bourdons et la pollinisation des pollinifères y est alors surtout assurée par les mouches.
Pollinisation
Les abeilles assurent la récolte et le transport du pollen de la plupart des plantes à fleurs et pollinisent la majorité des cultures de fruits, de légumes et d’autres produits importants, comme le lin, la luzerne et le canola. Bien que les abeilles ne soient pas les seules pollinisatrices de plantes à fleurs (partageant la tâche avec les oiseaux, les chauves-souris, les papillons nocturnes et les mouches), elles sont indéniablement les plus importantes. Leur contribution à la biodiversité mondiale est inestimable : les plantes qui ne sont pas pollinisées par les abeilles dépendent en partie de celles qui le sont. Ainsi, une vaste part de n’importe quel écosystème dépend indirectement des abeilles.
Les espèces d’abeilles présentent différents niveaux de spécialisation en matière de butinage. L’abeille domestique est extrêmement généraliste, et donc, récolte le pollen d’une grande variété de fleurs distinctes (polylectisme). Par contre, beaucoup d’abeilles sont plutôt spécialisées et récoltent seulement le pollen de quelques espèces végétales voisines (oligolectisme). L’évolution de certaines abeilles oligolectiques a conduit à des adaptations morphologiques et comportementales qui ont amélioré la collecte de pollen, et, par conséquent, la pollinisation de leurs plantes préférées. Par exemple, la vibration est un comportement visant à faire vibrer une fleur afin de rendre accessible du pollen qui serait autrement hors de la portée de l’abeille (pollinisation par vibration). Nombreuses sont les plantes qui nécessitent cette vibration pour relâcher leur pollen (p. ex., la tomate), et on observe ce comportement chez un grand nombre d’abeilles, à l’exception de l’abeille domestique. Ainsi, ces différences dans l’efficacité de pollinisation signifient que pour plusieurs plantes cultivées (notamment la luzerne, le melon d'eau, le bleuet et d’autres baies) les abeilles sauvages sont de bien meilleurs pollinisatrices que les abeilles domestiques. Dans bien des cas, les cultures fruitières pollinisées par les abeilles sauvages peuvent être économiquement viables sans l’emploi d’abeilles domestiques, à condition qu’elles soient plantées à proximité d’un habitat naturel de celles-ci ou qu’on intègre un tel habitat à même les cultures maraîchères.
Les abeilles récoltent aussi le nectar de fleurs, qui sert de nourriture aux adultes et, une fois mélangé à du pollen, aux larves. Certaines abeilles approvisionnent leur nid en huiles florales (p. ex., Macropis nuda), qui servent généralement à remplacer le nectar dans la nourriture des larves.
Reproduction et développement
Le sexe des larves est déterminé par la fécondation des œufs : les œufs fécondés par du sperme à leur ponte donneront naissance à des femelles, alors que les œufs non fécondés, à des mâles. Ce type de détermination du sexe s’appelle « haplodiploïdie », car les mâles demeurent haploïdes (avec la moitié des chromosomes des femelles diploïdes).
Chez les abeilles sociales, les sécrétions externes (phéromones), particulièrement celles de la reine, gouvernent la structure hiérarchique et le comportement des castes. Ainsi, ce n’est que la reine qui pond des œufs. D’autres phéromones servent à marquer les trajets menant aux sources de nourriture, quoique les abeilles domestiques s’échangent aussi des indications vers des fleurs ou d’autres ressources au moyen de leur « danse frétillante ».
Nidification
Le comportement de nidification des abeilles s’étend du solitarisme à l’eusocialité, en passant par le partage d’un nid entre quelques individus (souvent apparentés). La plupart des abeilles sont solitaires. En fait, on estime que seulement 10 % des espèces d’abeilles sont eusociales, c’est-à-dire qu’elles présentent une organisation à générations imbriquées, une collaboration attentive aux soins des jeunes et une structure hiérarchique organisée en castes, soit une reine, des ouvrières et des faux bourdons. Ces colonies consistent seulement de la reine et de sa progéniture.
Abeilles solitaires
La plupart des abeilles solitaires creusent des tunnels dans le sol où elles y construisent les cellules de leur nid, quoique certaines s’installent dans des trous qu’elles ont formés en grugeant le bois (p. ex., les abeilles charpentières, du genre Xylocopa), ou dans des racines de plantes mortes (p. ex., les abeilles des genres Ceratina et Hylaeus). Beaucoup d’abeilles nichant dans le sol sculptent des cellules uniques dans l’argile (p. ex., les abeilles fouisseuses, du genre Anthophora). Les cellules peuvent être étanches ou non. Les abeilles coupeuses de feuilles (famille Megachilidae) rendent les cellules de leur nid étanche avec des morceaux de feuilles qu’elles ont transportés jusqu’à celui-ci, tandis que d’autres abeilles de la même famille étanchéifient leur nid avec de la fibre ou de la résine de plantes, ou encore parfois avec des morceaux de matériaux synthétiques comme le plastique d’un sac d’épicerie. Les collètes (famille Colletidae) tiennent leur nom anglais « cellophane bees » de la matière imperméable qu’elles sécrètent pour étanchéifier leurs cellules et qui ressemble à de la pellicule de cellulose. Les femelles de toutes les espèces d’abeilles solitaires façonnent leur nid dans lequel elles stockent du pollen et du nectar, déposent leurs œufs et laissent les petits se développer indépendamment.
Niveaux intermédiaires de sociabilité
Certaines abeilles sont considérées comme étant subsociales, c’est-à-dire que les femelles restent auprès de leur progéniture dans le nid dès que les œufs éclosent pour les nourrir et en prendre soin, comme chez quelques espèces d’abeilles charpentières du genre Ceratina. D’autres sont communales, ce qui signifie que plusieurs femelles utilisent le même nid, mais chacune approvisionne ses cellules et y pond ses œufs, comme c’est le cas d’un nombre d’espèces d’abeilles de la sueur (famille Halictidae). Le degré de sociabilité peut aussi varier à l’intérieur d’une même espèce, comme chez l’halicte polymorphique (Halictus rubicundus), qui peut être solitaire ou eusociale dans différents endroits de son territoire ou à différents moments dans l’année.
Abeilles eusociales
Au Canada, les abeilles eusociales sont représentées par les bourdons, les abeilles domestiques et quelques abeilles de la sueur des genres Halictus et Lasioglossum. Les bourdons sont des abeilles eusociales qui ont un cycle de colonisation annuel. Leur nid se compose de petites cellules de cire en forme de marmites qu’ils utilisent pour stocker du miel et du pollen, et pour élever leur couvain. La reine émerge au printemps, trouve un site de nidification (souvent dans le nid d’un rongeur) pour commencer une colonie et butine activement pour faire des provisions florales. Elle approvisionne le nid en prévision du premier couvain de la colonie au printemps, qui donnera naissance aux ouvrières. Alors que l’été s’installe, les ouvrières se chargent d’aller butiner et de nourrir les petits. Plus tard, la reine pond des œufs destinés à devenir de nouvelles reines et des faux bourdons. Les colonies comptent généralement moins de quelques centaines jusqu’à mille individus selon l’espèce. La structure sociale de la colonie se brise lorsque les nouvelles reines sont fécondées et que chacune part à la recherche d’un abri pour l’hiver. Seules les nouvelles reines fécondées survivent jusqu’à l’année suivante. Au Canada, on retrouve 41 espèces de bourdons à nidification libre, quelques-unes au-delà du cercle arctique.
Les abeilles eusociales les plus étudiées sont les abeilles domestiques. L’architecture précise des cellules hexagonales qui forment les rayons de leur nid, le comportement social complexe de leur colonie, la cire et le miel qu’elles produisent, et la pollinisation qu’elles assurent font de ces abeilles l’un des insectes les plus fascinants et utiles pour l’humanité. Les colonies sont généralement très populeuses, comptant des dizaines de milliers d’individus sous l’influence d’une seule reine. La population d’une colonie croît durant l’année, culminant à la fin du printemps ou au début de l’été lors de l’essaimage et atteignant son point le plus bas à la fin de l’hiver. La colonie est active tout l’hiver, gardée au chaud par la chaleur corporelle de ses individus. Le couvain nécessite une température d’environ 35 °C pour se développer correctement. L’essaimage est le mode de propagation des colonies : plusieurs milliers d’abeilles, accompagnées d’une reine, quittent la ruche mère et se trouvent un nouvel endroit où vivre. La ruche mère, quant à elle, poursuit ses activités dans le même nid avec une nouvelle reine.
Abeilles parasites
Certaines abeilles se développent en parasites de leurs proches et perdent leur habileté à récolter de la nourriture et à élever leur progéniture. Quelques-unes sont des parasites sociaux, comme les bourdons du sous-genre Psithyrus, dont les reines recherchent des nids établis de bourdons pour y remplacer la reine existante ou pour cohabiter avec celle-ci. La reine parasite pond des œufs qui doivent être soignés par les ouvrières de son hôte, produisant seulement des reines reproductrices et des faux bourdons. La plupart des abeilles parasites sont des cleptoparasites, communément appelées « abeilles-coucous » par analogie au coucou, l’oiseau qui pond ses œufs dans le nid d’autres oiseaux qui l’accueillent. Les larves parasites mangent la nourriture prévue pour les larves hôtes, qui sont finalement tuées par les coucous.
Piqûres d’abeilles
Seules les femelles possèdent un dard (aiguillon), un ancien organe reproducteur (ovipositeur), qui sert exclusivement à la défense contre de potentiels prédateurs. (Les abeilles, de même que d’autres insectes piqueurs comme les guêpes et les fourmis, pondent leurs œufs par une autre ouverture.) L’aiguillon est situé au bout de l’abdomen de la femelle et sert à injecter un venin toxique, responsable de la douleur, de l’enflure et, parfois, de réactions allergiques sévères chez la victime. Les piqûres d’abeilles ou de guêpes peuvent être mortelles (c.-à-d., choc anaphylactique) pour seulement 1 à 3 % de la population humaine mondiale.
Dans le cas des abeilles domestiques, l’aiguillon des ouvrières est denté. Ainsi, lorsqu’une abeille pique un être à la peau épaisse, comme un humain, une partie de son abdomen est généralement arrachée et laissée derrière, causant sa mort. L’aiguillon de la majorité des autres abeilles n’est pas aussi denté, ce qui leur permet de le réutiliser. Parmi ces abeilles, on compte les reines d’abeilles domestiques, qui n’utilisent leur aiguillon que contre d’autres reines, comme c’est le cas d’autres reines de colonies eusociales. Bien que l’abeille domestique puisse piquer les personnes qui s’approchent trop de sa ruche, la plupart des abeilles ne sont pas agressives et ne piquent les humains que si elles se sentent prises au piège ou écrasées.
Les abeilles dites « sans aiguillon » ou « mélipones » (tribu Meliponini, famille Apidae) des régions tropicales et subtropicales ont un aiguillon accessoire inutile à la défense. Ces abeilles ont pourtant d’autres moyens pour protéger leur colonie, comme la morsure et l’application de substances végétales irritantes. Beaucoup de petites abeilles communes (p. ex., les abeilles de la sueur, du genre Lasioglossum) ont un très petit aiguillon qui n’arrive pas toujours à percer la peau, et lorsqu’il réussit, la piqûre n’est pas plus douloureuse qu’une aiguille.
Enjeux environnementaux
Quinze espèces d’abeilles sauvages canadiennes (toutes des bourdons, sauf deux) sont menacées selon diverses autorités. L’Union internationale pour la conservation de la nature en classe trois en danger critique et six vulnérables. Seulement une espèce, le bourdon à tache rousse (Bombus affinis), est protégée par la Loi sur les espèces en péril du gouvernement fédéral. D’autres espèces en péril sont encadrées par des programmes provinciaux et territoriaux. Le psithyre (bourdon) bohémien (Bombus bohemicus, en voie de disparition) et le bourdon terricole (à bandes jaunes) (Bombus terricola, espèce préoccupante) sont les espèces les plus mentionnées. Tout comme le bourdon à tache rousse, ces abeilles étaient auparavant communes en Amérique du Nord, mais leur population a décliné rapidement depuis les années 1990. La dernière observation confirmée du bourdon à tache rousse au Canada date de 2009, dans le parc provincial Pinery, en Ontario.
On reconnaît un certain nombre de causes qui menacent la santé des populations d’abeilles, surtout des espèces sauvages : la disparition d’habitat, l’usage d’insecticides, la compétition avec les abeilles introduites et la propagation d’agents pathogènes provenant d’élevages. La disparition d’habitat est la principale conséquence de l’intensification de l’agriculture et du développement urbain, qui entraîne la destruction d’emplacements de nidification et de sources de nourriture. Les insecticides affectent négativement la survie des populations d’abeilles à long terme. Les pesticides de la famille des néonicotinoïdes ont récemment été reconnus responsables du déclin autant des abeilles sauvages que des abeilles domestiques. Non seulement ce type de pesticides nuit à la survie des populations d’abeilles durant l’hiver, mais il altère aussi les capacités des abeilles à apprendre, à communiquer, à nidifier et à butiner efficacement. Pour ce qui est de la compétition, les abeilles introduites, comme les abeilles domestiques, peuvent épuiser les ressources qui seraient autrement abondantes pour les abeilles sauvages. Similairement, les agents pathogènes chez les abeilles domestiques sont particulièrement préoccupants pour les populations des bourdons sauvages, chez lesquels on observe plus d’incidence de maladies lorsqu’ils butinent proche des serres qui utilisent des abeilles domestiques.
Les abeilles domestiques attirent beaucoup d’attention en raison d’un phénomène répandu dénommé « syndrome d’effondrement des colonies » (SEC). Le SEC est un problème complexe qui se veut le résultat d’un nombre de facteurs de stress causant la disparition subite de la majorité de la population adulte d’une colonie. Ces facteurs comptent ceux susmentionnés en plus d’un certain nombre de parasites et de maladies propres aux abeilles domestiques. Les colonies peuvent aussi être stressées par leur transport forcé à l’autre bout du continent pour répondre aux besoins en matière de pollinisation de cultures agricoles massives. Cette pratique expose les abeilles domestiques déménagées à une variété de pesticides, d’agents pathogènes et de parasites, sans compter qu’elles ressentent déjà un stress alimentaire puisqu’elles ne peuvent récolter du pollen et du nectar que d’une seule espèce de plantes à la fois.