Contexte : une industrie automobile en difficulté
Le pacte de l’automobile est un accord de compromis entre le Canada et les États-Unis, obtenu dans le contexte des efforts du Canada pour surmonter le déficit chronique de la balance commerciale et de la balance courante qui affectent le pays au début des années 1960. L’établissement d’une industrie automobile plus compétitive est vu comme un important élément de solution pour surmonter les difficultés de l’économie canadienne. Le Canada enregistre un déficit commercial persistant auprès des États-Unis en véhicules et pièces d’automobiles, et sans intervention gouvernementale, il y a peu de possibilités d’attirer des investissements pour créer des emplois et réduire le déficit commercial.
En 1964, le déficit commercial automobile du Canada auprès des États-Unis s’élève à près de 600 millions de dollars. À cette époque, le Canada fabrique à peu près 7 % de la production automobile du Canada et des États-Unis réunis, mais compte pour moins de 1 % des ventes américaines.
Le problème de fond est que la productivité de l’industrie automobile canadienne est très faible. Des filiales de compagnies américaines, exploitées au Canada derrière une barrière tarifaire, assemblent un grand nombre de modèles d’automobiles, mais en quantité insuffisante pour assurer les économies d’échelle indispensables au succès commercial. Ces filiales ont été créées pour le marché canadien, mais aussi pour profiter d’accords commerciaux plus anciens avec le Commonwealth britannique, qui ont à ce moment perdu beaucoup de leur intérêt. Il n’y a aucun incitatif à investir au Canada. La productivité n’atteint que 60 à 65 % du niveau américain, et les salaires de l’industrie ne s’élèvent qu’à 70 % des taux américains. De leur côté, les consommateurs canadiens paient leurs voitures beaucoup plus cher et disposent de moins de choix que leurs voisins américains.
Régime de remise de droits de douanes
Craignant un déclin de l’industrie automobile, et préoccupé par le déficit commercial, le gouvernement du premier ministre John Diefenbaker demande en 1960 à Vincent Bladen, un économiste de l’Université de Toronto, de se pencher sur les problèmes de l’industrie. Dans son rapport, Vincent Bladen rejette la solution du libre échange car selon lui l’industrie canadienne n’y est pas préparée et subirait beaucoup de pertes. Il déconseille également une augmentation des tarifs, qui ne serait pas avantageuse. À la place, il propose des mesures pour accroître le contenu canadien dans les produits de l’automobile en permettant aux compagnies d’importer des véhicules et des pièces sans droits de douanes à condition qu’ils remplissent des exigences en matière de contenu canadien.
En conséquence, en 1962, le Canada maintient un droit de douanes de 25 % sur l’importation de transmissions automatiques, tout en introduisant un régime de remise de droits de douanes qui permet aux constructeurs d’automobiles de compenser le tarif sur les transmissions et les blocs moteurs importés en augmentant l’exportation de pièces d’automobiles fabriquées au Canada. Cet incitatif vise à relancer la production canadienne. En 1963, le gouvernement du premier ministre Lester Pearson, qui vient d’être élu, consolide cet arrangement en étendant le régime de remise de droits de douanes aux véhicules et aux pièces originales. Le système se révèle efficace. Les objectifs sont de relancer la production et l’emploi au Canada, de réduire le déficit commercial et d’ouvrir un accès au marché pour les Canadiens tout en favorisant la spécialisation, des cycles de productions plus longs ainsi que la baisse des coûts.
Mais la politique canadienne est contestée par des fabricants américains de pièces d’automobiles qui ont perdu une part de marché à cause du régime. Avec le soutien d’autres compagnies de pièces automobiles américaines, ils demandent rapidement au département du Trésor des États-Unis de déterminer si ce régime doit être considéré comme une subvention selon la loi américaine. Dans les deux pays, on redoute que le régime canadien ne soit considéré comme une subvention illégale, ce qui pourrait provoquer un conflit commercial dont personne ne veut. Le gouvernement américain repousse l’enquête et la publication d’une décision sur la plainte, car on anticipe une défaite du Canada. Finalement, aucune décision n’est publiée.
Négociations conduisant au Pacte de l’automobile
Après d’intenses négociations diplomatiques, pendant l’été et l’automne 1964, les deux pays trouvent un accord de compromis. Le Pacte de l’automobile qui en résulte est un accord de commerce administré, dont le bénéfice est réservé à des compagnies déterminées, et assorti de conditions de longue durée, ou mesures de sauvegarde, visant à assurer la croissance de l’industrie au Canada. Les États-Unis recherchent un accord de libre échange, mais le Canada veut un accord avec des mesures de sauvegarde. Un simple accord de libre-échange, soutient le Canada, entraînerait un important déclin de l’industrie automobile au Canada, car toutes les décisions concernant la production et les investissements seraient prises aux États-Unis.
L’accord est signé au ranch de Lyndon B. Johnson, à Johnson City, au Texas, le 16 janvier 1965 par le président Lyndon Johnson et le secrétaire d’État Dean Rusk pour les États-Unis, et le premier ministre Lester Pearson et le ministre des Affaires étrangères Paul Martin père pour le Canada.
C’est un court document visant « la création d’un plus grand marché pour les produits de l’automobile, dans lequel les pleins bénéfices de la spécialisation et de la production à grande échelle pourront être obtenus ». L’objectif fondamental, dit le document, est « le développement de conditions dans lesquelles les forces du marché pourront jouer avec efficacité pour atteindre le schéma d’investissement, de production et de commerce le plus économique ».
Pour se qualifier, les produits doivent inclure 50 % de contenu canadien et américain. L’accord s’applique aux voitures, camions, autobus et pièces d’auto originales, mais exclut les pièces de rechange, les batteries, les pneus et les voitures d’occasion. Il contient deux annexes rédigées par le Canada. Celles-ci limitent la participation au Pacte de l’automobile aux assembleurs d’automobiles déjà actifs au Canada entre août 1963 et juillet 1964, ce qui inclut General Motors, Ford, Chrysler, American Motors (acheté par Chrysler en 1987), Studebaker (qui cesse sa production en 1966) et Volvo (une petite usine d’Halifax qui ferme ses portes en 1998). Elles fixent aussi un minimum de valeur ajoutée canadienne que les assembleurs doivent produire. Enfin, elles exigent effectivement qu’un véhicule soit produit au Canada pour chaque véhicule qui y est vendu. Parallèlement à l’accord, les fabricants d’automobiles soumettent des lettres d’entente promettant de nouveaux investissements de 260 millions de dollars afin d’accroître la valeur ajoutée canadienne.
L’entente suscite de l’opposition dans les deux pays, mais pour des motifs très différents. Au Canada, certains croient qu’elle n’en fait pas assez pour créer une industrie automobile canadienne, tandis qu’aux États-Unis, on lui reproche d’aller à l’encontre des principes du libre marché.
Le Pacte de l’automobile suscite la grogne aux États-Unis
En 1965, l’année de l’entrée en vigueur du Pacte de l’automobile, le déficit commercial automobile du Canada envers les États-Unis s’élève à 785 millions de dollars. L’accord produit rapidement son effet : la part canadienne de la production automobile nord-américaine passe de 7,1 % en 1965 à 11,2 % en 1971, et dès 1970, le Canada réalise un modeste surplus commercial.
Mais aux États-Unis, le surplus canadien devient un irritant majeur. Les Américains considèrent que les mesures de sauvegarde demandées par le Canada sur le ratio production/ventes et le minimum de valeur ajoutée devaient être des dispositions temporaires, tandis que le Canada insiste sur leur caractère permanent. Les États-Unis soutiennent que l’objectif, tel qu’écrit dans l’accord, est un système de libre marché ; le Canada invoque une clause selon laquelle le but est de permettre aux deux pays de participer à l’expansion du marché nord-américain « sur une base juste et équitable ».
En 1970, le comité des finances du Sénat des États-Unis demande au président d’assurer une « liberté du commerce complète » dans l’industrie en 1973. En 1971, six ans après l’entrée en vigueur du Pacte de l’automobile, les États-Unis prennent des mesures drastiques pour faire face à leur propre crise de balance des paiements, et le gouvernement du président Richard Nixon vient à deux doigts d’annuler l’accord. Celui-ci ne doit son salut qu’à l’action rapide d’un haut dirigeant américain qui a vent du projet d’annulation du Pacte de l’automobile.
Les États-Unis continuent à contester les mesures de sauvegarde canadiennes de l’accord. En juillet 1975, le Comité des finances du Sénat demande à l’United States International Trade Commission (ITC) de déterminer si le Canada a ou non « complètement respecté la lettre et l’esprit de l’accord en supprimant les dites “clauses transitoires” ». L’ITC conclut que le Canada ne l’a pas fait.
Le commerce automobile entre le Canada et les États-Unis explose
Malgré ces désaccords, le commerce automobile entre les deux pays explose. En 1966, les exportations canadiennes de véhicules et de pièces aux États-Unis s’élèvent à 886 millions de dollars. En 1977, elles atteignent 9,9 milliards. De même, les importations canadiennes des États-Unis passent de 1,5 milliard en 1966 à 10,9 milliards en 1977. Le surplus commercial des États-Unis est passé de 601 millions en 1966 à 1,1 milliard en 1977, bien que le Canada ait enregistré un surplus pendant quelques unes des années intermédiaires.
Pendant la durée du Pacte de l’automobile, le Canada tend à connaître des surplus sur les véhicules et des déficits sur les pièces. Par exemple, en 1977, le Canada connaît un surplus de 2 milliards sur les véhicules et un déficit de 3 milliards sur les pièces. En 1977, la valeur ajoutée canadienne sur les véhicules et les pièces est cinq fois plus grande qu’en 1964. En 1975, l’industrie alimente plus de 100 000 emplois canadiens de classe moyenne. Le secteur de l’automobile est devenu la plus importante industrie d’exportation du Canada.
Dans l’ensemble, le Pacte de l’automobile a atteint son objectif d’établir un réseau de production intégré au Canada et aux États-Unis. En 1965, le Canada n’exportait que 48 000 véhicules aux États-Unis, représentant seulement 6 % de la production canadienne, tandis que les États-Unis n’exportaient que 64 000 véhicules au Canada, soit 0,6 % de la production de véhicules de type nord-américain des États-Unis. Une dizaine d’années plus tard, en 1975, le Canada exportait 849 000 véhicules aux États-Unis, représentant 59 % de la production canadienne, tandis que les États-Unis exportaient 698 000 véhicules au Canada, soit 8 % de la production américaine.
Impact des fabricants de voitures japonais
Au cours des années 1970, l’industrie automobile japonaise fait son entrée en Amérique du Nord. En 1965, les compagnies japonaises n’occupent que de 0,3 % du marché canadien. En 1975, leur part s’accroît à 8,5 %, et en 1985, à 16,4 %. Toyota et Isuzu commencent à vendre des automobiles au Canada en 1965, suivis par Honda en 1970. En 1986, Honda ouvre sa première usine de fabrication au Canada, suivie par Toyota en 1988.
Puisque les compagnies japonaises ne peuvent se joindre au Pacte de l’automobile, le Canada attire leurs investissements en offrant des incitatifs sous forme de remises de droits de douanes conditionnelles à l’exportation aux États-Unis et ailleurs de véhicules assemblés au Canada. Les États-Unis craignent que les fabricants japonais se mettent à construire des usines au Canada pour desservir le marché américain. C’est pourquoi, lors des négociations sur le libre échange entre le Canada et les États-Unis, dans les années 1980, ils poursuivent deux objectifs : l’adoption du libre échange automobile, avec annulation des conditions du Pacte de l’automobile, et l’abolition des remises de droits de douanes canadiennes.
Libre échange et fin du Pacte de l’automobile
L’Accord de libre échange (ALE) de 1989 entre le Canada et les États-Unis maintient les mesures de sauvegarde du Pacte de l’automobile, mais le Canada accepte de retirer son système de remise de droits de douanes. De plus, les deux pays s’entendent pour abolir les droits de douanes sur le commerce transfrontalier de véhicules neufs et de pièces pour les producteurs qui ne font pas partie du pacte pendant une période de 10 ans commençant en 1989. Ceci veut dire que les véhicules des compagnies européennes ou asiatiques construits en Amérique du Nord disposeront des mêmes avantages de libre échange que les participants originaux du Pacte de l’automobile, à condition de satisfaire l’exigence de 50 % de contenu nord-américain prévue dans l’ALE (ultérieurement rehaussé à 62,5 %).
Avec l’établissement de l’ALE et, plus tard, de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le Pacte de l’automobile ne joue plus un aussi grand rôle pour déterminer les investissements de l’industrie, bien qu’il continue à être perçu comme un irritant pour les fabricants d’automobiles européens et asiatiques à cause de la préférence qu’il accorde à l’industrie américaine.
En 1994, le Canada met en œuvre les règles mondiales de l’Uruguay Round de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ce qui entraîne l’annulation du Pacte de l’automobile. En effet, le Japon et l’Union européenne se plaignent que des dispositions centrales du Pacte de l’automobile sont incompatibles avec les règles du commerce mondial, et gagnent leur point devant les groupes spéciaux de règlement des différends de l’OMC. Le 19 février 2001, le Canada met officiellement fin au Pacte de l’automobile.
Cette annulation est à peine remarquée. L’industrie automobile canadienne fonctionne alors à un niveau bien au-dessus du ratio vente/production et des exigences minimales de valeur ajoutée du Pacte de l’automobile. Celui-ci était une créature de son époque, et le contexte a changé depuis que les compagnies automobiles asiatiques et européennes sont devenues des investisseurs majeurs en Amérique du Nord.
Malgré tout, le Pacte de l’automobile a été important à plusieurs titres. Il a contribué à créer au Canada une industrie automobile plus compétitive, ce qui a eu un impact majeur sur la création d’emplois de classe moyenne, la productivité et la performance commerciale ; il a lancé et soutenu un boom économique dans le sud de l’Ontario et fait naître plusieurs compagnies mondiales de pièces automobiles basées au Canada, comme Magna International et Linamar ; il a intégré les industries de part et d’autre de la frontière, réduisant la différence entre le prix des voitures au Canada et aux États-Unis et donnant plus de choix aux consommateurs. Enfin, il a démontré les avantages de l’intégration, ce qui a conduit, au début des années 1980, à rechercher d’autres secteurs où des arrangements similaires pouvaient être faits. Aucun autre secteur ne correspondait à la nature unique de l’industrie automobile. Cependant, sans un Pacte de l’automobile couronné de succès, il est peu probable que le Canada et les États-Unis auraient décidé de réaliser un accord de libre échange plus approfondi.
Voir aussi Relations économiques canado-américaines.