Entre 2010 et 2017, huit hommes ont disparu, et la plupart d’entre eux avaient des liens avec le village gai de Toronto. Le Service de police de Toronto (SPT) a d’abord rejeté l’idée qu’un tueur en série était responsable. Mais alors que davantage d’homosexuels disparaissaient, l’enquête est devenue la plus vaste enquête de l’histoire du SPT. Elle a également impliqué la Police provinciale de l’Ontario (OPP), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et d’autres organismes des forces de l’ordre, ainsi que deux forces opérationnelles. L’enquête a mené à l’arrestation de Bruce McArthur, un paysagiste à la pige qui avait caché les restes de ses victimes dans des jardinières. Bruce McArthur a plaidé coupable à huit chefs d’accusation de meurtre au premier degré. Il a été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Le SPT a été durement critiqué pour sa gestion de l’affaire. En conséquence, une unité dédiée aux enquêtes sur les personnes disparues a été créée.
Contexte : Bruce McArthur
Thomas Donald Bruce McArthur naît le 8 octobre 1951 à Lindsay en Ontario. Il est le deuxième enfant et fils unique de Malcolm et Islay McArthur. Il grandit sur une ferme près d’Argyle dans le district de Kawartha Lakes. Il va à l’école secondaire de Fenelon Falls.
La mère et le père de Bruce McArthur servent de famille d’accueil pour des enfants en difficulté de Toronto. Ils ont une bonne réputation dans la communauté. Mais au sein du foyer, il existe des problèmes. Malcolm est presbytérien et Islay est catholique, ce qui provoque des dissensions dans la maison familiale. Bruce se range du côté de sa mère, ce qui lui vaut le mépris de son père.
Dans sa jeunesse, Bruce McArthur est physiquement solidement bâti, mais il est efféminé. Il déclare plus tard à un psychologue qu’il croit que son père soupçonnait qu’il était gai et qu’il a tenté de réprimer son homosexualité en lui imposant un dur régime de travail manuel. Bruce McArthur estime que son père lui donnait une part injuste de la charge de travail de la ferme et il lui en veut.
Après ses études secondaires, Bruce McArthur suit un cours de commerce de deux ans dans un collège de Barrie. À 23 ans, il épouse Janice Campbell. Ils ont deux enfants : Mélanie et Todd. Bruce McArthur commence ensuite à travailler comme assistant d’acheteur pour le grand magasin Eaton dans le centre-ville de Toronto. Ce poste mène éventuellement à un emploi de voyageur de commerce pour McGregor Hosiery. Bruce McArthur déménage sa famille à Oshawa. Il devient ensuite représentant de mise en marché pour Stanfield’s Limited, un fabricant de vêtements.
Dysfonction familiale et dévoilement
Pendant des années, Bruce McArthur se présente comme un membre conventionnel de sa communauté : un père de famille qui a un emploi productif et qui est actif au sein de son église presbytérienne. Mais il y a des problèmes dans la maison des McArthur. Todd affirme plus tard que son père est physiquement violent. Adolescent, Todd a des ennuis pour avoir passé à plusieurs reprises des appels téléphoniques obscènes. Il finit par purger une peine de prison pour obscénité et harcèlement.
Au début des années 1990, Bruce McArthur dévoile à sa femme qu’il est gai et qu’il a eu des relations sexuelles avec des hommes. Le couple continue de vivre ensemble, mais il connaît des difficultés financières en raison de la perte d’emploi de Bruce McArthur et des frais juridiques de Todd. En 1997, Bruce McArthur et Janice se séparent. En 1999, Bruce McArthur se déclare en faillite.
Bruce McArthur déménage dans un appartement à Toronto et il commence à travailler comme paysagiste. Il fréquente les bars du village gai de Toronto, situé sur une partie de la rue Church à peu près entre la rue College Street et la rue Bloor. Il acquiert la réputation d’être obsessionnel, contrôlant et d’avoir des relations sexuelles qui sont brutales. Lorsqu’une relation de quatre ans qu’il entretient avec un homme se termine à peu près au même moment que la finalisation de son divorce, Bruce McArthur commence à consulter un psychiatre qui lui prescrit l’antidépresseur Prozac. Il prend aussi du nitrite d’amyle, un relaxant musculaire également connu sous le nom de « poppers », qu’il utilise comme aide sexuelle.
Premier épisode de violence
Le 31 octobre 2001, Bruce McArthur agresse et blesse un prostitué avec un tuyau de fonte. Il se rend à la police et il est condamné à un an de détention à domicile, suivi de six mois de couvre-feu, et trois ans de probation. Il lui est interdit de posséder du nitrite d’amyle et de se rendre dans le village gai pendant la période de sa probation. Bruce McArthur est obligé de suivre du counseling pour la maîtrise de la colère et il doit soumettre son ADN à une base de données. Il fait plus tard une demande de pardon avec succès, et il évite ainsi d’avoir un casier judiciaire. Bruce McArthur fréquente alors à nouveau les bars du village. Il est actif sur de nombreux sites gais de rencontres.
Entreprise d’aménagement paysager
En 2003, Bruce McArthur crée une entreprise d’aménagement paysager appelée Artistic Design. Il se constitue une large clientèle et il est recherché pour son travail, notamment auprès des femmes âgées et riches qui le trouvent charmant. Ne pouvant garder son équipement dans son appartement, il conclut une entente avec certains de ses clients qui disposent d’espace sur leur propriété. En échange de travaux d’aménagement paysager gratuits, ils fournissent à Bruce McArthur un espace d’entreposage.
Au travail, Bruce McArthur est souvent vu en compagnie d’un homme blanc plus âgé avec qui il semble avoir une relation amoureuse, et avec des hommes qui semblent être originaires d’Asie du Sud-Est ou du Moyen-Orient. En hors saison, Bruce McArthur crée des cadeaux floraux pour des œuvres caritatives et il incarne le père Noël dans un centre commercial.
Premières personnes disparues
Le 6 septembre 2010, Skandaraj Navaratnam, un immigrant du Sri Lanka, disparaît après avoir été vu pour la dernière fois dans un bar du village. Il a des relations par intermittence avec Bruce McArthur. La police ne trouve aucune trace de Skandaraj Navaratnam. Deux autres immigrants asiatiques sont également portés disparus; Abdulbasir Faizi est vu pour la dernière fois le 29 décembre 2010, et Majeed Kayhan disparaît le 14 octobre 2012. Même si Abdulbasir Faizi a une épouse et une maison à Brampton, les deux hommes sont connus dans le village.
En novembre 2012, le service de police de Toronto (SPT) lance une enquête appelée Projet Houston pour chercher les trois hommes portés disparus. Les enquêteurs apprennent qu’outre leurs origines ethniques et leurs liens avec la communauté gaie, les trois hommes portés disparus ont un autre point commun : ils connaissent Bruce McArthur. La police interroge ce dernier, mais ne trouve aucune raison de le considérer comme un suspect. Ils n’ont aucune preuve que les disparitions sont reliées entre elles ou qu’un tueur en série traque le village. Le Projet Houston est supprimé après 18 mois.
Le SPT fera plus tard face à de sévères critiques pour sa gestion de l’enquête et pour son refus de considérer les disparitions comme le résultat d’un tueur en série. Le fait que la police ne donne pas suite à un incident survenu en juin 2016, au cours duquel Bruce McArthur aurait étranglé un homme lors d’un rapport sexuel, est particulièrement préoccupant.
Le 30 avril 2017, Selim Esen, un immigrant turc, est porté disparu. Il est toxicomane et la police n’établit initialement pas de lien entre son cas et les autres disparitions. Andrew Kinsman disparaît de son domicile du quartier Cabbagetown de Toronto le 26 juin. Contrairement aux autres hommes disparus, Andrew Kinsman n’est pas d’origine asiatique. Il est connu comme étant un activiste social au sein de la communauté LGBTQ2.
En raison de la disparition d’Andrew Kinsman, le SPT organise une nouvelle force opérationnelle, le Projet Prism, le 14 août 2017. Sept ans se sont écoulés depuis la disparition de Skandaraj Navaratnam. La peur qu’un tueur en série soit en liberté se répand dans le village, même si la police n’en est toujours pas parvenue à cette conclusion.
L’inspecteur Hank Idsinga et le détective David Dickinson
L’inspecteur de police Hank Idsinga (à droite) et le détective David Dickinson (à gauche) étaient les principaux enquêteurs sur l’affaire Bruce McArthur.
(photo de Richard Lautens, avec l’aimable autorisation du Toronto Star via Getty Images)
Enquête et arrestation
Au début de l’été 2017, des enquêteurs qui fouillent l’appartement d’Andrew Kinsman trouvent le nom « Bruce » écrit sur un calendrier. Une enquête plus approfondie les mène à un véhicule ayant appartenu à Bruce McArthur par le passé. Le 8 novembre 2017, un examen médico-légal du véhicule révèle des traces de sang d’Andrew Kinsman. Bruce McArthur est alors considéré comme suspect et mis sous surveillance. La police fouille secrètement son appartement et deux de ses disques durs. Les preuves révélées par l’analyse des données informatiques comprennent des photos des hommes portés disparus, dont certaines sont des photos de Selim Esen et d’Andrew Kinsman qui ont été prises après leur décès.
Des agents du SPT arrêtent Bruce McArthur dans son appartement le 18 janvier 2018. Au moment de son arrestation, un jeune homme que Bruce McArthur avait rencontré sur un site gai de rencontres est menotté à son lit.
Le jour où Bruce McArthur est arrêté, la police commence à faire des recherches médico-légales dans quatre propriétés de Toronto et une dans la ville de Madoc. Ces propriétés sont toutes liées à l’entreprise d’aménagement paysager de Bruce McArthur. Les recherches sont ensuite étendues à d’autres endroits dans la ville de Toronto et à l’extérieur. Des restes humains sont retrouvés cachés dans des jardinières dans la cour d’une résidence du quartier torontois de Leaside et dans un ravin adjacent à la propriété. Ils sont finalement identifiés comme étant ceux d’Andrew Kinsman, de Skandaraj Navaratnam, de Selim Esen, d’Abdulbasir Faizi et de Majeed Kayhan. La police retrouve également les restes de trois autres victimes : Soroush Mahmudi, un réfugié iranien; Dean Lisowick, un itinérant souffrant de problèmes de santé mentale; et Kirushna Kumar Kanagaratnam, un demandeur d’asile sri-lankais qui faisait l’objet d’une ordonnance d’expulsion et qui est la seule victime sans lien clair avec le village.
Une fouille méticuleuse de l’appartement de Bruce McArthur permet de découvrir plus de 1800 éléments de preuve, dont des photographies numériques et un carnet ayant appartenu à Selim Esen. Des sacs ziplock contenant des cheveux de certaines des victimes sont trouvés dans une remise que Bruce McArthur gardait près du cimetière Mount Pleasant. La perquisition médico-légale dans l’affaire Bruce McArthur est la plus importante de l’histoire de la police de Toronto.
Bruce McArthur plaide coupable à huit chefs d’accusation de meurtre au premier degré, rendant un procès inutile. Le 8 février 2019, il est condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
Legs
À la suite de sa gestion de l’affaire Bruce McArthur, le service de police de Toronto est confronté à des allégations de racisme, d’homophobie et d’indifférence à l’égard des personnes itinérantes. En conséquence, le SPT lance un examen interne et une nouvelle unité des personnes disparues entre en activité en juillet 2018. Le SPT fait également l’objet d’un examen externe par la commission civile du Toronto Police Service Board (TPSB).