Alphonse Desjardins, journaliste, sténographe parlementaire, fondateur du Mouvement des Caisses Desjardins (né le 5 novembre 1854 à Lévis, Québec; décédé le 31 octobre 1920 à Lévis, QC).
Éducation et débuts de carrière
Alphonse Desjardins est issu d’une famille modeste de Lévis (sur la Rive-Sud de Québec) qui compte 15 enfants. Son père François Roy dit Desjardins est journalier et sa mère se nomme Clarisse Miville dit Deschênes. Après avoir complété les quatre classes d’un cours commercial ainsi que la première année d’un cours de latin au Collège de Lévis (de 1864 à 1870), Desjardins abandonne ses études, parce que ses parents ne sont pas en mesure de lui payer un cours classique.
À l’été 1869, il s'enrôle dans le 17e Bataillon d'infanterie de milice volontaire de Lévis, où son frère aîné, Louis-Georges détient le grade d'adjudant. Après avoir fréquenté l’École militaire de Québec, Desjardins participe à l’expédition de la rivière Rouge dans l'Ouest canadien qui vise à contrer les Feniens américains (un mouvement révolutionnaire qui lutte pour l'indépendance de l'Irlande).
De retour au Québec en 1872, Desjardins obtient un emploi comme journaliste à L'Écho de Lévis. En 1876, il passe au Canadien, un quotidien de Québec dont son frère Louis-Georges est copropriétaire. En 1877 et en 1878, la rédaction du Canadien lui confie la couverture des débats de l'Assemblée législative de Québec. Cette expertise et son engagement politique conduisent à sa nomination comme éditeur des Débats de la Législature de la Province de Québec, une publication annuelle subventionnée par le gouvernement. Il occupe cette fonction de 1879 à 1889.
Desjardins se fait aussi un nom dans la bonne société de Québec en s’impliquant dans différentes associations culturelles et patriotiques, dont la Société de géographie de Québec et la Société Saint-Jean-Baptiste. Il milite au sein du Parti conservateur et prend part à des œuvres charitables et philanthropiques comme la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Ces réseaux sociaux s’avèrent très utiles lors de la fondation des caisses populaires.
Néanmoins, c’est son épouse, Marie-Clara Dorimène Roy (1858-1952) qui sera sa plus grande alliée. Marié en 1879, le couple Desjardins a 10 enfants (6 garçons et 4 filles). En 1892, Alphonse obtient un poste de sténographe français à la Chambre des communes. Six mois par année, il doit se rendre à Ottawa, alors que sa famille demeure à Lévis. Pendant de longues années, Dorimène s’occupe seule des enfants et du foyer, en plus de gérer le budget familial. De 1903 à 1906, c’est elle qui voit, en lieu et place de son mari, à la gestion quotidienne de la première caisse populaire ouverte à Lévis. Aujourd’hui, et à juste titre, Dorimène Desjardins est reconnue comme la cofondatrice du Mouvement des Caisses Desjardins.
Fondation de la caisse populaire de Lévis
La première caisse populaire est fondée à Lévis, le 6 décembre 1900. Plus de 130 personnes participent à l’assemblée générale qui donne naissance à cette coopérative de crédit et d’épargne à capital variable et à responsabilité limitée. Il s’agit de la première institution de ce genre en Amérique du Nord à connaître un succès. En préconisant l'idée de la coopération, Desjardins cherche à combattre l'usure, à améliorer la condition des classes populaires, à apporter la libération économique aux Canadiens français et à freiner leur exode vers les États-Unis. La caisse populaire est le fruit de trois années de réflexion, de discussions et de correspondance assidue avec les grands défenseurs du mutualisme et de la coopération économique tant au Québec qu’en Europe.
La plupart des transactions de la caisse populaire de Lévis sont effectuées dans la résidence familiale des Desjardins, qui abrite le siège social. Au cours des cinq premières années d’existence, trois autres caisses sont fondées, soit celle de Saint-Joseph de Lévis en 1902, Hull en 1903 et Saint-Malo à Québec en 1905.
Toutefois, la question de la reconnaissance juridique des caisses pose de nombreux défis au couple Desjardins. En effet, sans cadre juridique, la responsabilité financière des Caisses repose entièrement sur leurs épaules. Durant plus de cinq années, Alphonse Desjardins fait pression sur les gouvernements provincial et fédéral dans l'espoir de situer son projet dans un cadre légal. Le 5 mars 1906, l'Assemblée législative de Québec adopte la Loi concernant les syndicats coopératifs. Du côté d’Ottawa, un Comité spécial de la Chambre des communes étudie, au début 1907, un projet de loi concernant les sociétés coopératives et industrielles. Un an plus tard, le 6 mars 1908, la Chambre des communes adopte à l'unanimité le projet de loi concernant la coopération, mais le Sénat refuse de le sanctionner par une seule voix de majorité, sous prétexte qu'il empiète sur les juridictions des provinces.
Expansion du mouvement des caisses populaires
Au Québec, la reconnaissance juridique des caisses populaires ouvre la voie à l’expansion du mouvement. De 1907 à 1915, Alphonse Desjardins parcourt le Québec, mais aussi l’Ontario et les États-Unis et participe à la fondation de plus de 140 caisses populaires. Si la majorité de ces institutions sont fondées dans la province de Québec, leur action s’étend dans les paroisses canadiennes-françaises hors Québec. En effet, il fonde 18 caisses populaires dans des paroisses franco-ontariennes et plus d’une douzaine (appelées Credit Unions) dans les paroisses franco-américaines de la côte Est des États-Unis.
Pour ce projet, il bénéficie de l’appui du clergé catholique. Un prêtre du Collège de Lévis, l'abbé Philibert Grondin (1879-1950), le seconde en menant une campagne de propagande soutenue dans la presse catholique. Il rédige près de 300 articles (dont notamment dans L'Action catholique) et signe le Catéchisme des caisses populaires, un manuel qui fournit de façon claire et abrégée l’information essentielle sur les buts, les objectifs, l'organisation et le fonctionnement des caisses populaires. Desjardins entretient aussi une importante correspondance et prononce différentes causeries et conférences à travers la province.
Fédération des caisses populaires
En 1915, Alphonse ressent les premiers symptômes d’une insuffisance rénale grave. Il prend sa retraite en 1917 et s’engage dans le projet d’une fédération provinciale regroupant l’ensemble des caisses populaires. S’inspirant du modèle européen, cette fédération aurait pour objectif d’exercer des fonctions de propagande, de surveillance et d'inspection en plus d’administrer le surplus de liquidités des caisses et de consentir des prêts à celles qui viendraient à manquer de fonds. Cette proposition est plutôt mal reçue des dirigeants des caisses populaires qui souhaitent conserver leur autonomie. Une réunion préliminaire se tient le 3 juillet 1920 afin d’étudier le projet de fédération, mais Desjardins décède avant qu’il ne se concrétise.
À sa mort, survenue le 31 octobre 1920, on dénombre environ 140 caisses populaires en activité au Québec. Elles regroupent alors 31 000 sociétaires et leur actif total s’élève à 6,3 millions de dollars. Son épouse Dorimène poursuit son œuvre et conserve une forme d’autorité morale sur le mouvement coopératif. Elle joue d’ailleurs un rôle actif dans la fondation de l'Union régionale des caisses populaires Desjardins du district de Québec. En 1923, elle est nommée vice-patron du conseil de cette Union et en devient une membre honoraire. Son rôle, toujours discret jusque-là, émerge enfin au grand jour.
Héritage
Son succès de son vivant lui vaut une réputation internationale. Honneurs et récompenses abondent en provenance de l'Europe, des États-Unis, de l'Amérique latine, et même de Nouvelle-Zélande. Ainsi, en 1913, il est nommé Commandeur de l’Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, une distinction accordée par le Vatican. De nombreux honneurs lui sont également rendus après sa mort. En 1971, il est déclaré personnage historique national par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada; en 1984, la fondation de la caisse populaire de Lévis est reconnue comme événement historique national.
Alphonse Desjardins est désigné comme le « Grand Québécois du siècle » par la Chambre de commerce et d’industrie du Québec métropolitain et la Commission de la capitale nationale en 2000, et il reçoit le titre du « plus grand coopérateur au Canada » de l’Association des coopératives du Canada en 2009. Depuis 1983, sa maison de Lévis abrite un musée consacré à l’histoire de la première caisse populaire et à celle de la famille Desjardins.