En 1874, les Canadiens Henry Woodward et Mathew Evans ont breveté un modèle d’ampoule à incandescence. Cette invention précédait de plusieurs années celle de l’Américain Thomas Edison. En fait, le second brevet (délivré en 1876 aux États-Unis) faisait partie de ceux achetés par Edison alors qu’il perfectionnait la technologie pour créer une ampoule plus durable. Les premiers travaux d’Henry Woodward et de Mathew Evans sur l’ampoule électrique à Toronto resteront largement méconnus. Ils constituent néanmoins un développement important dans l’invention de l’éclairage électrique.
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Le brevet de 1874 du duo torontois intitulé « Electric Light » (lampe électrique).
Contexte
Dans la première décennie du 19esiècle, sir Humphry Davy, chimiste britannique, met au point la lampe à arc. Ce dispositif alimenté par piles éclaire un arc électrique reliant deux conducteurs au charbon. Cette invention a pour effet de propulser les recherches des scientifiques britanniques en vue de mettre au point une ampoule électrique plus pratique. Le défi: produire une lumière électrique au moyen d’un filament abordable et durable. Un filament est une fine bande de matériau conducteur qui libère de la lumière et de la chaleur lorsqu’il est alimenté par un courant électrique. Les premières expériences utilisent de coûteux filaments de platine. Dans les années 1860, on fabrique des filaments à partir de papier carbonisé qui ne sont ni durables ni efficaces. Le vide dans l’ampoule, créé pour empêcher le filament de s’oxyder et de se décomposer à l’air libre, est insuffisant. On doit également améliorer les sources électriques.
Expériences menées par Woodward et Evans
Henry Woodward, étudiant en médecine, et Mathew Evans, hôtelier, sont voisins à Toronto. Ils mènent des expériences au moyen d’une batterie et d’une bobine d’induction. Un soir d’hiver de 1873, au crépuscule, ils remarquent la lumière créée par l’étincelle au niveau de la station de contact. Selon un récit, la lumière serait suffisamment puissante pour que Mathew Evans puisse lire l’heure sur sa montre. « Si seulement on pouvait confiner cette énergie dans un globe quelconque », s’interroge alors Henry Woodward. « Quelle invention nous aurions! Cela révolutionnerait le monde! »
Henry Woodward et Mathew Evans élaborent un prototype d’ampoule à incandescence au moyen d’un filament formé d’une tige de carbone. Le prototype n’est pas sans rappeler les expériences antérieures réalisées par sir Joseph Swan, un scientifique anglais. Toutefois, le vide de cette nouvelle ampoule est plus puissant que celui obtenu par l’Anglais. Il permet à l’ampoule hermétique de conserver l’azote introduit à l’intérieur. Les deux scientifiques font une démonstration de leur ampoule à des hommes d’affaires à la fonderie de laiton Morrison sur la rue Adelaide Ouest à Toronto. « Nous étions quatre ou cinq, assis autour d’une grande table, racontera Mathew Evans quelques années plus tard. Henry a fermé l’interrupteur. Peu à peu, nous avons vu le carbone rougir, puis prendre une teinte de plus en plus pâle jusqu’à projeter une lumière sublime. C’était sans contredit le moment le plus exaltant de toute cette expérience ».
Brevets
Le brevet d’Henry Woodward et de Mathew Evans (n°3738), déposé le 24 juillet 1874 et approuvé le 3 août 1874, fournit la description suivante de la lumière des inventeurs :
Un morceau de carbone, comme susmentionné, de qualité pure et de taille appropriée, proportionnelle à la taille de la lampe ou du récipient à utiliser, est gratté puis mis en forme jusqu’à ce qu’il soit adapté à l’usage prévu. Une électrode est ensuite reliée au carbone en haut, tandis que l’autre électrode est reliée au carbone en bas, de la manière suivante. Un petit trou est percé à une courte distance dans chaque extrémité du carbone pour y insérer les électrodes; au besoin, pour une fixation encore plus solide, on les entoure d’un peu de plâtre de Paris ou d’une autre substance appropriée. Les électrodes ne passent pas à travers le carbone, pas plus qu’elles ne se connectent entre elles. On insère ensuite le tout dans un globe ou un autre récipient fait de verre ou d’un autre matériau approprié. L’air est extrait dudit globe ou récipient après avoir été hermétiquement scellé aux extrémités, puis rempli de gaz raréfié qui ne s’unira pas chimiquement au carbone chaud. On achemine à présent un courant électrique en quantité suffisante, de manière à chauffer le carbone à l’intérieur du récipient jusqu’à un état d’incandescence. Le gaz raréfié précédemment introduit devient brillant, créant la lumière à laquelle il est ici fait référence comme la « lumière électrique de Woodward et Evans ».
Henry Woodward et Mathew Evans ne parviennent pas à obtenir suffisamment d’investissements pour couvrir le coût élevé de la production de leurs ampoules. Ils persévèrent malgré les moqueries publiques de ceux qui les qualifient d’« excentriques » et d’« obsessifs ». En 1876, Henry Woodward obtient un brevet (n°181 613) aux États-Unis. Les efforts des inventeurs en vue d’attirer des investissements ne portent toutefois pas fruit. Henry Woodward abandonne le projet et s’embarque pour l’Angleterre, tandis que Mathew Evans n’a pas les fonds nécessaires pour poursuivre ses recherches.
Ampoule électrique de Thomas Edison
Les travaux se poursuivent des deux côtés de l’Atlantique pour produire une ampoule à incandescence commercialement viable. En Angleterre, Joseph Swan produit une lampe de travail qu’il fait breveter en Grande-Bretagne en 1880. Ses tubes à vide sont cependant inefficaces et ses filaments épais se consument rapidement. Thomas Edison, de son côté, travaille depuis son laboratoire de Menlo Park, dans le New Jersey, pour perfectionner la composition de l’ampoule. Il fait également l’acquisition de plusieurs brevets existants. En 1879, il paye 5 000 dollars pour acquérir le brevet américain d’Henry Woodward.
En octobre 1879, Thomas Edison fabrique une ampoule qui brille jusqu’à 14,5 heures durant. D’autres améliorations s’appuient sur le concept de haute résistance, permettant à la chaleur et à la lumière de s’intégrer dans le filament de l’ampoule au lieu des fils d’alimentation de la source d’énergie. Thomas Edison incorpore son ampoule dans un système de lignes électriques et d’autres équipements. Cela rend l’appareil plus pratique pour une utilisation quotidienne. Il parvient également à obtenir un financement auprès de riches hommes d’affaires américains. Son brevet fait toutefois l’objet d’une longue bataille juridique lorsque l’office des brevets statue qu’il est en fait basé sur le travail d’autres personnes. L’entreprise de Thomas Edison menace également Joseph Swan de poursuites judiciaires, faisant volte-face en 1883 en décidant plutôt de s’associer à l’inventeur pour produire des ampoules électriques en Grande-Bretagne. Les ampoules commerciales de Thomas Edison des années 1880 ont recours à des filaments de bambou carbonisé qui se consument pendant plus de 1 000 heures.
Héritage
Même si leur travail contribue concrètement au développement de l’éclairage électrique, Henry Woodward et Mathew Evans tombent dans l’oubli. Après l’échec de leur projet, Mathew Evans déclare que « le travail de l’inventeur ne lui vaut jamais de récompense ». Les ampoules continueront d’utiliser des filaments à base de carbone jusqu’à la mise au point de filaments de tungstène plus efficaces au début du 20e siècle.
L’étudiant en médecine et inventeur Henry
Woodward, qui a mis au point une première version de l’ampoule électrique avec
Mathew Evans à Toronto.