Article

Anne-Marie Huguenin (Madeleine)

Anne-Marie Huguenin (née Gleason, nom de plume Madeleine), écrivaine, journaliste et éditrice (née le 5 octobre 1875 à Rimouski, Québec; décédée le 21 octobre 1943 à Montréal).

Madeleine (Anne-Marie Huguenin)
Université de Montréal, Division des archives, IFP,00539.
Membres fondatrices du Canadian Women

Huguenin est l'une des premières femmes journalistes au Canada. Pendant plus de 19 ans, elle est responsable des pages féminines dans le journal La Patrie, puis fonde et dirige son propre magazine, La Revue moderne.

Formation et début de carrière

Issue d’une famille aisée de Rimouski, Anne-Marie est la fille de John Gleason, un avocat d’origine irlandaise. Sa mère, Eugénie Garon, est la fille du notaire Joseph Garon, premier député de Rimouski élu à l’Assemblée législative du Québec (1867-1871). Anne-Marie Gleason a fait ses études au couvent des Sœurs de la Charité à La Malbaie, puis à celui de Rimouski jusqu’en 1890. En 1897, elle écrit pour Le Monde illustré sous le pseudonyme de Myrto et pour Courrier de Rimouski. Elle se rend ensuite à Ottawa où elle devient chroniqueuse pour Le Temps.

Le Royaume des femmes

En 1901, Joseph-Israël Tarte lui confie les pages féminines du journal La Patrie de Montréal. Pendant 19 ans, Anne-Marie, dorénavant Madeleine pour ses lectrices, s’occupe du Royaume des femmes. Ces pages féminines qu’on trouve à l’époque dans la plupart des quotidiens à grand tirage visent à attirer un lectorat féminin, une clientèle de plus en plus recherchée par les publicitaires. Ainsi, la poésie, les recettes, les biographies et la mode côtoient la publicité qui leur est destinée. Le courrier des lectrices y occupe une place centrale. La littérature et le théâtre font régulièrement l’objet de questions des lecteurs et Madeleine se plaît à commenter les pièces de théâtre à l’affiche, à recommander des lectures ou encore à commenter les textes soumis par ses lectrices.

Améliorer les conditions de la pratique journalistique

En juin 1904, elle est parmi les 16 journalistes féminines canadiennes (8 francophones et 8 anglophones) sélectionnées pour couvrir l’Exposition universelle de Saint-Louis au Missouri. Parti à bord d’une voiture spéciale du Canadien Pacifique, le groupe comprend entre autres Kathleen « Kit » Coleman (première correspondante de guerre accréditée au Canada), Kate Simpson Hayes (première femme journaliste de l’Ouest canadien), Robertine Barry, mieux connue sous le nom de plume de Françoise (première femme à l’emploi d’un grand quotidien au Québec) ainsi que Léonise Valois (première femme à publier, en 1910, un recueil de poésie au Québec). En chemin, les dames tissent des liens et discutent sur les difficultés du métier. Cette expérience donne naissance au Canadian Women’s Press Club dont Madeleine est l’une des membres fondatrices. Dans les années 1920, 400 femmes étaient membres de ce réseau, et plus de 700 dans les années 1970. L’association a fêté son 100e anniversaire en 2004, avant de se dissoudre.

En 1903, Madeleine avait également participé à la création de l’Association des journalistes canadiens-français avec des confrères masculins travaillant pour les différents journaux montréalais tels qu’Omer Héroux, Amédée Denault, Arthur Côté et Hector Garneau. Ce regroupement a pour objectif d’améliorer les conditions matérielles et morales de la pratique journalistique au Canada français, notamment en mettant sur pied des Clubs de presse locaux, des bureaux de placement, des maisons de retraite pour journaliste âgé et une société de secours mutuel. En dépit de ses objectifs louables, l’Association cesse ses activités vers 1907.

Fondatrice et éditrice de La Revue moderne

En 1904, Madeleine épouse un riche médecin montréalais, le docteur Wilfrid-Arthur Huguenin. Épris des arts, les Huguenin ouvrent leur maison à un groupe d’écrivains, d’architectes et de musiciens qui fondent par la suite, la revue littéraire Le Nigog (1918). Le couple a une fille en 1905 (qu’ils appellent d’ailleurs Madeleine), mais cela n’empêche pas la journaliste de poursuivre sa carrière à La Presse.

En 1913, Madeleine fonde La Bonne Parole (publié à Montréal jusqu’en 1958), organe de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (voir Organisations féminines), un organisme créé en 1907 par Caroline Béïque et Marie Gérin-Lajoie, née Lacoste. En novembre 1919, elle quitte La Patrie et met sur pied La Revue moderne, qu'elle édite seule pendant 5 ans, puis avec l’aide de différents collaborateurs. Elle définit la double orientation de la revue ‒ à la fois intellectuelle et populaire ‒ qui sera la clé de son succès. Ainsi, les articles de nature scientifique, littéraire ou politique côtoient un contenu plus léger axé sur le divertissement. En 1928, Madeleine crée une autre revue, La Vie canadienne, qu'elle fusionne avec La Revue moderne en octobre 1929.

Après son départ de la rédaction de La Revue moderne vers 1930, le magazine adopte une orientation beaucoup plus généraliste. Les femmes étant la principale cible des annonceurs, plus de la moitié du contenu est consacrée aux pages féminines. C’est semble-t-il ce succès auprès des femmes qui a permis à La Revue moderne, de s’adapter et d’augmenter son tirage. Ainsi, de 23 000 exemplaires mensuels en 1922, son tirage passe à 80 000 en 1944, puis 97 000 en 1956 et 101 000 en 1960. En 1960, l’éditeur torontois Maclean Hunter procède à son acquisition et en fait l’édition française de la revue Chatelaine, tout en gardant quelques années La Revue Moderne comme sous-titre.

En 1934, on trouve Madeleine à la direction littéraire de l’Action conservatrice, un hebdomadaire politique et littéraire ouvertement en faveur du Parti conservateur. Celle qui semble n’avoir jamais pris sa retraite, a publiée de 1897 à 1943 (année de son décès), plus de 3 000 billets, chroniques et articles en tous genres.

Madeleine, la conférencière

Madeleine a aussi pris la parole devant différents publics. En 1912, lors du premier Congrès de la langue française, elle expose dans une conférence intitulée « Le Foyer gardien de la langue française » ses idées sur l’importance des femmes, et tout particulièrement celle des mères, dans la transmission de la langue française.

Tout comme dans ses écrits, elle défend la question de l’accès à l’éducation pour les femmes et de l’amélioration de leur condition de travail (voir aussi Condition féminine). Elle reste néanmoins discrète sur la question du droit de vote des femmes. En 1921, elle dresse devant les membres de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste un bilan de la situation des femmes québécoises. Cherchant à réconcilier un féministe libéral militant et un féminisme dit « maternaliste » (auquel elle adhère), elle invite les femmes à se débarrasser de leur prétendue infériorité intellectuelle et morale en se joignant au mouvement de solidarité en voie de création, le mouvement des femmes.

Publications

Elle est l'auteure de plusieurs recueils de chroniques dont Premier Péché (1902), Le long du chemin (1912), Le meilleur de soi (1924). Elle écrit également deux pièces de théâtre, soit L’Adieu du poète (jouée le 12 juin 1902 au Théâtre national français) et En pleine gloire! (montée pour la visite d’un dignitaire français en 1919).

En 1938, elle publie Portraits de femmes dont la préface est signée par le sénateur Raoul Dandurand. Cet ouvrage réédité à plusieurs reprises propose des biographies de femmes ayant marqué, chacune à leur façon, l’histoire du Canada français. Elle signe un roman, Anne Mérival, qui paraît dans les pages de La Revue moderne en 1927, mais qui n’est jamais publié sous forme de livre.

Distinctions

En 1910, le gouvernement français lui décerne les Palmes académiques, puis en 1916, les Palmes de l’instruction publique. Son travail de journaliste et ses œuvres charitables pendant la Première Guerre mondiale (notamment à titre de présidente de la section française de la Croix-Rouge) lui valent la Médaille d’argent de la reconnaissance française en 1920 et la Médaille d’or de la reconnaissance belge du roi Albert en 1921.

Héritage

Si plusieurs travaux universitaires ont été consacrés à Madeleine, il reste que cette pionnière du journalisme féminin est peu connue du grand public. Une rue de Rimouski (la rue Madeleine-Gleason) et une rue de Montréal (la rue Madeleine-Huguenin) ont été nommées en son honneur.