Architecture, enseignement de l'
L'enseignement de l'architecture au Canada, tel que dispensé de nos jours, est un phénomène relativement récent. La plupart des programmes sont conçus au XXe siècle, et profondément modifiés dans les années 1990 et au début des années 2000. Alors que la majorité des architectes exerçant leur profession au Canada aujourd'hui sont des diplômés d'écoles d'architecture universitaires, l'enseignement spécialisé en architecture est rare jusqu'à la fin du XIXe siècle. La plupart des spécialistes apprenaient sur le tas avec l'appui d'un employeur après une année ou deux d'études rudimentaires en ingénierie.
En Nouvelle-France, la tradition européenne d'enseignement théorique représentée par le modèle jésuite est modifiée et simplifiée par la tradition artisanale des artisans québécois, qui fait revivre, jusqu'à un certain point, la tradition médiévale des maîtres maçons. Le type de formation offert dans les grands centres comme Québec et Montréal aux XVIIe et XVIIIe siècles est basé sur la pratique contemporaine dans les villes et villages français. Au Canada toutefois, grâce à leur accès à des traités d'architecture, des maîtres maçons et des maîtres charpentiers instruits comme Claude Baillif et Jean-Baptiste Maillou, en plus de devenir des artisans chevronnés, deviennent eux-mêmes des concepteurs.
Par ailleurs, plusieurs séminaires jésuites offrent de la formation en arts décoratifs par l'entremise de prêtres-artistes venus de France. Même si les spécialistes sont partagés sur la question, certains indices font penser qu'il existait une école des arts et métiers à Québec dès les années 1690. La tradition des prêtres-artistes se perpétue jusqu'au XXe siècle, comme en témoigne la conception du monastère bénédictin de Saint-Bernoît-du-Lac par l'architecte-moine français Dom Paul Bellot, en 1938.
Avant la fin du XIXe siècle, au Canada anglais, la majorité des architectes en activité sont des immigrants britanniques formés au Royaume-Uni, auxquels vient s'ajouter une minorité non négligeable de personnes venant des États-Unis. Les candidats venant des États-Unis ont souvent terminé des études collégiales dans les universités de l'Ivy League et poursuivi des études en architecture à l'étranger, le plus souvent à l'école des Beaux-arts de Paris.
À la fin du XIXe, la croissance des villes canadiennes crée une forte demande de services en architecture. Parallèlement à la volonté de régir la pratique des architectes et de normaliser la profession (fondation de la Toronto Architectural Guild en 1887, qui devient l'Ontario Association of Architects en 1889), l'intensification de l'activité mène à l'établissement de la première école d'architecture accordant des diplômes au Canada, à l'Université de Toronto en 1890. Le programme est en partie inspiré du programme de la Toronto's School of Practical Science (devenue plus tard la faculté de génie de l'Université de Toronto), établi en 1878. Il offre des cours en architecture, mais pas de diplômes. En plus de cours en génie civil, l'école d'architecture adopte la méthode pédagogique des Beaux-arts, qui consiste à apprendre les cinq ordres de l'architecture classique et leurs applications historiques en dessinant des copies de moulages de plâtre de colonnes, de frises et de bustes.
Au début du XXe siècle, cette méthode d'enseignement en architecture constitue aussi le fondement des autres écoles au Canada : l'école de l'Université McGill de Montréal, fondée en 1896; la première école d'architecture de langue française à l'École polytechnique de Montréal (plus tard l'Université de Montréal), qui ouvre ses portes en 1907; la première de l'Ouest canadien à l'Université du Manitoba à Winnipeg, fondée en 1919. Mis à part certains programmes éphémères à l'École des beaux-arts de Québec (1923-1936) et à l'Université de l'Alberta à Edmonton (v. 1920-1939), il faut trois décennies avant que d'autres universités établissent des écoles d'architecture. L'Université de la Colombie-Britannique à Vancouver lance son programme en 1947, le Nova Scotia Technical College à Halifax (par la suite Technical University of Nova Scotia et maintenant composante de l'Université Dalhousie) voit le jour en 1961, puis l'Université Laval à Québec absorbe en 1964 une école indépendante établie en 1960. À la fin des années 1960, à la suite de l'explosion démographique de la génération du baby-boom, l'essor considérable des universités canadiennes favorise la mise sur pied de trois autres écoles d'architecture : l'Université de Waterloo en 1967, l'Université Carleton d'Ottawa en 1968 et l'Université de Calgary en 1971. Puis, un programme préparatoire en technologie architecturale à l'Université Ryerson (Toronto) est converti en un diplôme professionnel en architecture, et la Northern Ontario School of Architecture à l'Université Laurentienne (Sudbury, Ontario) ouvre ses portes.
Vers le milieu du XXe siècle, l'influence de l'école des beaux-arts a ouvert la voie aux idées pédagogiques avancées par les modernistes européens. À la fin des années 1930, fuyant l'Allemagne nazie, le fondateur de Bauhaus, Walter Gropius, arrive à Harvard à titre de directeur du programme d'architecture à la Graduate School of Design, et son successeur comme directeur de Bauhaus, Ludwig Mies van der Rohe, arrive à l'Armour (plus tard Illinois) Institute of Technology à peu près en même temps. Les écoles canadiennes subissent l'influence profonde de la théorie du design et de l'approche pédagogique amenées en Amérique du Nord par les Européens. La pensée du Bauhaus qui consiste à mettre l'accent sur l'enseignement du design en s'appuyant sur les principes de base plutôt que sur des précédents historiques devient une composante importante de l'enseignement en architecture au Canada. Cette façon de faire apparaît le plus manifestement à l'Université de la Colombie-Britannique, fondée par le moderniste suisse Fred Lasserre, et à l'Université du Manitoba, qui, sous la direction de John Alonzo Russell, devient un important avant-poste canadien du modernisme de Mies van der Rohe. Les deux architectes conçoivent de nouveaux bâtiments pour leur programme respectif. Ainsi, les bâtiments Lasserre à l'Université de la Colombie-Britannique (1955) et Russell à l'Université du Manitoba (1959) incarnent les bases théoriques de ces deux directeurs influents.
D'autres noms influents reviennent de façon récurrente dans l'histoire de l'enseignement de l'architecture, reflétant la communauté en matière d'architecture relativement petite du Canada et la communauté d'universitaires encore plus petite. Douglas Shadbolt enseigne à l'Université McGill (Montréal) avant de devenir le directeur fondateur pour les programmes du Nova Scotia Technical College à Halifax (1961-1968) et de l'Université Carleton à Ottawa (1968-1979), puis termine sa carrière comme directeur de l'école de l'Université de la Colombie-Britannique (1979-1990). Alberto Pérez-Gómez est directeur de l'Université Carleton avant d'être nommé « Saidye Rosner Bronfman Professor of the History of Architecture » à l'Université McGill de Montréal, où il dirige les programmes de maîtrise et de doctorat, en plus de diriger le programme de maîtrise et de doctorat en histoire et théorie de l'architecture. Larry Wayne Richards enseigne à l'Université de Toronto, puis à la Technical University of Nova Scotia et occupe le poste de directeur à l'Université de Waterloo avant de devenir doyen de la faculté d'architecture, d'aménagement paysager et de design à l'Université de Toronto (1997-2004).
Bien que, depuis les années 1970, le nombre de femmes étudiantes et membres de facultés dans les écoles d'architecture du Canada ait augmenté et que l'enseignement en architecture et la profession elle-même accueillent maintenant autant de femmes que d'hommes, historiquement, c'est un domaine réservé aux hommes. La première femme architecte au Canada, Esther Marjorie HILL, reçoit son diplôme de l'Université de Toronto en 1920. Plus d'un demi-siècle plus tard, ce même établissement nomme la première femme doyenne d'une faculté d'architecture au Canada, Blanche Lemco van Ginkel, qui occupe le poste de 1977 à 1982. Toutefois, dans la première moitié du XXe siècle, un nombre plus important de femmes architectes obtiennent leur diplôme des écoles de l'Ouest canadien; le tiers des femmes architectes enregistrées au Canada avant 1960 sont des diplômées de l'Université du Manitoba. Cela s'explique en partie parce que l'école établit le premier cours de design d'intérieur et compte quatre femmes dans sa faculté pendant les années 1940 et 1950.
Les questions contemporaines
En Europe, les étudiants et les facultés d'architecture sont parmi les participants les plus radicaux de l'activisme des campus de 1968. Plusieurs écoles d'architecture partout dans le monde, dont celles du Canada, s'écartent de leur rôle d'établissements d'enseignement de la profession pour offrir une vaste gamme de programmes expérimentaux qui, à certains moments, les placent en opposition directe avec les pratiques conventionnelles. Ainsi, un désaccord s'installe entre la profession et les écoles, puis les praticiens se plaignent que les diplômés quittent les écoles sans les compétences nécessaires pour exercer la profession. Dans certains cas, les aspects pratiques et techniques de l'enseignement de l'architecture sont mis de côté au profit d'un intérêt grandissant pour les questions d'ordre social, politique et théorique.
En 1976, les associations provinciales mettent sur pied le Conseil canadien de certification en architecture (CCCA) afin de déterminer si les éventuels candidats à l'emploi ont étudié des matières comme la science des structures et du bâtiment ainsi que les pratiques de la profession. Au nom des associations provinciales, le CCCA examine le relevé de notes des architectes diplômés demandant le statut de diplômé associé (maintenant architecte interne) auprès de l'organisme provincial qui accorde les licences. En 1992, à la suite d'une période d'importantes réformes des programmes dans les écoles, le CCCA commence à accréditer des programmes au complet; les diplômés des écoles d'architecture reconnues sont désormais dispensés de l'obstacle supplémentaire d'un examen particulier de leur relevé de notes. Les diplômés de programmes non reconnus par le CCCA (généralement les écoles étrangères) doivent encore faire examiner leur relevé de notes au cas par cas. Trois écoles - les universités de Dalhousie, de Waterloo et de la Colombie-Britannique - incorporent dans le programme un volet constitué d'une expérience de travail donnant des crédits, exposant les étudiants à la rigueur de la pratique professionnelle avant l'obtention de leur diplôme. Le coeur du programme d'études en architecture demeure un enseignement très individualisé dans le studio de design appuyé par différents cours théoriques prévus pour l'information et l'intégration aux activités du studio. De façon générale, ils comprennent l'histoire et la théorie de l'architecture, les structures, la science du bâtiment, les matériaux et les méthodes, les études urbaines, la psychologie environnementale, l'exercice de la profession et différents cours de lettres, de sciences humaines et sociales.
La plupart des futurs architectes au Canada s'inscrivent à l'une des écoles universitaires avec accréditation professionnelle complète. Même s'il y a des différences d'une école à l'autre, les demandes d'admission sont nombreuses. Il existe toutefois d'autres formes d'enseignement de l'architecture, comme le plan de formation de l'Institut royal d'architecture du Canada (IRAC), qui permet aux candidats de poursuivre les études tout en travaillant dans le domaine. En 2010, ce programme fait l'objet d'une révision en collaboration avec l'Université Athabasca, un établissement d'enseignement en ligne et à distance.
Traditionnellement, les écoles sont délaissées et mal comprises par la communauté universitaire en général. Jusqu'à tout récemment, à la différence des universitaires typiques, beaucoup de professeurs en architecture, détenteurs d'un baccalauréat professionnel, mais pas d'un diplôme d'études supérieures, sont peu publiés et partagent leur temps entre l'enseignement et l'exercice de la profession. L'organisation en atelier des écoles d'architecture engendre une culture d'enseignement plus informelle et plus intime que celle que l'on retrouve dans la plupart des programmes universitaires. De plus, l'isolement pédagogique des écoles à l'intérieur des universités en fait des cibles faciles à l'époque des compressions budgétaires; certaines administrations les perçoivent comme des programmes marginaux dont l'isolement est commode et dont la disparition aura peu d'effet et ne suscitera donc que peu d'opposition du côté de la population du campus en général. Cette façon de voir entraîne la mort du programme de l'Université de l'Alberta en 1939, qui disparaît après avoir vacillé pendant les années de la dépression, fréquenté par une poignée d'étudiants. Plus récemment, deux programmes survivent à la menace de fermeture générée par l'adoption de mesures pour réduire les dépenses : l'école d'architecture de l'Université de la Colombie-Britannique en 1985 et l'école d'architecture et d'architecture paysagère de l'Université de Toronto en 1986.
Les écoles doivent établir un équilibre entre la préparation des étudiants à l'exercice de la profession et la prestation d'un enseignement de culture générale trouvant la faveur des administrations universitaires qui financent les programmes. Tandis que l'enseignement professionnel met l'accent sur les compétences pratiques et les connaissances nécessaires dans le milieu du travail, les normes universitaires élevées exigent de la recherche et de l'expérimentation dans tous les aspects de la théorie, de la technologie et du design en architecture. La pression exercée sur les écoles pour satisfaire à ces exigences complexes est exacerbée par les changements phénoménaux qui se produisent dans la profession. Compte tenu des récessions récurrentes, les diplômés ne peuvent plus compter faire carrière dans la pratique traditionnelle de l'architecture, et les écoles prennent conscience de la nécessité de préparer les étudiants à cette possibilité. Plusieurs d'entre elles intègrent d'importantes composantes de conception-construction dans leur programme d'études, et plusieurs procurent aux étudiants, parmi d'autres champs d'expertise, des compétences informatiques qui peuvent mener à diverses carrières analogues ou même assez différentes de l'architecture.
Ainsi, les écoles du Canada restructurent leurs programmes. Dans la plupart des cas, les programmes professionnels passent du premier cycle (un baccalauréat en architecture de cinq ans), au deuxième cycle, (une maîtrise en architecture). Alors que certains programmes ne subissent que de légers changements, d'autres passent par d'importantes transformations pour devenir de véritables programmes de deuxième cycle. Les programmes de Calgary, de l'Université de la Colombie-Britannique et de l'Université de Toronto, par exemple, attirent des étudiants adultes possédant différentes formations scolaires, tandis que les programmes en deux étapes, préprofessionnels et professionnels, adoptés par la majorité des écoles, continuent de recruter des étudiants directement à l'école secondaire pour une formation améliorée, mais toujours spécialisée en architecture.
En plus de réorganiser les diplômes professionnels, les écoles élaborent différents programmes professionnels supérieurs, dont des doctorats en architecture, restés rares jusqu'ici. Ces programmes devraient rester relativement restreints, mais leur apparition même traduit la croissance de l'enseignement de l'architecture dans le cadre universitaire. Cette évolution signifie par ailleurs que les écoles d'architecture canadiennes seront en mesure de recruter une part plus importante de leurs étudiants parmi des candidats instruits au Canada. Historiquement, les facultés d'architecture recrutaient beaucoup de candidats nés ou éduqués à l'étranger, surtout en provenance des écoles européennes ou de l'Ivy League américaine, dont les programmes ont été adaptés aux études supérieures et universitaires. Puisque nombre de professeurs d'architecture des écoles du Canada ont été nommés dans les années 1960 et 1970 et qu'ils prennent leur retraite, le recrutement de nouveau personnel enseignant est un défi de taille pour l'enseignement de l'architecture au Canada.