L’industrie automobile comprend la production de véhicules et de pièces détachées et équipements d’origine (voir aussi Automobile). Depuis le début du XXe siècle, il s’agit de l’une des industries manufacturières canadiennes les plus importantes, représentant également pour l’économie nationale l’un des déterminants essentiels des importations et des exportations de biens manufacturés, de l’emploi et de la production industrielle en général. (Voir aussi Fabrication industrielle au Canada; Industrie au Canada.) Bien que le secteur automobile canadien soit dominé par des entreprises étrangères, principalement américaines, le pays est doté d’un solide secteur national de production de pièces détachées et équipements d’origine ayant émergé dans la dernière partie du XXe siècle. Concentré dans le sud de l’Ontario, le secteur automobile canadien a été amené à évoluer en conséquence de politiques industrielles comme le protectionnisme et le libre-échange.
Europe : les débuts de l’industrie automobile
Les technologies automobiles émergent et prennent leur essor en Europe dès la fin du XVIIIe siècle et pendant le XIXe siècle. Le nom « automobile » lui-même, utilisé en anglais, est un mot français. En 1770, un capitaine de l’armée française, Nicolas Cugnot, conçoit et réalise le premier véhicule automobile terrestre jamais construit : un fardier d’artillerie mû par une machine à vapeur. Un Belge, Jean-Joseph-Étienne Lenoir, est l’inventeur du premier moteur utilisant du gaz comme carburant dont il équipe, en 1859, un véhicule automobile qu’il conduit sur route.
À cette époque, bien que les véhicules électriques et à vapeur offrent de nombreux avantages, c’est le moteur à combustion interne qui domine. En 1876, Nicolaus A. Otto, un ingénieur allemand, produit un moteur de ce type, à quatre temps, qui sera amené à jouer un rôle capital en devenant le fondement même de l’industrie automobile. Deux autres Allemands, Gottlieb Daimler et Wilhelm Maybach, collaborent, à la fin du XIXe siècle, pour produire une version moins encombrante et plus rapide du moteur de Nicolaus Otto. En 1891, la structure de base des véhicules automobiles modernes a déjà été mise au point par l’ingénieur français Émile Levassor sous la forme d’un châssis central sur lequel il est possible de monter un moteur. À partir de là, il n’y a plus qu’à ajouter des pneumatiques pour qu’il n’y ait plus d’obstacle majeur au lancement de la conduite automobile.
États-Unis : production de masse
Malgré les progrès rapides de la technologie automobile effectués par les ingénieurs européens, les véhicules automobiles demeurent, au tournant du XXe siècle, un produit de luxe. Ce sont les maîtres mécaniciens de Detroit aux États-Unis qui transforment l’automobile en un bien fiable pour un usage quotidien, produit en masse et vendu à un coût raisonnable. Au début des années 1900, Ransom E. Olds est le premier Américain à produire des voitures en grande série et à connaître la réussite avec sa Curved Dash de marque Oldsmobile. D’autres Américains, notamment Henry Ford, Charles et Frank Duryea, Henry Leland, Walter Chrysler, Charles Nash et Charles Kettering « Boss », ce dernier étant l’inventeur du démarreur automatique qui rend la conduite automobile moins dangereuse et plus fiable (auparavant, les voitures devaient être démarrées avec une manivelle), apportent d’importantes contributions au secteur.
Industrie automobile canadienne : de la Confédération à la Deuxième Guerre mondiale
Au Canada, Henry Seth Taylor construit la première voiture « sans chevaux » en 1867 à Stanstead, au Québec. Son véhicule de loisirs fonctionnant à la vapeur est considéré comme une nouveauté amusante; toutefois, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, d’autres pionniers canadiens construisent des automobiles fonctionnant à la vapeur, à l’électricité et à l’essence, notamment, parmi de nombreux autres modèles, la Fossmobile, la LeRoy, la populaire Russell, la Tudhope et la Galt. Cependant, en dépit de nombreuses tentatives pour construire un véhicule automobile viable sur le plan économique, aucune entreprise canadienne indépendante ne réussit à survivre dans ce secteur. Outre une population limitée, le Canada dispose de capacités financières et de moyens technologiques trop réduits pour qu’une industrie nationale pérenne puisse prendre son essor. (Voir aussi Technologie au Canada; Industrie au Canada.)
Une industrie dynamique de véhicules à moteur réussit malgré tout à émerger à l’issue de la Première Guerre mondiale, et ce, pour plusieurs raisons. La position dominante des succursales industrielles de sociétés américaines au sein du secteur automobile canadien constitue la principale explication de cette réussite. En effet, ces entreprises sont en mesure de produire en masse et de conserver ainsi de faibles coûts de production tout en disposant des avancées technologiques nécessaires à la réussite sur un marché qui avait vu naître et mourir, avant 1914, des milliers de nouveaux acteurs. La situation géographique de l’industrie automobile canadienne naissante favorise également son essor. En effet, la ville de Detroit, située juste en face de Windsor en Ontario de l’autre côté de la rivière Detroit, devient, au début du siècle, le centre mondial de la production automobile. La suprématie de Detroit s’explique par la présence bien établie de constructeurs de voitures hippomobiles, de bicyclettes et de bateaux à vapeur, par l’excellence du réseau routier dans la région environnante et par l’esprit d’entrepreneuriat et d’innovation de certains des premiers pionniers locaux de l’automobile.
Aidés par cette proximité, la ville de Windsor, et, plus généralement, le sud de l’Ontario deviennent, grâce à la mise en place de deux politiques publiques, le prolongement canadien de Detroit. Tout d’abord, des droits de douane de 35 % sur tous les véhicules importés au Canada sont mis en place dans le cadre de la Politique nationale du gouvernement fédéral. Cette taxe protectionniste est conçue pour encourager la production nationale en rendant les produits canadiens moins chers que leurs concurrents étrangers, en provenance essentiellement des États-Unis. Deuxièmement, le Canada faisant partie de l’Empire britannique, sa production peut être livrée à de nombreux pays de ce vaste ensemble qui deviendra plus tard le Commonwealth britannique en profitant de tarifs douaniers préférentiels par rapport à ceux imposés à d’autres pays, en particulier les États-Unis.
Ces politiques ne débouchent toutefois pas sur la l’émergence de fabricants canadiens, mais plutôt sur la domination des constructeurs américains, les activités canadiennes de fabrication, de taille plus réduite que leurs concurrentes américaines, étant exclues du marché par l’ampleur des exigences financières et par les innovations technologiques incessantes requises par une industrie qui connaît alors un essor extrêmement rapide. Les entreprises américaines contournent les droits de douane mis en place dans le cadre de la Politique nationale en créant au Canada des succursales industrielles détenues par des intérêts américains, ces nouvelles sociétés, dont les véhicules sont produits au Canada, étant alors également en mesure de profiter du système douanier préférentiel en vigueur au sein de l’Empire britannique et d’exporter vers les pays qui en font partie.
Dans ce cadre, l’industrie automobile canadienne décolle réellement en 1904 lorsque Gordon M. McGregor, un homme d’affaires de Windsor, crée Ford du Canada Limitée en signant un accord avec Henry Ford, promoteur et fondateur de la compagnie portant son nom, un an seulement après que ce dernier a commencé la production de ses véhicules à Detroit. L’assemblage des Ford canadiennes se fait dans les usines de la Walkerville Wagon Works, les pièces étant transportées par traversiers chargés de wagons d’une rive à l’autre de la rivière Detroit. Rapidement, ces véhicules sont expédiés dans la plupart des régions de l’immense Empire britannique. L’entreprise va connaître une formidable réussite avec l’introduction du fameux modèle T, le premier véhicule automobile produit en masse à véritablement remporter un réel succès dont on dit qu’il a « mis le monde sur des roues ». Ford Canada connaît une réussite exceptionnelle aussi bien sur son marché national qu’à l’exportation.
Pendant ce temps, à Oshawa en Ontario, le colonel Robert Samuel McLaughlin, un autre pionnier canadien de l’industrie automobile, convertit la prospère entreprise familiale en remplaçant la production de voitures hippomobiles et de traîneaux par la fabrication de nouveaux véhicules « sans chevaux » équipés d’un moteur à combustion interne bruyant. En 1908, le colonel McLaughlin conclut une entente avec William C. Durant, un génie de la finance fondateur de General Motors, lui permettant d’utiliser les moteurs de l’inventeur américain David Buick. Les moteurs Buick combinés aux carrosseries McLaughlin obtiennent une renommée internationale. Plus tard, William Durant offre à Robert Samuel McLaughlin les droits canadiens sur la Chevrolet « Classic Six », une voiture de tourisme à cinq passagers conçue par le pilote de course automobile Louis Chevrolet. General Motors du Canada est constituée en 1918, sous la présidence de R.S. McLaughlin, par la fusion de McLaughlin Motor Co. Ltd. et de Chevrolet Motor Co. du Canada.
Le besoin de véhicules mécanisés pour alimenter l’effort de guerre canadien lors de la Première Guerre mondiale constitue une autre raison du succès précoce de l’industrie automobile nationale, des entreprises comme Ford Canada profitant, dans ce cadre, de commandes portant sur des milliers de véhicules. Après la guerre, la croissance économique intense des « années folles » propulse la consommation et la fabrication de véhicules automobiles vers de nouveaux sommets dans un contexte où l’industrie canadienne produit pour un marché local naissant et pour de nombreuses contrées de l’Empire britannique. À ce stade, l’industrie s’est concentrée sur trois acteurs majeurs surnommés les « Big Three », à savoir General Motors, Ford et Chrysler, ce dernier établissant ses activités canadiennes à Windsor au début des années 1920. À la fin des années 1920, le Canada est le deuxième plus gros producteur de véhicules automobiles au monde et un exportateur de première grandeur. Durant cette période, en dépit de nombreux « rafistolages » opérés en matière de tarifs douaniers, l’industrie s’appuie encore largement sur un modèle protectionniste et sur une structure d’activité architecturée autour du paradigme classique des succursales industrielles.
LaGrande Dépression entraîne, durant les années 1930, un déclin de l’industrie automobile qui connaît de nombreuses faillites et fusions. Durant la Deuxième Guerre mondiale, le secteur automobile canadien se met largement à la disposition de la production de guerre et ne fabrique que quelques véhicules à usage civil. L’industrie automobile canadienne joue effectivement un rôle essentiel dans la production de centaines de milliers de véhicules et d’autres équipements militaires qui vont contribuer à la victoire.
Industrie automobile canadienne : de 1945 aux années 1960
Dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale, dans un contexte où la demande du public croît très rapidement, où les ventes sont dopées par un fort essor démographique et par la prospérité de l’après-guerre et où les politiques gouvernementales encouragent les dépenses des consommateurs et un peuplement des banlieues largement axé sur la voiture, l’industrie automobile canadienne connaît un rebond spectaculaire. Au milieu des années 1950, elle est en pleine croissance avec de nouvelles usines et de nouvelles installations, une main-d’œuvre de plus en plus nombreuse et un retour aux exportations, alors que les fabricants européens se remettent à peine de la guerre. (Voir aussi Industrie au Canada; Fabrication industrielle au Canada.)
Toutefois, au début des années 1960, le secteur doit de nouveau faire face à des difficultés. Les filiales canadiennes des « trois grands » importent un nombre toujours croissant de véhicules et de pièces en provenance des États-Unis qui ne sont donc plus fabriqués au Canada. Dans un contexte où les catégories et les modèles de véhicules se multiplient à grande vitesse, les usines canadiennes ne peuvent tout simplement plus satisfaire la demande des consommateurs canadiens pour les derniers produits. En outre, elles ne sont également plus en mesure de suivre le rythme des évolutions technologiques, par exemple la popularité grandissante des transmissions automatiques.
En conséquence, le gouvernement fédéral lance, au début des années 1960, une série d’initiatives visant d’une part à dynamiser les exportations du Canada en direction des États-Unis et, d’autre part, à inciter les constructeurs automobiles et le gouvernement américains à repenser la structure des échanges et de la production dans le secteur automobile entre les deux pays. Après une série d’incidents, notamment un affrontement autour des pièces détachées et équipements d’origine importés, et à l’issue d’un cycle tendu de négociations, le Canada et les États-Unis aboutissent à la signature de l’Accord canado-américain sur les produits de l’industrie automobile, connu sous le nom de Pacte de l’automobile.
Pacte de l’automobile
La Pacte de l’automobile consiste à mettre en place un marché unique nord-américain de l’automobile, exempt de droits de douane, géré par le Canada et les États-Unis avec la participation active des principaux constructeurs. En échange d’un accord de libre-échange portant sur les véhicules automobiles et sur les pièces détachées et équipements d’origine, les deux gouvernements et les constructeurs conviennent que les succursales industrielles des trois grands constructeurs américains implantées au Canada maintiendront une production de véhicules proportionnelle au nombre de voitures et de camions vendus au pays et conserveront un volume d’achats locaux de référence. Dans un accord connexe entre Ottawa et les constructeurs, ces derniers s’engagent également à accroître leurs investissements dans le secteur automobile au Canada pendant trois ans et à dépenser l’équivalent de 60 % du montant de leurs ventes dans des activités canadiennes.
Dans le même temps, 50 % des véhicules exportés du Canada en direction des États-Unis doivent être construits au pays, empêchant par là même une compagnie étrangère de s’implanter sur place avec le seul objectif de réexporter, à partir du Canada vers les États-Unis, des véhicules construits en dehors de l’Amérique du Nord. Le Pacte de l’automobile, forme hybride d’accord de libre-échange conditionnel, aboutit à la création d’une industrie automobile continentale unifiée. Désormais, les trois grands constructeurs américains implantés au Canada construisent pour l’ensemble de l’Amérique du Nord et les fabricants américains peuvent exporter au Canada en franchise de droits.
Les conséquences du Pacte de l’automobile s’avèrent extraordinairement positives pour le secteur au Canada avec, à la clé, une augmentation de la production et de l’emploi, les fabricants locaux de pièces détachées et équipements d’origine profitant également de la possibilité de vendre à des constructeurs qui produisent désormais pour l’ensemble de l’Amérique du Nord. Dans les années 1970, la part canadienne dans l’industrie automobile canado-américaine a plus que doublé par rapport à une valeur de référence de 5 % avant 1965. Même au début des années 1980, dans un contexte où le secteur doit affronter un ralentissement économique, ce pourcentage ne faiblit pas, stimulé notamment par la faiblesse du dollar canadien, par une meilleure qualité des soins de santé offerts aux travailleurs de l’automobile et par une productivité plus élevée.
Industrie automobile canadienne : des années 1980 à nos jours
Dans les années 1980, tandis que l’industrie automobile nord-américaine est touchée par les exportations japonaises et par la quasi-disparition de Chrysler Corporation, le gouvernement fédéral incite les Japonais à investir au Canada en adoptant une série de mesures en matière de droits de douane qui ralentit les exportations nipponnes au pays. En conséquence, à la fin des années 1980, deux des plus grands fabricants du Japon, Toyota et Honda, ont établi des activités d’assemblage en Ontario. Ces investissements et la relative prospérité des années 1990 conduisent l’industrie automobile canadienne à sa période la plus prospère, l’Ontario étant devenu, au début des années 2000, le premier producteur automobile d’Amérique du Nord devant toutes les autres provinces et tous les autres États, le Canada occupant, quant à lui, un classement record comme sixième producteur mondial. Les entreprises canadiennes fabricant des pièces détachées et équipements d’origine comme Magna, Wescast et Linamar connaissent également une réussite exceptionnelle durant cette période.
Cependant, depuis cette époque, l’industrie automobile canadienne connaît un important déclin. Cette régression s’inscrit notamment dans le cadre de la disparition progressive du Pacte de l’automobile largement remplacé par l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis de 1989 et par l’Accord de libre-échange nord-américain de 1993. (Voir aussi Le Canada et l'ALENA; Libre-échange; Relations économiques canado-américaines.) Ces mesures ôtent effectivement toute pertinence aux exigences du Pacte de l’automobile qui, d’ailleurs, sera lui-même jugé contraire aux lois du commerce international par l’Organisation mondiale du commerce en 1999 aux motifs qu’il est discriminatoire vis-à-vis des nouveaux venus dans l’industrie automobile canadienne, à savoir Toyota et Honda; en outre, l’arrivée pleine et entière du Mexique comme acteur de l’industrie automobile nord-américaine crée un nouveau concurrent continental en mesure d’attirer les investissements du secteur. De plus, le déclin de l’industrie automobile en 2008-2010 conduit le gouvernement fédéral et le gouvernement de l’Ontario à apporter des milliards de dollars pour soutenir GM et Chrysler; toutefois, lorsque ces entreprises réussissent à émerger du marasme dans lequel elles se trouvaient, le volume de leur activité au Canada s’est considérablement réduit. En 2010, le nombre d’usines de fabrication au Canada a diminué. Par ailleurs, l’appréciation du dollar canadien, la disparition du Pacte de l’automobile et la compétition accrue en provenance du sud des États-Unis et du Mexique pour attirer les investissements automobiles placent l’industrie automobile canadienne dans une position précaire. À ce moment de son histoire, l’avenir du secteur automobile canadien est incertain et il est menacé de perdre sa position parmi les dix plus importants fabricants mondiaux.
En effet, à l’orée du XXIe siècle, l’industrie automobile locale doit faire face à des difficultés de taille. Comme atouts, elle peut s’appuyer sur cinq constructeurs – GM, Ford, Chrysler, Toyota et Honda – implantés dans une seule province – l’Ontario –, sur un secteur national des pièces détachées et équipements d’origine relativement solide, sur une main-d’œuvre d’excellente qualité et sur un accès au marché américain. Cependant, les accords continentaux et mondiaux de libre-échange qui se multiplient, aboutissant à ce que l’on pourrait appeler une « continentalisation » et une mondialisation du marché, constituent autant de menaces pour l’avenir de l’industrie automobile canadienne.