Biculturalisme
Ce néologisme entre dans la conscience du public canadien avec la création de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme en 1963. En examinant les termes de références, les membres de la Commission ne trouvent ce terme dans aucun dictionnaire. Ils se rappellent cependant que l'emploi de ce terme remonte à 1929, lorsque Graham Spry, qui s'adresse alors au Cercle canadien de Québec, évoque le « caractère biculturel de la nation ».
La Commission conclut dès lors que ce concept fait référence à l'existence au Canada de deux cultures principales, dont l'une relève de la langue anglaise et l'autre, de la langue française. Elle a pour mandat d'examiner l'état de chacune de ces deux cultures et leurs chances d'exister et de s'épanouir ainsi que les conditions devant leur permettre de coopérer efficacement.
Les membres de la Commission ne voient pas dans ce concept une invitation pour les individus à devenir biculturels, ce qui n'arrive que rarement. Ils croient plutôt trouver la pierre angulaire du biculturalisme dans une représentation adéquate des deux cultures au sein des institutions communes du pays et dans la possibilité pour les personnes travaillant dans ces institutions de conserver et d'exprimer leur culture propre.
Les membres rejettent l'idée d'une culture qui serait fondée sur la descendance ethnique. Ils considèrent que la langue d'usage courant et la conscience d'appartenance en sont des facteurs beaucoup plus importants. Ils constatent en effet que les Canadiens d'origine autre que britannique participent pleinement à la culture du Canada anglophone, et que certains dont les ancêtres ne sont pas originaires de la France sont intégrés à la culture canadienne-française. Ils constatent en outre que les membres de certains groupes ethniquement homogènes désirent conserver et mettre en valeur leur héritage culturel particulier tout en participant pleinement, dans la plupart des cas, à la vie de la société canadienne qui les entoure.
La Commission consacre de nombreux écrits à ces « groupes culturels » et fait des recommandations sur l'aide dont ils ont besoin pour conserver leur langue et soutenir leurs activités culturelles. Ces observations sont ainsi à l'origine de la déclaration du gouvernement fédéral sur le multiculturalisme en 1971.
Le terme de biculturalisme a beau être récent, il remonte néanmoins aux origines du Canada moderne. En effet, après la Conquête de 1759-1760, les autorités britanniques accordent en 1774 aux Canadiens français l'usage entier de leur langue et de leur code de droit civil. De plus, ils laissent la voie libre à l'Église catholique, qui est un des fondements de leur culture.
En 1839 cependant, lord Durham (voir Rapport Durham) déclare dans son célèbre rapport vouloir assimiler les Canadiens français en regroupant le Haut et le Bas-Canada en une seule entité. Les Canadiens français font cependant preuve d'une résistance acharnée à l'assimilation, tandis que leurs hommes politiques, et notamment LaFontaine, font en sorte que le gouvernement de la Province du Canada tienne compte de leur participation aux activités du parlement.
Ce dernier ne tarde pas à reconnaître le français comme une langue officielle et met sur pied une structure de l'enseignement public qui assure en fait la pleine protection de l'éducation en français au Canada-Est. Ainsi continue de s'épanouir une culture canadienne-française distincte, tandis que les dispositions de l'Acte de la Confédération de 1867, et spécifiquement les sections 93 et 133, assurent à la Province de Québec et à sa forte majorité francophone les pleins pouvoirs en matière d'éducation et d'autres chapitres relevant de la culture. De la sorte, cette province se voit garantir l'appui constitutionnel pour la culture canadienne-française.
Dans les années 60 néanmoins, la population francophone du Canada signifie clairement qu'elle est mécontente de la place faite à sa langue au Québec et de la place de celui-ci dans le Canada. Beaucoup d'entre eux voient en effet une menace pour la culture française dans les faits suivants : la position dominante de la langue anglaise et des anglophones dans la vie industrielle et commerciale du Québec, les obstacles que rencontrent les francophones qui travaillent dans l'administration fédérale et la situation critique des minorités francophones hors Québec, dont la langue et la culture sont bien loin de bénéficier des avantages octroyés à la minorité anglophone du Québec.
Depuis les années 60, la vie culturelle du Québec connaît un essor vigoureux, avec des réalisations remarquables en éducation, en littérature, en théâtre, à la télévision, à la radio, au cinéma et dans d'autres domaines. Un nombre croissant de francophones se servent de leur culture et de leur langue dans le haut de la hiérarchie du monde des affaires.
Beaucoup de francophones disposent de divers soutiens bien nécessaires à leur culture : radio et télévision française, journaux et périodiques, organismes culturels, etc. Cependant, la législation linguistique du Québec, sous la forme de la Loi 101 de 1977, réduit le visage biculturel de cette province en la rendant officiellement unilingue, bien que la section 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique y soit toujours en vigueur. Entre-temps, à l'extérieur du Québec, beaucoup de groupes, tant anglophones que francophones, ont maintenant accès à des écoles publiques francophones.
Il semble aujourd'hui évident que le Canada a bel et bien deux cultures principales, l'une de langue anglaise, l'autre de langue française. La question reste ouverte de savoir si chacune des deux dispose de moyens strictement égaux d'épanouissement. C'est là un débat qui atteint son point culminant à la fin des années 80 et dans les années 90 avec l'Accord du lac Meech et l'accord de Charlottetown, tous deux rejetés. Après un deuxième référendum tenu au Québec en octobre 1994 sur la question de la souveraineté, et dans la perspective d'un éventuel troisième référendum avant l'an 2000, la question non résolue du biculturalisme reste bien la question clé de l'unité canadienne.
Voir aussi Bilinguisme; Dualité culturelle; Laurendeau.