Bureaucratie et organisation formelle
Le terme BUREAUCRATIE est traditionnellement associé à l'administration publique et à ses divers organismes. Il n'est introduit qu'au milieu du XVIIIe siècle par l'économiste Vincent de Gournay. Sur le plan terminologique, le mot est construit sur la liaison du terme « bure » ou « bureau », qui jusqu'au XVIe siècle désignait tout tapis recouvrant un meuble (coffre ou table) servant à écrire, et du suffixe « cratie » qui veut dire pouvoir ou autorité de gouvernement. Bureaucratie signifie donc littéralement gouvernement par les bureaux. La bureaucratie joue un rôle fondamental dans le fonctionnement des grandes entreprises privées, des partis politiques, des syndicats, des églises et de toute organisation moderne de grande taille.
Son association avec la routine, la paperasserie, la longueur des procédures, la centralisation excessive du pouvoir et la rigidité de sa hiérarchie ont conféré à ce mot un sens péjoratif. Techniquement, cependant, dans les SCIENCES SOCIALES, le terme fait référence au développement des organisations formelles.
L'organisation sociale
La bureaucratie est d'abord une forme d'organisation sociale. Le dénominateur commun de la bureaucratisation se trouve dans la recherche d'un modèle rationnel d'administration. Dans la plupart des organisations de masse, les objectifs sont réalisés au moyen d'une division très poussée du travail. Il en résulte un morcellement et une diversification des tâches, qui à leur tour entraînent une spécialisation des fonctions, qu'elles soient d'exécution, de direction ou d'expertise.
Cette multiplicité des fonctions implique évidemment que soit mise en place une structure de coordination et que soient établies des règles, des dispositions administratives et des normes définissant les attributions de chaque poste et leur relation avec les autres. Cette spécialisation fonctionnelle accroît elle-même la nécessité d'une administration et d'un contrôle centralisé, donc de l'établissement d'une hiérarchie intégrant chaque fonction dans un système de commandement.
L'autorité déléguée à l'intérieur de sphères spécifiques de compétence se trouve subordonnée à un pouvoir final de décision qui définit les politiques d'ensemble de l'organisation et contrôle les résultats, qu'ils soient matériels ou symboliques. Ce pouvoir finale, en revanche, est de nature plus politique qu'administrative et n'est donc pas purement bureaucratique (voir ÉCONOMIE POLITIQUE).
Globalement, la bureaucratie est organisée selon un principe pyramidal qui se reflète dans des organigrammes complexes qui servent à décrire les grandes organisations modernes. Leurs formes détaillées en branches multiples indiquent notamment que, dans les bureaucraties, l'accent est mis sur les canaux de communication verticaux plutôt qu'horizontaux. De la même façon, les COMMUNICATIONS indirectes sont la règle, car il faut toujours passer par le supérieur pour transmettre de l'information aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie. Cette réduction des contacts interpersonnels, présentée comme un élément d'efficacité, est aussi fréquemment la source de blocages dans les communications et de ce qu'on appelle le red tape (les tracasseries administratives).
Le recrutement dans les bureaucraties
Le recrutement dans les organisations bureaucratiques se fait habituellement selon des règles établies, par exemple le système de concours de la FONCTION PUBLIQUE. Bien que les postes aux tâches les plus routinières soient comblés par des personnes ayant relativement peu de qualifications, les postes de direction, de gestion et de spécialisation sont occupés par des personnes qui ont généralement un diplôme universitaire. Toutefois, certaines personnes sont parfois embauchées ou nommées non pas pour leurs compétencesm, mais pour des raisons politiques, par exemple le FAVORITISME pour des faveurs déjà accordées.
En revanche, un grand nombre de postes en GESTION DES AFFAIRES sont occupés par du personnel sans diplôme universitaire, mais formé par l'entreprise. Pour définir le statut de la personne et projeter son c« heminement de carrière » potentiel, on utilise un système de titres hiérarchiques correspondant à l'organigramme (voir ADMINISTRATION PUBLIQUE).
La théorie
Largement inspirée des travaux initiaux du sociologue allemand Max Weber (1864-1920), décrit cette dernière comme une codification formelle de l'idée d'organisation rationnelle et comme un élément majeur du processus de rationalisation capitaliste. Pour la grande entreprise, comme pour l'administration publique, l'atteinte des buts fixés est réalisée au moyen de techniques rationnelles, systématiques et standardisées éliminant les effets des rapports interpersonnels. L'organisation bureaucratique exprime alors l'idée que l'efficacité maximale peut être atteinte grâce à une logique de planification et de calculs financiers.
La théorie moderne est largement sceptique quant à la validité de cette croyance. Des études ont révélé de nombreuses dysfonctions dans les systèmes bureaucratiques, notamment le manque de dynamisme résultant de leur comportement ritualiste. Les problèmes et les conflits tendent à être résolus par l'imposition de nouveaux contrôles et règles qui consolident ultimement la bureaucratie (les bureaucraties ont aussi tendance à se reproduire elles-mêmes, à utiliser l'énergie pour maintenir leur propre existence plutôt que pour réaliser leur but premier).
On peut toutefois se demander si la rationalité technique exprimée strictement en termes de fins et de moyens est adaptée à tous les types d'organisations. Bien qu'elle semble s'appliquer plus aisément aux entreprises qui adoptent les principes fondamentaux de la maximisation des profits et à certaines activités étatiques de nature plutôt routinières, cette même rationalité devient carrément inefficace, voire nuisible, lorsque l'on cherche à l'appliquer à des activités du secteur public qui ne peuvent être réduites à la pure répétition ou au pur contrôle.
Il est impossible d'administrer bureaucratiquement et sans distorsions les écoles, hôpitaux, logements sociaux ou centres de services communautaires. Ces institutions, où les services ne peuvent être déterminés strictement sur la base d'un calcul rationnel abstrait, dépendent d'une demande sociale et de choix politiques.
Les bureaucrates
Si la bureaucratie est un mode d'organisation sociale, il faut souligner aussi qu'elle ne peut exister sans les bureaucrates eux-mêmes. Par conséquent, ce terme dénote non seulement une structure organisationnelle, mais aussi un groupe social. On trouve ce genre de groupes dans toutes les administrations publiques et les grandes entreprises, où ils passent des personnes responsables des fonctions administratives (p. ex., « les pousseux de crayon » traditionnellement assignés aux tâches subordonnées de routine et dont la situation change rapidement en conséquence de l'informatisation) aux « mandarins » des échelons supérieurs de la fonction publique. Néanmoins, ce sont les cadres de direction et les cadres moyens, au coeur de toute bureaucratie, qui sont la véritable base du pouvoir.
Le pouvoir bureaucratique
Dans les sociétés occidentales, la nature des bureaucraties est différente compte tenu de l'autonomie substantielle des institutions individuelles. Bien que les bureaucraties publiques soient clairement distinctes des bureaucraties privées, elles partagent certaines caractéristiques et un certain degré d'échange qui résultent de la mutation des cadres de direction et des cadres moyens d'un secteur à l'autre.
Le système dans lequel les bureaucraties des pays occidentaux évoluent ne peut dépasser complètement le système de pouvoir pour aboutir à une classe à part, comme c'est arrivé en Union soviétique où les pouvoirs politique et économique ont fusionné au nom de la rationalité technique. L'histoire démontre l'importance de résister à la dynamique de la croissance bureaucratique et de maintenir des bureaucraties hétérogènes pour préserver un ordre démocratique et une liberté sociale.
Voir aussi SCIENCES POLITIQUES et REVUE CANADIENNE D'ÉCONOMIQUE ET DE SCIENCES POLITIQUE.