Le chandail cowichan est un vêtement en laine épaisse décoré d’un motif distinct et créé à la fin du 19e siècle en Amérique du Nord par les Cowichans, un peuple salish de la côte vivant en Colombie-Britannique. À la fin des 1950, les Cowichans renomment le vêtement, historiquement appelé tricot indien ou siwash (un terme chinook péjoratif pour désigner les peuples autochtones), afin de le revendiquer à titre d’inventeurs. La popularité des tricots cowichan à la moitié du 20e siècle en fait un objet prisé dans le monde de la mode internationale, où les designers non autochtones se l’approprient sans gêne. Malgré tout, plusieurs artisans salish de la côte à l’île de Vancouver et en Colombie-Britannique continentale continuent de créer et de vendre des tricots authentiques. En 2011, le gouvernement canadien a reconnu formellement l’importance nationale et historique des tricoteuses cowichan et de leurs créations.
Origines
Avant l’arrivée des colons européens, les femmes cowichan tissent des couvertures à partir de poils de chèvres de montagne et de chiens. Les couvertures les plus anciennes que l’on a trouvées datent de 300 à 500 ans. À la fin du 19e siècle, beaucoup de tisseuses cessent de fabriquer ces couvertures à la main, préférant plutôt utiliser des aiguilles à tricoter. La popularité de la couverture à points aux couleurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson, combinée à la difficulté de s’approvisionner en poil de chèvres et de chiens pour fabriquer la laine, complique en effet le tissage à la main.
Les origines du tricot chez les Salish de la côte ne sont pas claires. Une théorie veut que ce soit Jeremina Colvin, une immigrante ayant quitté les îles Shetland (dans le nord-est de l’Écosse) pour s’installer dans la vallée Cowichan à la fin des années 1880, qui aurait enseigné aux femmes autochtones à carder, à filer et à tisser. Certains croient qu’elle leur a enseigné les techniques typiques de Fair Isle, qui permettent de créer des rangées de couleurs différentes à l’instar des motifs cowichan. Les tricots cowichan demeurent uniques en raison de leur laine épaisse, non traitée et filée à la main, et des motifs géométriques, des couleurs et des modèles utilisés.
Une deuxième théorie veut que le tricot soit arrivé sur la côte ouest grâce aux Sœurs de Sainte-Anne, une institution catholique fondée au Québec pour promouvoir l’éducation des enfants en milieu rural. En 1858, quatre sœurs de Sainte-Anne sont parties de Montréal jusqu’à Victoria pour fonder une école. En 1864, elles fondent une deuxième école, cette fois-ci à Duncan, en Colombie-Britannique, pour les jeunes filles autochtones. Si les élèves dans les deux écoles obtiennent une éducation élémentaire semblable, ils apprennent aussi certaines compétences domestiques comme le tricot, censées favoriser leur assimilation. L’enseignement du tricot dans les pensionnats se poursuit jusqu’à la fin des années 1960.
Théories concurrentes à part, le tricot cowichan se distingue parce qu’il combine le tissage traditionnel des Salish de la côte et les techniques de tricot européennes. La spécialiste en textiles Priscilla Gibson-Roberts affirme que les femmes et les filles salish, lorsqu’on leur a enseigné le tricot, n’étaient pas impressionnées par les motifs européens. Elles auraient donc intégré les motifs traditionnels de leur région à leur ouvrage. Certains motifs bicolores tissés dans les couvertures traditionnelles se retrouvent encore aujourd’hui dans les vêtements cowichan.
Historique
Les premières traces d’un chandail cowichan remontent au début des années 1900. À l’époque, seuls les peuples salish de la côte portent de tels vêtements. Vers 1920, toutefois, l’artisanat autochtone est prisé des colons comme objet de collection, et les chandails cowichan attirent l’attention des étrangers. Les agents des Indiens, soit les administrateurs des politiques autochtones pour le gouvernement fédéral, envoient les vêtements dans des foires et des expositions, augmentant ainsi leur valeur sur les marchés non autochtones. En réponse à cet engouement, les tricoteuses commencent à vendre leurs chandails aux marchands à Duncan, à Victoria et à Vancouver.
À partir de la décennie 1930, le gouvernement canadien tente de renforcer la marchandisation du tricot cowichan en enseignant le tricot dans les pensionnats, afin que les chandails rapportent un revenu plus important pour les communautés autochtones. Comme l’explique l’agent des Indiens H. Graham dans un article du périodique The Cowichan Leader daté de 1934, « la croissance du marché du chandail cowichan a grandement contribué au bien-être des Indiens eux-mêmes, ce qui bénéficie aussi, indirectement, au gouvernement du Dominion. » Éventuellement, le tricot devient une deuxième source de revenus. En plus de vendre leurs chandails, les femmes voyagent un peu partout en Colombie-Britannique et dans l’État de Washington, accomplissant du même coup des travaux saisonniers comme la cueillette de baies et la conserverie de poissons.
Le revenu des tricoteuses salish de la côte est toujours minime, car certains magasins obligent les tricoteuses à utiliser leur laine, qu’ils leur vendent à prix fort. De plus, les acheteurs offrent rarement un juste prix pour les chandails. En raison de l’isolation de la plupart des communautés salish de la côte dans les années 1930, beaucoup dépendent d’acheteurs intermédiaires pour apporter leurs produits dans les marchés urbains. La Loi sur les Indiens exacerbe cette dépendance : dans les réserves, les peuples autochtones n’ont pas droit de solliciter du financement des institutions bancaires pour bâtir leurs entreprises. Enfin, la marchandisation des chandails cowichan crée un marché d’imitations bas de gamme et produites massivement contre lequel les artisanes ne peuvent pas rivaliser, elles qui fabriquent des chandails à la main à un prix beaucoup plus élevé. Beaucoup de tricoteuses continuent néanmoins leur pratique à temps perdu, voyant leurs ventes comme un revenu complémentaire pour leur famille.
En 2011, le gouvernement du Canada reconnaît officiellement l’importance nationale et historique des tricoteuses salish de la côte et du chandail cowichan, ainsi que l’innovation propre à ceux-ci.
LE SAVIEZ-VOUS?
Les gouvernements fédéral et provinciaux ont souvent donné des chandails cowichan à titre de symbole du Canada aux élites et aux célébrités étrangères, dont le pape Jean-Paul II, le prince Charles et la princesse Diana, Harry Truman et Bing Crosby.
Style et design
Bien que chaque exemplaire possède un design, une épaisseur, une taille et une forme uniques, les chandails cowichan partagent de nombreuses caractéristiques. D’abord, ils sont toujours fabriqués à partir de laine épaisse, non traitée et filée à la main : c’est l’un des éléments clés pour les distinguer des imitations. Tous les chandails cowichan sont tricotés en rond, c’est-à-dire en une seule pièce tubulaire. Ils sont faits de deux ou trois couleurs de laine naturelle, dont le blanc, le gris et un brun noirâtre. De plus, ils sont dotés d’un col châle en V replié à l’arrière.
Les chandails cowichan contiennent plusieurs bandes de motifs, dont des formes géométriques répétées à la taille et aux épaules, et une figure non géométrique au centre. Ces motifs se poursuivent également sur les manches et à l’arrière. Si le modèle d’origine s’enfile par-dessus la tête, d’autres designs plus récents incluent des boutons ou des fermetures à glissière. (Après l’étape du tricot, le tissu est coupé et les fermetures y sont cousues.) Les chandails sont chauds et durables, ce qui les rend très populaires au 19e siècle et au début du 20e siècle.
Les motifs tricotés sur les chandails proviennent de sources différentes. Certains sont des reproductions de couvertures et de paniers traditionnels créés par les Salish de la côte, tandis que d’autres s’inspirent d’objets du quotidien, comme des tuiles ou du papier peint. Certains modèles et motifs sont exclusivement réservés aux Autochtones et ne décorent jamais les modèles destinés à être vendus au public. Beaucoup des tricoteuses arrivent à travailler sans patron, en observant simplement des dentelles ou des nappes pour s’inspirer. Habituellement, les patrons et les techniques sont transmis de génération en génération, ce qui explique les différences que l’on trouve d’une famille à l’autre.
S’ils n’ont pas nécessairement été créés avec une idée particulière en tête, les motifs, pour beaucoup de tricoteuses, sont assortis d’histoires personnelles qui leur donnent un sens symbolique. Certaines artisanes, comme la tricoteuse tsartslip May Sam, s’éloignent des modèles et des motifs traditionnels. Elle agrémente ses chapeaux de pompons en feutre de laine, utilise des laines d’acrylique colorées et recrée notamment les logos des différentes équipes de la LNH.
Imitations
Des copies des chandails cowichan existent depuis les années 1920, mais c’est de 1950 à 1970 que le marché de l’imitation prend du galon, grâce aux merceries au Canada et aux États-Unis qui commencent à vendre des patrons inspirés des motifs cowichan. À l’époque, les chandails cowichan sont connus à travers le monde, et beaucoup de célébrités portent des imitations en public. C’est notamment le cas de la mannequin et actrice américaine Marilyn Monroe lors d’une séance photo en 1962, et de l’acteur américain Michael Glaser dans la populaire série télévisée Starsky et Hutch, diffusée dans les années 1970 (voir aussi Appropriation culturelle des peuples autochtones au Canada).
Parce que ces imitations faites de matériaux bas de gamme ont saturé le marché, les tricoteuses cowichan éprouvent des difficultés à vendre leurs produits faits à la main. Certains grossistes exigent aussi des motifs non traditionnels pour répondre aux goûts de certains marchés, en particulier le Japon. À force de marchandiser le chandail cowichan comme article de mode, il devient difficile pour les consommateurs de faire la différence entre les modèles authentiques et les imitations. En outre, beaucoup d’entre eux ne connaissent pas les origines autochtones du chandail et préfèrent s’en procurer un auprès de boutiques au nom bien connu.
Comme elles n’arrivent pas à rivaliser avec les versions moins chères et faites à la machine, beaucoup de tricoteuses cessent de tricoter. D’autres encore commencent à fabriquer des versions bas de gamme et à acheter de la laine du commerce pour gagner du temps. Certaines tricoteuses salish de la côte importent aussi de la laine australienne pour ne plus dépendre de la production locale. Vers la fin des années 1970, le chandail cowichan s’adapte au goût des clients, qui préfèrent les versions minimalistes et moins amples. À mesure qu’il passe d’un vêtement utilitaire à un objet de mode, le chandail cowichan authentique devient encore plus difficile à différencier des imitations.
Afin de se réapproprier le chandail, les tribus cowichan créent une étiquette utilisant le terme « Genuine Cowichan » (Cowichan véritable) pour authentifier leurs produits. En 1979, les tribus cowichan intentent d’ailleurs une action contre un grossiste commercial afin de protéger l’intégrité de l’étiquette Genuine Cowichan. Cette tactique se révèle fructueuse jusqu’à ce qu’une marque fédérale soit déposée en 1995 et enregistrée en 1997. De nos jours, l’étiquette Genuine Cowichan protège toujours l’intégrité des chandails cowichan en établissant des lignes directrices quant à leur conception.
Les tricoteuses ne s’entendent pas toutes quant à l’effet qu’ont les chandails d’imitation. Quelques-unes, comme Sarah Modeste, voient la popularité du design comme un avantage. Dans une entrevue accordée à Sylvia Olsen, auteure de Working with Wool: A Coast Salish Legacy and the Cowichan Sweater (2010), elle déclare : « C’est assez excitant de voir un des chandails dans [le magazine] Elle. [...] Il est fait de laine usinée et est fabriqué en usine, mais s’il permet de faire de la publicité à notre produit, je suis d’accord. » La tricoteuse Emily Sawyer-Smith, quant à elle, a déclaré dans l’édition du 8 octobre 2009 du Times Colonist que les imitations « enlèvent quelque chose à ce qui était initialement [cowichan] ». Dianne Hinkley, directrice de la recherche sur les terres des tribus cowichan, a souligné dans The Citizen du 14 octobre 2009 que les imitations ont aussi des répercussions financières : « [Les chandails] auraient pu avoir un effet économique énorme pour les peuples qui vivent au jour le jour. »
Dans de nombreux cas, les tricoteuses autochtones ont critiqué publiquement les entreprises de marque qui se sont approprié leurs modèles. Par exemple, après que la Compagnie de la Baie d’Hudson a vendu des chandails imitant le style cowichan aux Jeux olympiques d’hiver de 2010, les Cowichans ont protesté et ont finalement obtenu un accord de licence. En 2015, le détaillant américain Nordstrom a retiré le mot « cowichan » dans la description d’un chandail de sa collection et a présenté des excuses aux Cowichan.