Chaoulli c. Québec | l'Encyclopédie Canadienne

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Chaoulli c. Québec

L’affaire Chaoulli c. Québec est une affaire historique qui a été portée devant la Cour suprême du Canada en 2005. Elle a pesé les droits des patients à obtenir des soins en temps opportun (et ceux des médecins à les fournir) contre les exigences d’un système de soins de santé socialisé, tel que celui du Canada. La Cour a déterminé que les droits de la personne des patients confrontés à de longs délais d’attente pour des procédures médicales étaient violés par les lois du Québec interdisant l’assurance médicale privée. La décision ne concerne que la province de Québec, mais trois juges de la Cour suprême ont estimé que les mêmes lois violaient un article de la Charte canadienne des droits et libertés.

Contexte

L’affaire implique deux plaidants différents qui décident de travailler ensemble parce qu’ils contestent tous deux les mêmes règlements. Le premier plaignant, qui donne son nom à l’affaire, est le docteur Jacques Chaoulli. Ce dernier conteste les règles provinciales qui l’empêchent de travailler à plein temps en tant que médecin effectuant des visites à domicile. Le second plaignant est George Zeliotis, un entrepreneur du secteur des produits chimiques industriels à la retraite. À l’époque, il est inscrit sur une liste d’attente pour une opération de remplacement de la hanche.

George Zeliotis veut utiliser une assurance privée pour payer son opération auprès de services médicaux du secteur privé. Les deux plaignants font valoir que les limitations imposées par la réglementation de l’assurance maladie du Québec, l’un en ce qui concerne la façon dont il peut exercer en tant que médecin, l’autre quant au recours de l’utilisation d’une assurance privée pour payer des procédures médicales dans le secteur privé, contreviennent à leurs droits fondamentaux garantis par la Charte, c’est-à-dire à la fois aux droits et libertés prévus par la Charte et à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Cependant, la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel du Québec ne sont pas d’accord.

Jacques Chaoulli

Le docteur Jacques Chaoulli est un médecin canadien-français qui exerce au Québec. Sa clinique est spécialisée dans les visites à domicile et elle dessert la Rive-Sud de Montréal. Au milieu des années 1990, le docteur Jacques Chaoulli commence à plaider en faveur d’une modification du système de soins de santé de la province. À l’époque, sa clinique se voit refuser la désignation de « service prioritaire » par l’autorité sanitaire du gouvernement provincial. Pour cette raison, Jacques Chaoulli a le choix entre travailler 12 heures par semaine dans un établissement de santé du secteur public (comme un hôpital ou une clinique publique) ou de voir les paiements qui lui sont versés par l’assurance maladie provinciale réduits de 30 %. Jacques Chaoulli fait valoir qu’en allant voir ses patients à leur domicile, il épargne au gouvernement des dépenses liées à l’utilisation des services d’ambulance ou aux visites à l’hôpital par les patients.

En raison de son plaidoyer en faveur d’une réforme du système de santé canadien qui encourage une plus grande activité du secteur privé, Jacques Chaoulli est perçu comme un activiste de la privatisation (voir aussi Réforme du système des soins de santé et la norme de diligence au Canada). En 1996, il entame une grève de la faim pour protester contre les règlements du gouvernement québécois qui exigent qu’il renonce à un tiers de ses revenus ou qu’il travaille les 12 heures hebdomadaires requises dans un établissement public.

Décision de la Cour

Le 9 juin 2005, la Cour suprême du Canada se range du côté des plaignants dans une décision de 4 contre 3. La juge en chef Beverley McLachlin fait valoir que les temps d’attente dans les hôpitaux mettent en péril les droits constitutionnels des Canadiens. Pour cette raison, le contrôle exclusif du gouvernement provincial sur la prestation de services médicaux ne peut pas être légalement justifié.

Les juges dissidents font valoir qu’aucun droit fondamental n’a été violé. De plus, ils font valoir que les questions de politique sociale devraient être déterminées par des politiciens élus plutôt que par les tribunaux. Ils écrivent : « l’instance appropriée pour déterminer la politique sociale du Québec en la matière est l’Assemblée nationale. »

À l’époque, on craint que l’affaire Chaoulli ne mène au démantèlement du système public de soins de santé du Canada. Cependant, cette décision se limite au Québec, car la juge Marie Deschamps statue que seulement l’interdiction du Québec sur l’assurance maladie privée viole les droits des Québécois. Elle ne va pas plus loin et ne juge pas si l’on peut en dire autant des droits de tous les Canadiens.

Cette affaire est presque toujours appelée Chaoulli c. Québec. Il s’agit sans doute d’un nom inapproprié étant donné que l’argument principal, à savoir que les droits constitutionnels des patients sont violés par les systèmes de soins de santé publics qui pourraient avoir un impact négatif sur le droit d’une personne à la vie, à la liberté ou à la sécurité, correspond davantage à la plainte déposée par George Zeliotis.

Conséquences

George Zeliotis obtient le droit d’utiliser son assurance maladie privée pour payer une opération chirurgicale auprès d’un prestataire privé. Il n’en demeure pas moins un partisan du système de soins de santé public au Canada. Interviewé en novembre 2005, plusieurs mois après que la Cour suprême lui ait donné raison, il déclare qu’il espère que le gouvernement québécois renforcera le système de soins de santé public.

Dans la foulée de la décision de la Cour, la plupart des dirigeants politiques canadiens, tant au niveau fédéral que provincial, promettent de protéger les soins de santé publics et de s’opposer à un système à deux vitesses. Le premier ministre de l’Alberta, Ralph Klein, est l’un des rares dirigeants politiques à approuver cette décision. Lors d’une entrevue avec le Edmonton Journal, il affirme qu’il est temps d’adopter un système de soins de santé privé. (Voir aussi Réforme controversée du système de soins santé de Ralph Klein).

Certaines provinces privatisent certains aspects de leur système public de soins de santé. Certaines procédures qui comportent de longs délais d’attente sont progressivement autorisées à être couvertes par des assurances et des prestataires privés. En 2023, le démantèlement du système de soins de santé public canadien n’a pas encore eu lieu. Mais les défenseurs des soins de santé publics restent préoccupés par une « privatisation sournoise », en particulier en Alberta et en Ontario.

Une contestation similaire de Cambie Surgeries Corporation est portée devant les tribunaux en Colombie-Britannique en 2020. Comme dans l’affaire Chaoulli, le tribunal provincial estime que les règles interdisant l’assurance maladie privée ne constituent pas des violations de la Constitution, bien qu’il y ait un désaccord partiel sur les droits de la personne. La Cour suprême du Canada rejette la demande d’audition de Cambie en avril 2023.