Le présent article présente un aperçu du cinéma au Québec, de ses débuts à l’époque du film muet jusqu’à l’essor d’un cinéma distinctement québécois dans les années 1960. L’article souligne les films les plus importants, que ce soit en matière de succès aux guichets ou de renommée internationale, et il couvre à la fois les longs métrages et les documentaires. Il attire également l’attention sur un aspect de la cinématographie qui éprouve encore de la difficulté à trouver sa place : le cinéma des femmes.
Cet article est l’un de trois articles qui retracent l’histoire de l’industrie cinématographique au Québec. La série complète comprend :
Histoire du cinéma québécois : de 1896 à1969; Histoire du cinéma québécois : de 1970 à 1989; Histoire du cinéma québécois : de 1990 à aujourd’hui
Premières années
Au Canada, la première projection cinématographique publique a lieu le 28 juin 1896, à Montréal. Les frères Lumière présentent leur cinématographe et suscitent un grand engouement au Québec. Quelques Québécois décident alors de présenter des films dans différents parcs et lieux. Parmi ceux-ci, Léo‑Ernest Ouimet occupe une place importante. En 1906, il ouvre le Ouimetoscope, le premier cinéma permanent de Montréal. Il commence aussi à tourner des films locaux. Ces films comprennent L’Incendie de Trois‑Rivières (1908) et Le Congrès eucharistique de Montréal (1910). Léo-Ernest Ouimet est réalisateur, producteur, distributeur et exploitant de cinéma. Il fonde Specialty Film Import. À la fin des années 1920, il lance une série de films d’actualités, le British Canadian Pathé News.
Léo-Ernest Ouimet, comme beaucoup d’autres cinéastes, veut que ses œuvres se démarquent des productions étrangères, et il accomplit ceci en mettant l’accent sur des sujets locaux et sur l’histoire nationale. En 1912, Frank Beresford, le fondateur de la British American Film Manufacturing, réalise The Battle of the Long Sault. Il participe également au tournage de Wolfe ; Or, the Conquest of Québec (1914) de Kenean Buel. Joseph-Arthur Homier réalise deux œuvres de fiction ; Madeleine de Verchères (1922) et La drogue fatale (1924). Cependant, sa compagnie de production fait faillite au milieu des années 1920. Cette faillite est due à un manque de moyens de production et d’accès aux installations qui sont contrôlées par les Américains ou par les entreprises canadiennes qui leur sont affiliées.
Une autre compagnie adopte une stratégie entièrement différente. Le Chemin de fer du Canadien Pacifique (CPR) a l’intention de produire des films d’intérêt national pour soutenir ses activités commerciales. Précédemment, cette compagnie avait déjà commandé la série Living Canada (1902) au fermier et cinéaste James Freer, du Manitoba. En 1921, elle fonde l’Associated Screen News (ASN). Cette association est dirigée par Bernard E. Norrish, ancien directeur de la Canadian Government Motion Picture Bureau. L’ASN se fait connaître avec sa série Canadian Cameo (1932 à 1953). La plupart des films de cette série sont réalisés par Gordon Sparling, le premier grand réalisateur du Canada, qui a commencé à travailler pour l’ASN en 1931. On compte parmi ses films les plus populaires Rhapsody in Two Languages (1934), House in Order (1936) et Ballet of the Mermaids (1938). L’ASN possède également des studios et des laboratoires qui facilitent la production. Elle offre aussi ses services à d’autres producteurs et distributeurs.
Débuts du cinéma ethnographique
Au début des années 1930, les cinéastes ethnographiques émergent. Ces cinéastes non professionnels, souvent des prêtres, tournent des films en 16 mm qui servent à des fins éducatives ou promotionnelles. Parmi ces premiers cinéastes figure Albert Tessier, dont l’œuvre est considérée comme précurseure du cinéma direct (voir aussiDocumentaires). Son objectif consiste à promouvoir la beauté de la nature, la vie rurale traditionnelle et le nationalisme canadien-français. Depuis 1980, le gouvernement du Québec décerne un prix qui porte son nom pour souligner l’ensemble de la carrière d’un artiste du cinéma.
Maurice Proulx est plus célèbre parce qu’il a filmé, au cours des années 1930, le peuplement de l’Abitibi (En pays neufs, 1937) et la péninsule de Gaspé (En pays pittoresque, 1939). Comme il est professeur d’agronomie, un bon nombre de ses films portent sur l’agriculture et la vie rurale. Il tourne plusieurs films pour le Service de ciné-photographie du Québec, en raison de ses liens étroits avec Joseph‑Adélard Godbout, premier ministre libéral, ainsi que le premier ministre Maurice Duplessis, chef de l’Union nationale.
La troisième plus importante figure de cette époque est Herménégilde Lavoie. Il réalise d’abord des films comme Les beautés de mon pays (1943) pour l’Office provincial du tourisme. Après son congédiement en 1947, il crée des œuvres à caractère industriel et historique. Vers la fin des années 1940 et le début des années 1950, il tourne également plusieurs longs métrages documentaires qui dépeignent les activités des couvents. Le dernier digne de mention est Louis‑Roger Lafleur. Ce père oblat produit plusieurs documentaires ethnographiques importants sur les peuples algonquins du Nord-du-Québec. Il ouvre la voie à tous les cinéastes qui tourneront par la suite leur caméra vers les peuples autochtones du Canada, des années 1960 jusqu’à aujourd’hui.
Création de l’ONF
À l’époque où le gouvernement fédéral crée l’Office national du film du Canada (ONF) en 1939, le cinéma québécois est composé d’œuvres de quelques amateurs enthousiastes. Leurs films, en plus de leurs qualités cinématiques indéniables, fournissent une précieuse documentation ethnographique. Ces premiers cinéastes trouvent un débouché naturel avec le Service de ciné-photographie, fondé en 1942 par le gouvernement du Québec. Son mandat est de répondre à certains besoins de propagande et d’éducation. Cependant, il est mal équipé pour atteindre ces objectifs, son nombre d’employés est trop limité et il n’utilise que le format de pellicule en 16 mm. L’ONF n’est pas soumis à ces contraintes. Toutefois, durant ses premières années d’existence, l’ONF est principalement un organisme anglophone.
Les films de langue anglaise sont doublés pour le Québec. On n’accorde que peu d’importance aux productions francophones. Dans ces circonstances, Vincent Paquette, Jean Palardy et quelques autres accomplissent un travail héroïque. Après la Deuxième Guerre mondiale, Roger Blais, Raymond Garçeau et Bernard Devlin se joignent à eux. Une équipe francophone se forme et encourage l’émergence de la cinématographie québécoise au sein de l’ONF. Cependant, à ses débuts, le cinéma du Québec n’est pas toujours dissocié des productions anglophones. Parfois, certains films sont même produits en anglais. Les meilleurs résultats sont obtenus lorsque les films sont créés en réaction à des événements spécifiques. Par exemple, en septembre 1941, la remarquable série Les Reportages commence à offrir des actualités bihebdomadaires en français.
Essor du long métrage après la Seconde Guerre mondiale
Après la Seconde Guerre mondiale, on trouve une période de production du long métrage active au Québec. La guerre a engendré une pénurie de films de langue française et a obligé des cinéastes français à s’exiler au Québec. Par conséquent, la réalisation de longs métrages s’épanouit à partir de 1944, notamment avec Le Père Chopin. Ce film contribue à créer une nouvelle industrie à intégration verticale, grâce à des contacts à l’étranger et à l’appui du clergé (appui idéologique et financier). D’autres Québécois sont impatients de produire des films. Ils espèrent récupérer leurs dépenses sur le marché local et trouver des réseaux de distribution à l’étranger.
En 1947, Québec‑Productions (QP) sort Whispering City/La Forteresse de Fédor Ozep en versions anglaise et française. Ce thriller psychologique n’obtient pas le succès commercial escompté par les producteurs. QP doit modifier ses aspirations et se contenter des marchés locaux. La société s’inspire donc des dramatiques radio, qui connaissent une grande popularité, pour produire ses trois films suivants (1949 à 1950). Une autre compagnie, Renaissance, désire produire des films catholiques. Elle sort Le Gros Bill, réalisé par René Delacroix et Jean‑Yves Bigras en 1949.
Les deux entreprises tentent de sortir du marché strictement national en établissant des ententes de coproduction avec des compagnies françaises. Cependant, leurs efforts échouent et elles reviennent à des thèmes québécois. Leur succès relatif incite plusieurs petits groupes à produire sept longs métrages au total. Deux de ces films sont tournés en anglais, et la plupart d’entre eux sont adaptés de pièces dramatiques de théâtre. Paradoxalement, deux de ces œuvres deviennent les plus célèbres de l’époque. La Petite Aurore l’enfant martyre (1951) de Jean‑Yves Bigras, raconte la vie d’une enfant torturée à mort par sa belle‑mère, condamnée éventuellement à la pendaison. Ti‑Coq (1953) de Gratien Gélinas, est l’histoire d’un orphelin illégitime nommé Ti-Coq. Alors que celui-ci est à la guerre à l’étranger, on persuade sa fiancée d’épouser un autre homme.
En 1954, l’industrie québécoise du long métrage s’effondre, après 19 films. La télévision porte un coup fatal à cette industrie rendue vulnérable à cause de sa médiocrité. De nos jours, ces films ont une grande valeur en tant que documents sociaux. Au cours des années 1940 et 1950, la société québécoise se transforme, de traditionnelle et agricole, elle devient une société urbaine. Les films semblent défendre l’ordre social traditionnel, en particulier le rôle du clergé. Toutefois, un examen plus approfondi révèle le contraire. Les personnages et les thèmes de ces films évoquent généralement une impression négative de la société québécoise. Ils dépeignent une société en transition, au sein de laquelle on remet en question les valeurs catholiques traditionnelles.
Division francophone de l’ONF et Révolution tranquille
Au cours de la décennie suivante, les longs métrages et productions privées sont pratiquement inexistants. Quelques semi-professionnels produisent des œuvres cinématographiques pour le gouvernement du Québec. L’ONF devient donc la seule organisation assurant la survie du cinéma québécois. Un bon nombre de brillants cinéastes se joignent à l’ONF pendant les années 1950 : Louis Portugais, Michel Brault, Gilles Groulx et Claude Jutra, ainsi que plusieurs autres. Avec les vétérans de l’ONF, ils ont enfin des opportunités à la mesure de leurs talents.
Cette explosion de films canadiens-français est le résultat de trois développements. Premièrement, l’ONF déménage d’Ottawa à Montréal en 1956, ce qui permet aux cinéastes québécois de vivre et de travailler au Québec. Deuxièmement, en 1957, l’attention publique se concentre sur la situation des cinéastes francophones, qui ne bénéficient pas des mêmes opportunités que leurs collègues anglophones. En conséquence, les productions francophones et anglophones sont séparées sur les plans administratif et financier. Ultimement, ceci donne lieu à la création d’un studio francophone distinct à l’ONF. Troisièmement, la télévision exige de grandes quantités de matériaux. Le divertissement populaire et l’innovation artistique reçoivent autant de soutien que les films destinés aux départements gouvernementaux et aux institutions scolaires. On trouve par exemple la série Passe‑Partout (1955 à 1957), les 26 épisodes de la série dramatique Panoramique (1957 à 1959), un symbole du cinéma de fiction québécois, et la série Temps présent, de la fin des années 1950 et début des années 1960.
Les cinéastes repoussent également les limites technologiques de leur équipement. Ils tentent d’améliorer leur capacité à capter les sons et les images naturels, lors de tournages en extérieur. En 1958, Michel Brault et Gilles Groulx réalisent Les Raquetteurs. Ce film est socialement important puisqu’il témoigne de l’éveil du Québec. Il est aussi technologiquement remarquable en tant qu’étape déterminante dans l’évolution du cinéma direct, un genre documentaire qui fusionne les progrès technologiques (par exemple, caméras légères et son synchronisé) avec des aspects idéologiques et sociaux. Le cinéma direct est mené par des cinéastes québécois comme Michel Brault ainsi que par la série Candid Eye de l’ONF.
Cette période en est une de profond changement social. Maurice Duplessis meurt en 1959. Les Libéraux sous Jean Lesage accèdent au pouvoir en 1960 et la Révolution tranquille commence. Les Canadiens-français deviennent des Québécois, et le cinéma contribue à exprimer ce changement. Au‑delà de ses scènes pittoresques, le film Les Raquetteurs souligne l’appartenance à une communauté nationale. Le début des années 1960 accélère le développement du cinéma québécois, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’ONF. Des cinéastes comme Michel Brault, Pierre Perrault, Claude Jutra, Pierre Patry et Fernand Dansereau sont avides de nouvelles directions.
En 1963, une nouvelle ère débute à l’intérieur et à l’extérieur de l’ONF avec deux films clés : Pour la suite du monde (1963), un documentaire de Pierre Perrault et Michel Brault, et À tout prendre (1963), un long métrage de fiction autobiographique de Claude Jutra. Le premier film marque une nouvelle étape majeure dans l’évolution du cinéma direct, grâce à sa technique et à l’importance qu’il accorde à la parole. Le second film, une déclaration personnelle de Claude Jutra, est un exemple des films réalisés par les cinéastes nationalistes du monde entier. Le Chat dans le sac (1964) de Gilles Groulx figure parmi les meilleurs films tournés à l’époque sur la jeunesse bourgeoise. Le prolifique Jean‑Pierre Lefebvre réalise Le Révolutionnaire (1965), fable‑commentaire de la société. Gilles Carle, qui est à l’ONF depuis 1961, travaille alors sur son premier long métrage, une comédie intitulée La Vie heureuse de Léopold Z (1965).
La compagnie privée Coopératio tente de relancer l’industrie. Son directeur, le réalisateur Pierre Patry, tourne Trouble‑fête en 1964. En l’espace d’à peine un an, il tourne trois autres films. D’autres s’essaient également au long métrage, en travaillant en privé ou pour l’ONF, ou encore pour le gouvernement du Québec. On y trouve par exemple Arthur Lamothe, Denys Arcand, Richard Lavoie, Anne Claire Poirier, Jacques Godbout, Bernard Gosselin, Georges Dufaux, Clément Perron et Jean‑Claude Labrecque, entre autres. La fermentation et le changement se produisent dans tous les domaines des arts. Les formats de films évoluent pour répondre aux besoins des cinéastes. Le cinéma direct dans toutes ses variantes, du film d’auteur (documentaire ou docudrame) à tous les genres de films commerciaux, fait l’objet de nombreux essais.
Pendant cette période, Pierre Perrault domine le cinéma direct avec sa saga sur la communauté de l’île aux Coudres. En collaboration avec Michel Brault et Bernard Gosselin, ses caméramans, il espère non seulement observer et filmer l’éveil de la nation québécoise, mais aussi y jouer un rôle. Toutefois, le cinéma direct ne se limite pas qu’à des sujets nationalistes. Certains producteurs veulent appliquer ces techniques aux films d’action sociale (voirJustice sociale). Un bon nombre de ces efforts se déroulent dans le cadre du programme Société nouvelle de l’ONF (équivalent francophone de Challenge for Change). Ceci implique le fait de filmer des communautés marginalisées, et souvent avec la participation des sujets eux-mêmes. Le programme fait ses débuts en 1968 avec St‑Jérôme de Fernand Dansereau, et dure plus d’une décennie. D’autres cinéastes de l’ONF se concentrent sur les droits des travailleurs. L’extraordinaire On est au coton (1970) de Denys Arcand est victime de censure politique pendant six ans. D’autres réalisateurs (notamment Fernand Dansereau, et plus particulièrement Arthur Lamothe) quittent l’ONF pour travailler plus librement. Le Mépris n’aura qu’un temps (1970) d’Arthur Lamothe est un récit sur l’exploitation des travailleurs qui fournit une analyse économique, sociale et politique sans précédent.
Entre l’approche de Pierre Perrault et celle des films militants, plusieurs autres formes de cinéma direct prennent naissance. Ils ne sont unis que par leur technique et leurs méthodes. Ce genre de film progresse constamment vers l’avant‑plan. Le réalisateur-caméraman Jean‑Claude Labrecque compte parmi les figures significatives de la fin des années 1960 et début des années 1970. Il a le talent de saisir l’atmosphère et l’importance d’un événement, et de donner au spectateur l’impression de se trouver sur les lieux. Ces qualités se voient particulièrement dans La Visite du général de Gaulle au Québec (1967) et La Nuit de la poésie (1970).
Organisation de l’industrie
Au cours des années 1960, la communauté cinématographique du Québec commence à se structurer. Les producteurs créent leur association professionnelle (Association des producteurs de films du Québec) en 1966. Les techniciens fondent leur propre union (Syndicat national du cinéma) en 1969. L’Association professionnelle des cinéastes est aussi formée et quelques années plus tard, elle publie le manifeste radical Le cinéma : autre visage du Québec colonisé (1971). Cependant, l’organisme fait faillite en 1972. L’année suivante, les cinéastes fondent l’Association des réalisateurs de films du Québec.
Le gouvernement du Québec modernise sa législation et ses structures. Il transforme son bureau de censure en « Bureau de surveillance du cinéma » et son comité cinématographique en « Office du film du Québec ». Après la création de la Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne (SDICC) en 1967 (aujourd’hui Téléfilm Canada), les cinéastes font pression sur le gouvernement provincial afin de créer une loi sur le cinéma ainsi qu’une société similaire de financement de films. Par conséquent, l’Institut québécois du cinéma (IQC) est fondé en 1975. La Loi sur le cinéma est votée par le gouvernement libéral et appliquée par le Parti québécois qui arrive au pouvoir en 1976.
Cet article est l’un de trois articles qui retracent l’histoire de l’industrie cinématographique au Québec. La série complète comprend :
Histoire du cinéma québécois : de 1896 à 1969; Histoire du cinéma québécois : de 1970 à 1989; Histoire du cinéma québécois : de 1990 à aujourd’hui
Voir aussi : Cinémathèque québécoise ; Histoire du cinéma canadien : de 1896 à 1938 ; Histoire du cinéma canadien : de 1939 à 1973 ; Histoire du cinéma canadien : de 1974 à aujourd’hui ; Histoire du cinéma canadien : cinéma régional et auteurs, de 1980 à aujourd’hui ; L’histoire du cinéma canadien en 10 étapes faciles ; Cinéma documentaire ; Cinéma d’animation ; Cinéma expérimental ; La distribution de films au Canada ; Office national du film du Canada ; Téléfilm Canada ; Les 10 meilleurs films canadiens de tous les temps ; Longs métrages canadiens ; Enseignement du cinéma ; Festivals du film ; Censure cinématographique ; Coopératives du film ; L’art de la production cinématographique.