Formation et carrière de journaliste
Détentrice d’une maîtrise en littérature de l’Université de Montréal, Colette Beauchamp amorce au début des années 1960 sa carrière de journaliste à Radio-Canada, tant à la télévision qu’à la radio. Après six ans, elle converge vers le domaine des relations publiques. Elle est relationniste pour différents organismes culturels et festivals, tels que le Ballet national du Canada, le Festival du film de Montréal, le Théâtre du Nouveau Monde et le Concours international de musique de Montréal, et associée au service des relations publiques du Festival mondial d’Expo 67 (qui se tient principalement à la Place des Arts, à l’Expo-Théâtre et à l’Autostade). En 1969, elle lance et dirige la publication Placedart, un calendrier culturel tiré à plus de 50 000 exemplaires qui fait la promotion des événements de la Place des Arts. Deux ans plus tard, elle est nommée à la direction du service de l’information et des services de la Place des Arts.
Au milieu des années 1970, Colette Beauchamp décide de retourner à Radio-Canada et d’y travailler comme journaliste et recherchiste, notamment à l’émission radiophonique d’affaires publiques Présent. À la fin des années 1970, elle est l’une des premières animatrices de l’émission Droit de parole à Radio-Québec (aujourd’hui Télé-Québec), qui se penche sur les débats et les enjeux de la société québécoise. En outre, elle fait du reportage à Radio-Canada, où elle traite de front plusieurs questions sensibles, comme la prostitution à Montréal. Elle collabore également à différents médias écrits, dont la revue Châtelaine.
La journaliste couvre la campagne référendaire de 1980 et « l’affaire des Yvettes ». Au cours de cet événement, elle donne la parole à des expertes et chercheuses féministes pour analyser la crise. Dans une entrevue accordée en 2009 à Yasmine Berthou et Josette Brun, elle mentionne combien elle était d’ailleurs frappée de constater à quel point les femmes étaient rarement sollicitées à l’époque à titre d’experte par les journalistes.
Engagement féministe
Bien qu’elle dit avoir « épousé le combat féministe au milieu des années 1970 », l’engagement de Colette Beauchamp dans le mouvement des femmes survient très tôt dans sa carrière. En 1960, elle est membre de la section montréalaise du Cercle des femmes journalistes (un organisme fondé en 1951) et, en 1965, elle fait partie avec Thérèse Casgrain du comité organisateur des fêtes du 25e anniversaire de l’obtention du droit de vote pour les femmes du Québec. En 1966, on la trouve parmi les signataires de la charte de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et elle fait partie du tout premier conseil d’administration de cet organisme aux côtés de Réjane Laberge-Colas, Monique Bégin et Simonne Monet-Chartrand.
De nombreuses femmes journalistes jouent un rôle crucial dans l’histoire de la FFQ. Comme le souligne l’historienne Flavie Trudel, ces dernières contribuent à « orienter de l’intérieur la FFQ, […] dès les premiers jours de la Fédération [et à] rendre l’organisme visible sur la scène publique ». Parmi ces femmes journalistes se trouve notamment Fernande Saint-Martin, directrice des pages féminines du journal La Presse(de 1954 à 1960) et éditorialiste de la revue Châtelaine (de 1960 à 1972), Jeanne Sauvé, alors journaliste à Radio-Canada et au Montreal Star, Françoise Stanton, journaliste et animatrice d’affaires publiques à Radio-Canada ainsi que Solange Chaput-Rolland, journaliste et commentatrice politique.
Au milieu des années 1970, Colette Beauchamp s’engage au sein du Regroupement des femmes québécoises (RFQ), un groupe de pression néoféministe dont l’objectif est de soutenir des actions de masse (voir Mouvements des femmes au Canada : 1960 à 1985). Déçues de la position du chef du Parti québécois et premier ministre du Québec René Lévesque sur le droit à l’avortement, plusieurs militantes quittent les différents comités de la condition féminine et forment le RFQ. En 1978, lors du premier congrès d’orientation de ce mouvement, Colette Beauchamp est élue au comité de coordination. Très vite, le RFQ se fait remarquer par ses actions d’éclat, notamment la création d’un Tribunal populaire sur le viol dont le mandat est de « dénoncer publiquement les formes d’agression corporelle infligées aux femmes, de recevoir, sélectionner et d’étudier les plaintes et de soutenir les femmes qui acceptent que leur cause soit utilisée publiquement » (voir Agression sexuelle). La tenue de ce Tribunal en juin 1979 fait grand bruit, réunissant plus de 750 femmes et contribuant à faire de la question de la violence envers les femmes un enjeu majeur de la scène féministe. Le RFQ appuie aussi l’auteure Denise Boucher face à la censure de groupes catholiques de sa pièce Les fées ont soif (présentée au Théâtre du Nouveau Monde en 1978) et dénonce le peu de place qu’occupent les enjeux féministes dans la campagne référendaire de 1980 en invitant les femmes à annuler leur vote.
Dans les années 1980, Colette Beauchamp collabore à plusieurs numéros de La vie en Rose, un magazine d’actualité féministe publié jusqu’en 1987. Comme journaliste pigiste, elle prête sa plume à la traduction d’un ouvrage sur l’attachement parent-enfant (1983) et à la rédaction d’un rapport sur les conditions de travail des infirmières et des infirmiers du Québec (1989).
L’essayiste : Le silence des médias
En 1987, Colette Beauchamp publie un essai qui fera beaucoup de bruit et qui continue d’être à ce jour une référence en analyse féministe des médias. Intitulé Le silence des médias : les femmes, les hommes et l’information, l’ouvrage dénonce les valeurs masculines des agences de presse (voir aussi Propriété des médias), le peu de femmes dans les sphères décisionnelles, la répartition des sujets journalistiques en fonction des sexes (société et éducation pour les femmes, économie et politique pour les hommes) ainsi que l’absence des femmes de l’information en général.
Au milieu des années 1980, alors qu’elle amorce la rédaction d’une biographie sur la journaliste Judith Jasmin, Colette Beauchamp réalise qu’elle doit d’abord réfléchir sur sa propre expérience de journaliste et de femme. Dans l’entrevue accordée à Berthou et Brun (2009), elle précise : « J’avais tant de choses à dire qu’il y aurait eu un risque que je me serve de cette biographie pour exprimer mes propres idées et nos féminismes étaient différents […] Bien sûr, elle [Judith Jasmin] a participé aux premières marches à New York pour l’affirmation des femmes, mais son féminisme était tout à fait concordant avec celui de l’époque, se limitant surtout à la question de l’égalité salariale ».
La biographe : Judith Jasmin, 1916-1972. De feu et de flamme
Sa biographie de Judith Jasmin, première Québécoise à faire du journalisme politique et international, est publiée en 1992. L’ouvrage est encensé par la critique et lui vaut les prix Maxime-Raymond (Institut d’histoire de l’Amérique française) et Victor-Barbeau (Académie des lettres du Québec). Fruit d’une longue analyse des archives personnelles de la journaliste et d’une série d’enquêtes orales menées auprès de ses parents, amis et collègues de travail, cette biographie retrace la vie tant personnelle que professionnelle de Judith Jasmin, soulignant la spécificité féminine de son sujet. Selon Colette Beauchamp, ce qui a fait « sa différence et [avait] fait d’elle le phare de sa propre génération et de celle qui a suivi, hommes et femmes confondus, mais que personne jusque-là n’avait décrypté : tout au long de sa carrière, elle avait de l’information sans se nier en posant sur le monde qu’elle observait un regard de femme, le sien ».
Contributions
Dans les années 1990 et 2000, l’engagement féministe de Colette Beauchamp se poursuit à travers ses écrits et ses prises de parole dans les médias et lors de différentes conférences publiques et universitaires. En 1994, à la suite du Forum pour un Québec féminin pluriel, elle rédige l’ouvrage Pour changer le monde, qui est publié aux Éditions Écosociété et en 1998, elle contribue à la rédaction du rapport du Conseil du statut de la femme Marcher sur des œufs : certains enjeux du féminisme aujourd’hui, issu d’un colloque tenu à l’Université du Québec à Montréal. En 2003, elle publie Du Québec à Kaboul : lettres à une femme afghane. Elle signe par la suite la préface de La télé cannibale de Michel Lemieux en 2004 et de la traduction d’un ouvrage réunissant les textes de Noam Chomsky et Robert W. McChesney, Propagande, médias et démocratie (trad. de Media Control: The Spectacular Achievements of Propaganda; Corporate Media and the Threat to Democracy) en 2005.
Non seulement les analyses minutieuses de cette journaliste, essayiste et militante féministe ont su attirer l’attention sur les inégalités et les stéréotypes liés au genre dans les médias québécois, mais ses prises de position et ses actions ont contribué à redonner une voix aux femmes sur des enjeux qui les concernent.
Publications
Le silence des médias : les femmes, les hommes et l’information (1987)
Judith Jasmin, 1916-1972. De feu et de flamme (1992)
Judith Jasmin (textes recueillis et présentés par Colette Beauchamp), Défense de la liberté (1992)
Du Québec à Kaboul : lettres à une femme afghane (2003)
Prix et distinctions
- Prix Maxime-Raymond (Judith Jasmin, 1916-1972. De feu et de flamme), Institut d’histoire de l’Amérique française (1992)
- Prix Victor-Barbeau (Judith Jasmin, 1916-1972. De feu et de flamme), Académie des lettres du Québec (1993)