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Conseil de la fédération

Le Conseil de la fédération (ou « Premiers ministres des provinces et territoires ») est l’organisme chargé des relations provinciales-territoriales de haut niveau au pays. Il est fondé en 2003 afin d’officialiser la Conférence annuelle des premiers ministres, tenue tous les ans entre 1960 et 2003. Bien que mettant surtout l’accent sur le gouvernement fédéral, le Conseil de la fédération sert aussi – de plus en plus – de forum séparé du gouvernement fédéral pour les relations provinciales-territoriales au Canada.
Conférence de Charlottetown
Les délégués des provinces se rencontrent à Charlottetown pour envisager l'union des colonies de l'Amérique du Nord britannique.

Origines

Les relations interprovinciales apparaissent peu de temps après la Confédération. Toutefois, l’ampleur des réunions officielles des premiers ministres est restreinte avant la Deuxième Guerre mondiale. En 1960, à l’arrivée au pouvoir de Jean Lesage, nouveau premier ministre du Québec, les premiers ministres provinciaux assistent à une réunion d’été à Québec (voir Gouvernement provincial au Canada). Cette réunion se répète d’année en année et, après 1982, inclut également les premiers ministres territoriaux en tant qu’observateurs, qui deviendront à partir de 1991 membres à part entière.

L’événement, à l’origine, est en quelque sorte un rassemblement social donnant l’occasion aux premiers ministres de faire connaissance. Au fil du temps, cependant, il se révèle particulièrement utile, si bien que les premiers ministres choisissent d’en faire une tradition annuelle. La Conférence annuelle des premiers ministres s’officialise graduellement, en venant à inclure un ordre du jour négocié à l’avance, ainsi que des travaux en cours. Les négociations constitutionnelles et certains autres accords intergouvernementaux offrent des possibilités réelles, pour les provinces et les territoires, d’exprimer leur opinion. On notera, par exemple, que la déclaration d’Edmonton de 1986 et celle de Calgary de 1997, qui définissent la place du Québec au sein de la fédération, émanent toutes deux de conférences annuelles des premiers ministres (voir Histoire constitutionnelle).

Daniel Johnson (fils)
Johnson lors du congr\u00e8s la chefferie du Parti libéral du Québec, 16 mars 2013

L’idée d’un organe plus formel pour les relations intergouvernementales avait déjà été suggérée par le passé, mais ces propositions impliquaient généralement le gouvernement fédéral (voir Conférence des premiers ministres). L’idée d’un organisme chargé exclusivement des relations provinciales-territoriales émerge de façon plus concrète pendant le mandat de Daniel Johnson (fils) comme premier ministre du Québec (1994). C’est le parti libéral du Québec qui lui donne de l’élan avec son rapport Pelletier, qui préconise la mise en place d’un Conseil de la fédération quasi constitutionnel.

Benoît Pelletier et le Premier ministre du Québec Philippe Couillard
Charest, Jean
Premier ministre du Québec (avec la permission du gouvernement du Québec).\r\n \r\n\r\n

Lors de la formation d’un gouvernement libéral au Québec en 2003, Jean Charest, nouvellement élu, salue avec enthousiasme l’idée d’un organe officiel de gestion des relations provinciales-territoriales. Les efforts de Jean Charest, combinés à ceux d’autres premiers ministres canadiens, débouchent sur la signature de l’entente sur le Conseil de la fédération en décembre 2003. Le Conseil mis sur pied en 2003 diffère à certains égards des recommandations plus ambitieuses contenues dans le rapport Pelletier, maintenant une prise de décisions par consensus caractéristique des instances intergouvernementales canadiennes.

Fonction

Le Conseil s’est réuni deux fois par an presque chaque année depuis 2004. La pièce maîtresse de son travail est la réunion d’été, dont la juridiction hôte sert de président pour l’année entière. L’autre réunion annuelle se tient généralement en hiver, bien que l’on ait vu, certaines années, jusqu’à cinq réunions du Conseil.

Les réunions des premiers ministres sont prises en charge par différents groupes de travail, par l’intermédiaire desquels les fonctionnaires gouvernementaux poursuivent leurs travaux entre les réunions officielles. La réunion d’été se veut un forum pour la publication de rapports sur les travaux effectués et l’annonce des projets à venir.

Le Conseil a deux principaux objectifs, soit celui de présenter une position provinciale-territoriale unanime devant le gouvernement fédéral, et celui de faciliter la collaboration entre les provinces et les territoires dans leurs domaines de compétence respectifs. Les secteurs de concentration du Conseil pendant une période donnée dépendent des intérêts des premiers ministres et, de façon plus critique, de ceux du premier ministre du Canada. Bien qu’Ottawa ne joue aucun rôle officiel au sein du Conseil de la fédération, le gouvernement fédéral a quand même un impact indéniable sur son ordre du jour.

Répercussions

Le Conseil de la fédération sert de forum utile pour présenter un front uni au premier ministre fédéral Paul Martin en 2004, lors des négociations sur le financement de la santé (voir Politique sur la santé). Les premiers ministres provinciaux voient comme une grande victoire les accords de dix ans qui en découlent. En revanche, c’est au chapitre de la réforme de la péréquation, en 2006, que le Conseil a du mal à parvenir à un consensus, pour des raisons inhérentes à la fédération canadienne (voir « Difficultés », plus bas).

Paul Martin
Le très honorable Paul Martin, ancien premier ministre du Canada et ancien chef du Parti libéral du Canada, 2003-2006 (avec la permission du Parti libéral du Canada).
Cérémonie d
Le très honorable Stephen Harper, à gauche, fut assermenté le 6 février 2006 à Rideau Hall; il devenait le 22e premier ministre du Canada (photo du sgt Éric Jolin; avec la permission de Rideau Hall).

La période de 2006 à 2015 pose certains défis aux premiers ministres, avec le gouvernement de Stephen Harper qui a tendance à éviter autant que possible les relations multilatérales avec les provinces, leur préférant des relations bilatérales (avec certaines exceptions). En l’absence d’un partenaire fédéral disposé à s’engager au niveau intergouvernemental, le Conseil se penche sur les questions que les provinces et les territoires peuvent résoudre par leurs propres moyens. Le remplacement, en 2017, de l’Accord sur le commerce intérieur par l’Accord de libre-échange canadien est par exemple le fruit d’une longue décennie de travail entre les provinces et les territoires pour éliminer les obstacles au commerce intérieur. De même, peu de temps après l’élection de 2015, le gouvernement fédéral libéral annonce son intention de collaborer avec les gouvernements des provinces et des territoires relativement à l’achat en vrac de médicaments d’ordonnance; c’est là l’aboutissement de cinq ans de travail par les premiers ministres par l’entremise du Conseil de la fédération.

Grâce à la large portée de la compétence provinciale, les premiers ministres provinciaux disposent de tout un éventail de possibilités d’action. Ainsi, le Conseil de la fédération est en mesure d’aborder une multitude de sujets, qu’il s’agisse d’économie, de changement climatique, detoxicomanie ou encore de transmission de l’énergie. À l’occasion, une coopération productive sur certains dossiers s’est vue éclipsée par un désaccord sur d’autres. Une telle dynamique dépend en grande partie du bon fonctionnement du fédéralisme au Canada.

Le Conseil de la fédération voit également son rôle évoluer au fil du temps en ce qui concerne les relations avec les Autochtones. Entre 2004 et 2016, les premiers ministres se réunissent chaque année avec les dirigeants d’organisations autochtones nationales, avant la tenue de la réunion d’été du Conseil. En 2017, les dirigeants de l’Assemblée des Premières Nations, de l’Inuit Tapiriit Kanatami et du Ralliement national des Métis boycottent la réunion, estimant avoir droit à une place à la table de négociation, à titre de participants à part entière. Cela représenterait un changement fondamental dans les relations intergouvernementales canadiennes. D’ailleurs, il reste à voir comment évoluera la relation entre les premiers ministres et les organisations autochtones nationales (voir aussi Autonomie gouvernementale des Autochtones).

Difficultés

Le Canada est sans aucun doute l’une des fédérations les plus décentralisées au monde, ses provinces jouissant d’une grande autonomie. Cela crée une dynamique fédérale-provinciale-territoriale unique, dans laquelle les gouvernements provinciaux et territoriaux se méfient constamment des intrusions fédérales dans leurs domaines de compétence respectifs. La nature conflictuelle d’un gouvernement parlementaire contribue à alimenter cette dynamique, étant donné que les acteurs politiques sont habitués à un système qui ne favorise pas nécessairement la mise en place de coalitions. De plus, par comparaison avec d’autres fédérations, le Canada ne compte que très peu de mécanismes juridiques ou constitutionnels pour la résolution des conflits intergouvernementaux. Ce sont les acteurs exécutifs, plutôt que les législatifs, qui mènent généralement les interactions des différents gouvernements. Faisant allusion à cette dynamique, le politicologue Donald Smiley a inventé le terme « fédéralisme exécutif » pour décrire les relations intergouvernementales canadiennes.

Au sein du Conseil de la fédération, cela se manifeste non seulement dans la façon dont les premiers ministres interagissent avec le premier ministre, mais aussi dans la façon dont ils interagissent les uns avec les autres. Les gouvernements des provinces et des territoires se méfient parfois autant des actions concertées d’autres provinces et territoires que de l’intrusion fédérale. On constate régulièrement cette méfiance lors des réunions du Conseil. L’inconvénient d’un forum aussi régulier et public que le Conseil de la fédération, pour les relations intergouvernementales, est que l’ordre du jour peut facilement être accaparé par les désaccords du jour. Ainsi, depuis 2003, le Conseil a été le théâtre de désaccords bien connus, plus particulièrement en ce qui concerne la péréquation, le changement climatique et la transmission de l’énergie. De tels dossiers s’articulent souvent autour de premiers ministres particuliers, bien que la réalité soit généralement ancrée bien plus profondément. En effet, la position prise par les gouvernements des provinces et des territoires est façonnée par leur contexte individuel. Dans un pays aussi vaste et diversifié que le Canada, ces contextes peuvent parfois créer des intérêts divergents. Les facteurs qui font du Canada une fédération véritable peuvent à l’inverse créer des obstacles à l’unification des positions des provinces et des territoires, que les premiers ministres se réunissent ou non sous les auspices du Conseil de la fédération.

Aujourd’hui, le Conseil fait néanmoins partie intégrante du paysage intergouvernemental canadien, du fait de sa contribution régulière aux travaux en cours. Les réunions du Conseil de la fédération attirent toujours l’attention des médias et peuvent inciter le gouvernement fédéral à réagir, comme cela s’est produit avec Paul Martin sur la santé en 2004 et avec Stephen Harper sur les changements à la formation liée au marché du travail en 2013. Le Conseil de la fédération, à défaut de bouleverser complètement la dynamique intergouvernementale, a certainement créé un nouvel espace utile pour la gestion des relations entre les provinces et les territoires.