De 1838 à 1841, le Bas-Canada est gouverné par le Conseil spécial, un organe politique « autoritaire ». Institué à l'origine pour donner au gouvernement britannique le temps de comprendre pourquoi la population pacifique du Bas-Canada s'était rebellée et de recueillir l’information pertinente lui permettant de prendre une décision éclairée quant à l'avenir de la colonie, le Conseil spécial adopte d'importantes ordonnances visant à élargir le rôle de l'État dans la colonie et à améliorer les infrastructures générales de celle-ci. Le conseil est dissous le 10 février 1841 pour laisser la place à l'union des Canadas.
Origines, création et pouvoirs
Dans les semaines qui suivent la rébellion du Bas-Canada de 1837, le gouvernement britannique tente de comprendre ce qui se passe dans sa colonie nord-américaine. Le Cabinet britannique ne comprend pas pourquoi la population pacifique du Bas-Canada s'est révoltée, ni pourquoi l'administration coloniale s’est retrouvée paralysée. Ainsi, il ne dispose pas des informations pertinentes lui permettant de prendre des décisions éclairées quant à l'avenir de la colonie. Le 10 février 1838, il suspend l'Acte constitutionnel de 1791, dissout l'Assemblée législative et met en place le Conseil spécial ayant pour mandat de diriger la colonie, et ce, dans le but d'arriver à comprendre ce qui se passe dans sa colonie rebelle.
Le conseil obtient les pouvoirs de l'Assemblée législative et du Conseil législatif. Il doit adopter des ordonnances visant à rétablir la paix et la tranquillité dans la colonie et à assurer les droits et les libertés de tous ses habitants. Puisque les processus politiques officiels sont suspendus, il n’y aurait donc pas d’élections ou d’assemblée locale élue et le conseil n'a pas à se soucier de l'opinion de la population locale. Il peut ainsi adopter toute mesure jugée nécessaire, à condition qu'elle ne modifie pas les lois et la constitution de la colonie et qu'elle n'impose pas de nouvelles taxes ou redevances à la population de celle-ci. Pour cette raison, de nombreux contemporains, puis de nombreux historiens, pensent que le Conseil spécial est « autoritaire », « tyrannique », et « répressif ». Ils soutiennent aussi qu'il abuse de ses pouvoirs lorsqu'il supprime plusieurs libertés civiles et censure même des journaux qui s'y opposent. En tout, trois gouverneurs généraux présideront le Conseil : sir John Colborne, lord Durham et Charles Poulett Thomson.
Premier conseil de Colborne
John Colborne est le premier gouverneur à diriger le Conseil spécial. Son premier conseil se réunit du 18 avril au 5 mai 1838. Il était prévu que son mandat allait être court, car lord Durham avait déjà été désigné comme nouveau gouverneur de la colonie. Colborne doit donc s'occuper du conseil avant l'arrivée de ce dernier au Bas-Canada. Il doit d'abord choisir ses conseillers. La plupart des 22 individus sélectionnés ont beaucoup d'expérience en politique et comptent parmi les hommes d'affaires de premier plan de la colonie. Certains d'entre eux, notamment Peter McGill, John Molson et Turton Penn, ont autre chose en commun : ils font partie d'un groupe nommé les constitutionnalistes, une tendance qui se prolonge tout au long de l'histoire du Conseil spécial. À la fin des années 1830, le constitutionnalisme est un point de ralliement important pour les Canadiens d'origine britannique. Plutôt radicaux, les constitutionnalistes du Comité spécial sont très hostiles à l'égard des patriotes et souhaitent assimiler les Canadiens français grâce à l'union des Canadas.
Puisque le conseil de Colborne est le premier à se réunir après la rébellion, il a pour objectif principal de gérer la suite des choses et de prévenir toute autre révolte. Ainsi, la majorité des 26 ordonnances adoptées par le conseil traitent de cette question. Par exemple, le conseil suspend l'habeas corpus pour tous les prisonniers soupçonnés de trahison, protège les civils ayant combattu les rebelles d'être accusés d'autojustice, et interdit aux journaux de la colonie de publier des articles faisant la promotion d'activités rebelles. En raison de l'arrivée imminente de lord Durham, Colborne proroge son conseil le 5 mai 1838.
Conseil de Durham
Bien qu'on se souvienne surtout de lord Durham pour sa mission et son rapport controversé, celui-ci préside le Conseil spécial du 28 juin au 31 octobre 1838. Pour commencer, il dissout le conseil de Colborne et sélectionne ses propres conseillers. Contrairement à Colborne, il choisit des représentants britanniques, et non des membres de l'élite locale. Il assure la population locale du bien-fondé de cette décision : il ne voulait pas que son conseil soit associé avec un parti ou une « race ». Le conseil de Durham n'adopte pas autant d'ordonnances inédites que ceux de Colborne et de Thomson. Toutefois, il adopte l'une des mesures les plus controversées.
Surnommée « ordonnance des Bermudes », cette mesure vise à résoudre le problème causé par le grand nombre de prisonniers au Bas-Canada à la suite de la rébellion. Comment doit-on s'occuper des prisonniers? Devraient-ils être punis sévèrement ou traités avec clémence? La solution de Durham consiste à exiler tous les prisonniers ayant joué un rôle d'avant plan lors de la rébellion des patriotes et de permettre aux autres de retourner chez eux. De plus, certains patriotes s'étant exilés aux États-Unis seraient passibles de la peine de mort s'ils retournaient au Bas-Canada. Les ordonnances sont bien accueillies au Bas-Canada, mais en Grande-Bretagne, lord Brougham et lord Ellenborough, ennemis de Durham, contestent sa légalité et sa constitutionnalité. Ils avancent que Durham envoie les prisonniers dans une colonie sur laquelle il n'a aucune autorité et qu'il a adopté une nouvelle loi pénale. L'ordonnance est abrogée en août 1838. À la suite de ces attaques, Durham quitte prématurément ses fonctions en octobre 1838, car il considère que son poste et son autorité sont à ce point affaiblis que sa présence au Bas-Canada ne donnerait plus grand-chose.
Deuxième conseil de Colborne
À la suite du départ de Durham, Colborne revient présider le Conseil spécial. Son deuxième mandat s'échelonne du 5 novembre 1838 au 13 avril 1839. Il doit à nouveau composer avec une rébellion (la rébellion du Bas-Canada de 1838) et agir par intérim en attendant l'arrivée du nouveau gouverneur Charles Poulett Thomson. Il reconduit tous ses anciens conseillers et, après s'être occupé des séquelles de la rébellion, son conseil adopte des ordonnances visant à améliorer les infrastructures de la colonie. Par exemple, il investit dans l'économie et le commerce de la colonie en finançant l'approfondissement du lac Saint-Pierre ainsi que l'achèvement et la construction de bon nombre de routes, de ponts et de canaux, dont le canal de Chambly. Il investit aussi dans le système d'éducation de la colonie en finançant divers collèges comme le Collège de Chambly et le Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière.
Plus important encore d'après de nombreux historiens, il érige les fondements qui mènent au démantèlement du régime seigneurial. En avril 1839, le conseil adopte une ordonnance qui constitue le Séminaire de Saint-Sulpice (voir Sulpiciens) en une société ecclésiastique, confirmant ses droits sur ses terres du district de Montréal. Toutefois, cette confirmation est assortie d'une condition importante : si, à tout moment, une personne vivant sur les terres dont le séminaire est propriétaire souhaite se libérer du fardeau seigneurial, le séminaire doit le libérer selon quelques conditions financières. Le conseil adopte cette ordonnance en 1839, mais elle n'entre en vigueur qu'en 1840, car il n'avait pas le pouvoir d'adopter des lois ayant trait aux droits et aux terres du clergé. Le 13 avril 1839, Colborne remercie son conseil et le dissout.
Conseil de Thomson
Le 19 octobre 1839, Charles Poulett Thomson devient le dernier gouverneur à diriger le Conseil spécial. Son conseil a beaucoup plus de pouvoir : il peut désormais imposer de nouvelles taxes aux habitants de la colonie (à des fins locales) et peut même abroger ou modifier les lois de la colonie. Plusieurs de ses ordonnances ont ainsi des répercussions beaucoup plus profondes. Tout comme ses prédécesseurs, il choisit d'abord ses conseillers. Il garde les choses simples en invitant les conseillers de Colborne et en y ajoutant quelques nouveaux visages issus de l'élite politique et économique de la colonie, notamment Dominick Daly et Edward Hale. Le conseil de Thomson a été créé dans un seul but, soit l'adoption de l'Acte d'Union. Ainsi, lors de sa première réunion tenue le 11 novembre 1839, le conseil approuve le projet d'union avec le Haut-Canada. Des 14 conseillers présents au moment du vote, 11 votent en faveur de l'union. Seuls John Neilson, James Cuthbert et Jules Quesnel s'y opposent.
Une fois cette importante question traitée, le conseil de Thomson se penche sur l'adoption d'ordonnances visant à améliorer et à moderniser les infrastructures de la colonie. Par exemple, il inscrit dans la loi l'ordonnance de Colborne concernant le Séminaire de Saint-Sulpice (voir ci-haut). Ensuite, il adopte une ordonnance constituant les villes de Québec et de Montréal, ce qui, selon bon nombre d'historiens, établit les bases du gouvernement municipal dans la colonie. En gros, cette ordonnance crée des conseils municipaux élus ayant le pouvoir de lever des impôts et d'adopter des lois à des fins locales. Cette ordonnance est par la suite élargie à l'ensemble de la colonie. Enfin, il adopte une ordonnance visant à moderniser le régime d'enregistrement foncier inefficace et non réglementé. L'absence d'un régime d'enregistrement foncier efficace dans la colonie préoccupait la population britannique depuis des décennies. Par exemple, il n'y avait aucun moyen officiel et sûr de savoir si une propriété était déjà hypothéquée. L'ordonnance de Thomson met sur pied des bureaux d'enregistrement dans la colonie et exige l'enregistrement par écrit de toutes les transactions foncières.
Le 9 février 1841, le gouverneur remercie son Conseil spécial et le dissout pour la dernière fois. Le lendemain, l'Acte d'Union est adopté. Il unit le Bas-Canada et le Haut-Canada et rétablit le processus politique officiel.