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Transmetteurs en code cri

Les transmetteurs en code cri forment une unité d’élite chargée de mettre au point un système s’appuyant sur la langue crie pour sécuriser les communications militaires. Ils apportent une contribution d’une valeur inestimable aux Alliés pendant la Deuxième Guerre mondiale. Bien que leur travail n’ait été reconnu que récemment – en partie en raison du fait que ces hommes étaient tenus au secret –, ils ont protégé les Alliés occidentaux et soutenu leur victoire. En effet, l’ennemi ne parviendra jamais à percer le code.
Frères Tomkins
Charles Tomkins utilise le langage codé cri pendant la Deuxième Guerre mondiale. On le voit ici en compagnie de ses frères (de gauche à droite) en 1945 : John Smith, Henry, Peter, Charles et Frank.

Contexte historique

Malgré la discrimination raciale dont sont victimes les peuples autochtones dans les forces armées comme sur le front intérieur, on estime à 4 300 le nombre de soldats inuits, métis et des Premières nations qui s’enrôlent au Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale. Lorsque le pays entre en guerre en 1939, les Autochtones se portent volontaires par milliers. (Voir aussi Les peuples autochtones et les guerres mondiales.) Ils le font pour différentes raisons. Certains disent être attirés par des possibilités d’emploi ou être mus par un sentiment de nationalisme. D’autres encore estiment qu’en s’enrôlant, ils obtiendront plus facilement la pleine citoyenneté et l’équité juridique au Canada après la guerre; ils souhaitent également vivre une vie meilleure dans les réserves.

Les Autochtones qui s’enrôlent font face à des politiques de recrutement fondées sur la race, et la majorité se retrouvent dans l’Armée canadienne, plutôt que dans l’Aviation royale du Canada (ARC) ou la Marine royale canadienne (MRC). L’enrôlement dans l’ARC est réservé aux « sujets britanniques d’ascendance européenne pure » jusqu’en 1942. Du côté de la MRC, on n’accepte que les personnes « d’ascendance européenne pure et de race blanche », et ce, jusqu’en 1943.

Beaucoup, dans les communautés autochtones, s’opposent farouchement à la Loi sur la mobilisation des ressources nationales (LMRN) de 1940, qui permet au gouvernement fédéral de rendre obligatoires la formation et le service militaires. La LMRN autorise le gouvernement à s’approprier les biens et les services des Canadiens, y compris le service militaire, pour la défense du pays. De nombreuses Premières nations soutiennent être exemptées de cette obligation en vertu de traités antérieurs et de certaines autres ententes conclues avec la Couronne. (Voir aussi Conscription.) Toutefois, ce n’est qu’en 1944 que des exemptions limitées seront accordées aux recrues visées par les traités n° s 3, 6, 8 et 11, parce qu’on avait promis aux signataires de ces accords qu’ils ne seraient pas impliqués dans les guerres britanniques. (Voir aussi Traités numérotés.)

Les recrues autochtones qui participent à la guerre sont envoyées en Angleterre, où elles reçoivent leur affectation. Un petit groupe se voit alors informer qu’il devra se rendre à Londres en mission secrète. La plupart des membres du groupe sont convaincus qu’ils seront envoyés au combat sur le front de l’Ouest; ils ne tarderont pas à réaliser que leur mission est tout autre.

Recrutement de locuteurs de la langue crie

Le 22 août 1942, le quartier général de l’armée américaine et le quartier général de l’armée canadienne commencent à recruter des locuteurs de la langue crie déjà stationnés en Angleterre, afin d’utiliser cette langue pour camoufler les communications des Alliés.

D’après Charles Tomkins, ancien transmetteur en code cri, les Cris ne sont pas les seuls Autochtones à être recrutés pour cette mission. L’homme se souvient d’avoir vu une centaine de soldats autochtones amassés près du Q.G. de l’armée canadienne à Londres, parmi lesquels on a sélectionné des Cris, des Ojibwés et certains autres.

Bien que l’on ignore la raison officielle pour laquelle on choisit les Cris parmi tous les autres, certaines explications possibles ressortent du lot. Tout d’abord, un grand nombre de locuteurs de la langue crie sont disponibles, et leur langue est inintelligible pour les Allemands. Ensuite, de nombreux transmetteurs en code navajo dans l’armée américaine servent déjà dans le théâtre de guerre du Pacifique. Cela peut avoir créé, pour les locuteurs d’autres langues autochtones, un vide à combler dans le théâtre de guerre européen. Le fait que de nombreux soldats cris puissent s’exprimer couramment dans d’autres langues, comme l’anglais et le français, semble également constituer un avantage.

Fonctions des transmetteurs en code

Les messages traduits par les transmetteurs en code contiennent des renseignements vitaux sur les forces alliées, notamment des ordres de déplacement de troupes et l’identification des lignes d’approvisionnement ou des avions destinés à effectuer des bombardements depuis l’Angleterre. Les transmetteurs en code traduisent les messages en cri, puis les acheminent vers les champs de bataille européens; là-bas, un collègue les traduit à nouveau en anglais, pour enfin les envoyer aux commandants militaires.

Shirley Anderson, la nièce de Charles Tomkins, fournit dans un article qu’elle écrit pour le Readers Digest en 2017 quelques exemples de messages dans ce langage codé : iskotew (« feu ») était le code pour l’avion Spitfire, tandis que pakwatastim (« cheval sauvage ») faisait allusion à l’avion Mustang. 

Identité des transmetteurs en code

Malgré leur contribution d’une valeur inestimable aux efforts des Alliés pendant la Deuxième Guerre mondiale, les transmetteurs en code cri demeurent en grande partie non identifiés. La raison en est fort probablement que ces hommes sont tenus au secret pendant la guerre, et que le dévoilement d’informations à leur sujet n’est pas mis en priorité. Aux États-Unis, par contraste, l’histoire des transmetteurs en code navajo est assez bien connue. Elle est même racontée dans le film d’action La voix des vents (2002), mettant en vedette Nicolas Cage et Adam Beach.

Certains transmetteurs en code cri identifiés par Charles Tomkins incluent ceux qui servent à l’époque dans son cercle immédiat : Walter McDermott, Peter Tomkins (son frère), John Smith (son demi-frère) et Archie Plante (son ami).

Recherche émergente

Une grande partie des informations que nous détenons aujourd’hui au sujet des transmetteurs en code cri sont révélées en 2003, lorsque Charles Tomkins accorde une entrevue au Smithsonian National Museum of the American Indian dans le cadre d’une exposition intitulée Native Words, Native Warriors, portant sur les célèbres transmetteurs en code navajo.

Les chercheurs ont consulté des dossiers déclassifiés de l’armée canadienne concernant la mission secrète confiée aux transmetteurs en code cri. Bien que des archives militaires existent et soient accessibles, Charles Tomkins pourrait très bien être le dernier, parmi ses camarades, à savoir sur quoi portait cette opération secrète.

En 2016, deux cinéastes autochtones, Alexandra Lazarowich et Cowboy Smithx, présentent pour la première fois aux Canadiens l’histoire de Charles Tomkins. Leur court documentaire, Cree Code Talker, qui met en lumière l’histoire de Charles Tomkins, présente des séquences audio de son entrevue avec le Smithsonian, de même que des images de deux de ses frères parlant de lui.

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