Critique théâtrale de langue anglaise
La critique théâtrale sérieuse ne commence pas à émerger dans les grandes villes telles Toronto et Halifax avant la fin des années 1820, parce que l'irrégularité des représentations théâtrales dans un Canada colonial ne le justifie pas. La première référence journalistique à une représentation théâtrale à Halifax est publiée dans le Nova Scotia Gazette and Weekly Chronicle dès 1773. Mais comme les éditeurs de journaux dépendent fortement des réclames publicitaires payées et des contrats qu'ils font paraître pour survivre dans les colonies, les éditeurs sont réticents à s'aliéner les compagnies théâtrales en publiant des critiques négatives de leurs productions. Les journaux louent fréquemment les acteurs et les compagnies dont ils passent les réclames publicitaires beaucoup plus que ceux-ci ne le méritent réellement. Seuls quelques éditeurs de journaux à l'esprit indépendant qui écrivent aussi des critiques des représentations théâtrales - - comme William Lyon MACKENZIE au Colonial Advocate de York (Toronto) et Joseph HOWE au Novascotian (1827-1840) -- rompent avec cette pratique établie de la critique journalistique louangeuse qui est « gonflée » ou exagérée.
En 1850, l'augmentation de la population dans les villes comme Toronto (31 000 en 1851), l'amélioration des transports et la communication télégraphique avec le monde extérieur se traduisent par des compagnies attitrées permanentes et des journaux quotidiens qui font régulièrement la critique des représentations théâtrales. Des critiques tel Daniel Morrison au Daily Leader à Toronto (1854-1857) commencent à exercer une influence quantifiable sur le théâtre au sein de leur collectivité. Dans ses critiques des productions présentées au Royal Lyceum Theatre, à Toronto, Morrison évalue les capacités de jeu des acteurs principaux et secondaires, l'ensemble de la mise en scène et l'interprétation d'un scénario dramatique, le choix du répertoire de la compagnie, la conception scénique et les costumes, et il critique la compagnie lorsque ces éléments sont au-dessous de ses normes.
La faible importance du public de théâtre dans les villes canadiennes rend incertaine la survie même des compagnies professionnelles locales et des compagnies ambulantes. Au tournant du siècle, les critiques tels E. R. Parkhurst au Mail (1876-1898) et au Globe à Toronto (1898-1924), de Charles H. Wheeler (Winnipeg Daily Tribune), de Charles W. Handscomb (Manitoba Free Press) et de Harriet WALKER (Winnipeg Town Topics) se sentent obligés d'être les défenseurs - - aussi bien que les critiques - - du théâtre, de façon à promouvoir et à conserver la culture dans leur collectivité. Cela émousse souvent leur critique des productions médiocres.
À la fin des années 1890, le théâtre professionnel ambulant est largement contrôlé, en Amérique du Nord, par le monopole du syndic du théâtre à New York, lequel élimine pratiquement le théâtre professionnel canadien. Tandis que les critiques canadiens dans des villes comme Toronto et Montréal perdent leur pouvoir d'influence sur la production théâtrale locale, une poignée de critiques remarquables sont poussés à analyser des questions culturelles, esthétiques et politiques plus vastes. Hector Charlesworth, qui écrit dans des publications comme Saturday Night, le Evening News de Toronto et le Mail and Empire dans les années 1890, et B. K. Sandwell, dans le Montreal Herald (1900-1914), se font les champions du mouvement littéraire moderne et des dramaturges tels Ibsen, Shaw, Wilde et Pinero. Les deux voient le théâtre comme une grande influence civilisatrice, s'opposent à la censure des arts de la scène, critiquent les motifs lucratifs grossiers du théâtre américain et de la culture populaire, et discutent des implications politiques et culturelles du contrôle que les Américains exercent sur les scènes canadiennes. Leur sens aigu de la critique et leur profonde connaissance du théâtre britannique, américain et européen établit des normes pour les autres critiques comme Samuel Morgan-Powell au Montreal Star (1907-1942).
Formuler une vision d'ensemble du rôle que joue le théâtre dans un vaste contexte culturel distingue le critique du simple journaliste qui donne un compte rendu et se contente simplement de viser les mérites ou le manque de mérites d'une seule production. Les perceptions d'un critique, comme l'a suggéré Gina Mallet du Toronto Star, doivent être « filtrées par une philosophie, une façon de voir le monde. »
L'absence d'un théâtre professionnel canadien au cours de la première moitié du 20e siècle force les critiques tels Lawrence Mason au Globe et au Globe and Mail à Toronto (1924-1939), B. K. Sandwell au Saturday Night (1932-1951) et Herbert WHITTAKER au Montreal Gazette (1937-1949) à encourager fortement les compagnies canadiennes de théâtre amateur à améliorer la qualité artistique de leur jeu, de leur mise en scène, de leur conception scénique et de leur répertoire, et à inclure des dramaturges canadiens dans leur travail.
Après la Deuxième Guerre mondiale, le professionnalisme accru des compagnies comme Les Compagnons de Saint Laurent au Québec et la New Play Society à Toronto, ainsi que les compagnies professionnelles fraîchement fondées comme le FESTIVAL DE STRATFORD, le CREST THATRE et les Canadian Players dans les années 50, suivies par les théâtres régionaux qui émergent partout au pays dans les années 60, permettent aux critiques d'insister sur des normes artistiques beaucoup plus élevées que celles que l'on attendait auparavant des compagnies de théâtre amateur. Après la Deuxième Guerre mondiale, les critiques les plus influents sont : Nathan COHEN (à CJBC Views the Shows pour la radio de CBC, 1948-1956, au Toronto Telegram, 1957, et au Toronto Star, 1958-1971), Herbert Whittaker (Globe and Mail, 1949-1975), et Jaimie Portman (Calgary Herald, 1959-1975 et Southam News Service, 1975-1987).
Cohen insiste sur le rôle central du dramaturge canadien dans le théâtre professionnel qui commence à émerger, et sur le théâtre qui peut jeter une lumière à la fois sur la condition humaine et sur la société canadienne. Un point de vue aussi engagé socialement caractérise aussi les critiques d'Oscar Ryan écrites pour le journal communiste Canadian Tribune, sous le pseudonyme de Martin Stone de 1955 à 1981, et ensuite, jusqu'à sa mort en 1988, sous le nom véritable de Ryan.
En plus de critiquer le théâtre, Herbert Whitttaker contribue au développement du théâtre canadien en tant que metteur en scène, concepteur et membre des conseils d'administration des organisations artistiques nationales. Jaimie Portman, au Calgary Herald, stimule de façon critique l'évolution du théâtre allant du niveau semi-professionnel au niveau professionnel en Alberta. En tant que correspondant artistique national pour Southam News, Portman couvre les arts de la scène partout au pays, et se porte énergiquement à la défense de l'aide gouvernementale à la culture pendant la récession des années 80.
Pendant les années 70, l'augmentation substantielle des subventions gouvernementales accordées aux arts augmente grandement la production théâtrale professionnelle et la couverture journalistique des arts partout au pays. Des critiques tels Don Rubin au Toronto Star (1968-1972) et au Canadian Theatre Review (1974-1983), Christopher Dafoe et Max Wyman au Vancouver Sun (1968-1975 et 1975-1979), et Urjo Kareda au Toronto Star (1971-1975) soutiennent les compagnies politiquement et culturellement radicales qui émergent du mouvement théâtral alternatif, et soutiennent leur expérimentation stylistique et les nombreux dramaturges canadiens nouveaux qu'elles produisent. Marianne Ackerman, au Montreal Gazette (1983-1987), continue de réclamer un théâtre qui est expérimental par son style, socialement engagé, et qui procure un lieu d'échange où une collectivité peut discuter et revivre des expériences communes.
Certains critiques, tel Brian Brennan au Calgary Herald (1975-1988), sont beaucoup plus critiques à l'endroit des dramaturges et du travail nouveau qui émergent du mouvement théâtral alternatif. Gina Mallet, au Toronto Star (1976-1984), s'oppose avec véhémence au nationalisme culturel et aux subventions gouvernementales, persuadée que les deux favorisent l'apitoiement sur soi sur le plan artistique, plutôt que de promouvoir les normes et les valeurs artistiques universelles. Elle se fait plutôt la championne de la discipline prônant le libre marché du théâtre commercial, prenant Broadway, à New York, pour modèle. Ray Conlogue, au Globe and Mail (1978-1991), défend avec ferveur les subventions gouvernementales accordées aux arts, et critique plutôt le fait que les productions sont de plus en plus commanditées par les entreprises et l'influence des entreprises sur les conseils d'administration des arts, influence qui se traduit par des spectacles familiaux qui ne prêtent pas à controverse, ce qu'il appelle le « réalisme capitaliste ».
Tout comme Conlogue, Kate Taylor, qui est critique de théâtre au Globe and Mail depuis 1995, critique les compagnies comme le Festival de Stratford et le CANADIAN STAGE, à Toronto, parce qu'elles produisent des succès commerciaux britanniques et américains afin de financer leurs saisons. Taylor conteste aussi de façon critique le plus gros producteur commercial canadien, Garth DRABINSKY, en raison des coûts de production hypertrophiés de certaines des productions Livent, comme Sunset Boulevard en 1995. La faillite de Livent Inc trois ans plus tard élimine largement le modèle théâtral commercial de Broadway préconisé par Gina Mallet.
À la fin des années 90, il y a peu de critiques d'envergure nationale qui couvrent les arts de la scène, que ce soit dans la presse écrite ou dans la presse parlée. La plupart des journaux et des stations de radio limitent leurs critiques à ne couvrir que des productions locales et à procurer un simple compte rendu de consommateur, plutôt que de les encourager à examiner régulièrement des questions culturelles plus vastes.