En 1989, les Canadiens David Spencer et Christine Lamont sont jetés en prison pour l’enlèvement politique d’un riche homme d’affaires brésilien. Depuis leurs cellules de prison, ils clament leur innocence. Neuf ans plus tard, après avoir reconnu leur culpabilité, ils sont tous deux transférés dans des prisons canadiennes et libérés sur parole.
En 1989, deux jeunes Canadiens radicalisés, David Spencer et Christine Lamont, sont jetés en prison pour l’enlèvement politique d’un riche homme d’affaires brésilien. Depuis leurs cellules de prison à São Paulo, ils clament leur innocence et implorent Ottawa de les aider à échapper à leur peine de 28 ans d’emprisonnement. Neuf ans plus tard, après avoir reconnu leur culpabilité et présenté des excuses pour leurs mensonges, ils sont tous deux transférés dans des prisons canadiennes et libérés sur parole l’année suivante.
Amérique latine
David Spencer grandit à Moncton, au Nouveau‑Brunswick. Après l’école secondaire, il déménage à Vancouver, où il rencontre Christine Lamont, originaire de Langley, en Colombie‑Britannique, qui devient sa petite amie. On est alors au début des années 1980 et la guerre froide bat son plein. L’Amérique centrale est un champ de bataille politique et militaire entre les forces socialistes et les forces de droite, chaque camp étant soutenu par une des deux superpuissances étrangères. Christine Lamont étudie à l’Université Simon Fraser, et c’est notamment là qu’elle va, en compagnie de David Spencer, devenir une militante politique active de gauche à Vancouver. Les deux jeunes gens rencontrent des réfugiés fuyant le Salvador déchiré par la guerre ainsi que les membres du Frente Farabundo Martí para la Liberación Nacional (Front de libération nationale Farabundo Martí), le FMLN, un mouvement de guérilla qui lutte pour renverser la dictature militaire au Salvador.
Déterminés à contribuer à la cause salvadorienne, David Spencer et Christine Lamont déménagent à Toronto puis à Ottawa pour collaborer avec une organisation humanitaire d’aide au Salvador. Ils quittent ensuite le Canada pour s’installer au Nicaragua où ils travaillent dans une station de radio qui soutient le FMLN et s’impliquent de plus en plus fortement dans la cause politique et militaire du mouvement. (Ultérieurement, le couple sera accusé d’avoir suivi une formation dans un camp militaire au Nicaragua, une accusation que David Spencer a toujours rejetée.) Pendant leur séjour au Nicaragua, David Spencer, qui a alors 26 ans, et Christine Lamont, qui en a 30, sont recrutés pour participer à un plan visant à récupérer des fonds pour financer une offensive militaire du FMLN. Il s’agit d’enlever Abilio Diniz, un magnat brésilien du secteur de la grande distribution. Le rôle des Canadiens consiste à fournir une couverture en louant une maison à São Paulo, la plus grande ville du Brésil, où Abilio Diniz sera transféré après l’enlèvement.
Enlèvement
Dans une entrevue accordée à un journal plusieurs années après, David Spencer explique qu’on leur avait demandé au préalable si Christine Lamont et lui souhaitaient prendre une part active à cette opération au Brésil, sachant qu’il s’agissait d’un projet extrêmement délicat et dangereux dans lequel ils pouvaient risquer leur vie. Parmi les dix ravisseurs, on trouvera finalement, aux côtés des deux Canadiens, des Argentins, des Chiliens et un Brésilien.
L’enlèvement d’Abilio Diniz a lieu en décembre 1989 et l’otage est retenu captif dans une maison de la banlieue de São Paulo louée par le couple qui y habite. Les ravisseurs demandent une rançon de 30 millions de dollars américains. Six jours plus tard, alors que la police fait le siège de la maison où le richissime homme d’affaires est retenu, les ravisseurs le libèrent sain et sauf avant de se rendre. David Spencer et Christine Lamont sortent également et déclareront plus tard lors de leur procès, clamant leur innocence dans cette affaire, qu’ils ne savaient absolument pas qu’une personnalité célèbre était détenue dans la cave.
Allégations d’innocence
Tous les ravisseurs seront condamnés à des peines de prison. L’enlèvement d’Abilio Diniz se produit à un moment particulièrement sensible de l’histoire du Brésil. Le pays est alors à la veille de ses premières élections démocratiques depuis des décennies et l’une des questions politiques centrales animant le débat électoral porte sur la nécessité de combattre la criminalité endémique qui se manifeste notamment dans une série d’enlèvements en forme de règlements de comptes auxquels le Brésil est en butte. Les motifs de l’enlèvement du magnat brésilien de la grande distribution sont clairement d’ordre politique et non pas criminel, ce qui ne change pas grand‑chose pour les autorités du pays.
À l’origine, David Spencer est condamné à dix ans de prison et Christine Lamont à une peine de huit ans. Toutefois, en 1991, à la suite de l’échec d’un appel de leur condamnation initiale, ces deux peines sont portées à 28 ans à purger dans des prisons de haute sécurité pour hommes et pour femmes de São Paulo, des condamnations considérées comme extrêmement sévères même selon les normes latino‑américaines. Les autorités refusent tous les recours légaux de semi‑liberté ou de transfert dans des prisons de sécurité moindre.
Au Canada, les familles Spencer et Lamont font pression sur le gouvernement canadien pour qu’il contribue à la libération de leurs enfants, qui font l’objet, selon elles, d’un déni de justice. Le Nouveau Parti démocratique (NPD), la CBC et d’autres médias au Canada prennent fait et cause pour les deux Canadiens, les décrivant comme des victimes du système judiciaire corrompu et rétrograde en vigueur au Brésil. Devant une photo des deux prisonniers, le député NPD Ian Waddell déclare : « Ce que je vois ici, ce sont deux jeunes gauchistes radicalisés jetés en prison dans des conditions infernales sur la base de preuves pour lesquelles ils n’auraient jamais été condamnés par un juge et un jury canadiens. »
Malgré le soutien de nombreuses personnes au Canada, le gouvernement conservateur du premier ministre Brian Mulroney refuse d’intervenir officiellement dans cette affaire. Alors que leur emprisonnement se poursuit, année après année, David Spencer et Christine Lamont continuent d’affirmer qu’ils n’ont rien à voir avec l’enlèvement d’Abilio Diniz.
Admission de culpabilité
En 1993, les batailles politiques et militaires en Amérique centrale sont pratiquement terminées. Cette année‑là, un bunker secret explose mystérieusement à Managua la capitale du Nicaragua, révélant un entrepôt d’armes anciennes et de nombreux documents émanant de plusieurs groupes de gauche révolutionnaires, notamment le FMLN. Parmi ces documents, on retrouve des photos des deux Canadiens ainsi que des papiers leur appartenant, notamment des passeports, des cartes de crédit, de fausses cartes de légitimation pour les médias et des lettres adressées à leur famille au Canada contenant des renseignements mensongers visant à dissimuler le voyage du couple au Brésil. Ces documents font naître, même parmi les partisans canadiens de David Spencer et Christine Lamont, de sérieux doutes quant à leur innocence.
En 1996, trois ex‑dirigeants du Movimiento de Izquierda Revolucionaria, un ancien groupe de guérilla chilien, déclarent à un magazine brésilien que ce sont eux qui ont orchestré l’enlèvement de l’homme d’affaires brésilien avec le FMLN. Après ces aveux publics qui libèrent apparemment les ravisseurs de leur engagement formel de ne pas parler de leurs crimes, David Spencer et Christine Lamont admettent leur culpabilité pour la première fois.
Peu après cette reconnaissance de culpabilité, David Spencer déclare au Telegraph‑Journal du Nouveau‑Brunswick, depuis sa cellule de prison : « J’ai effectivement commis un crime grave. Je l’ai fait pour des motifs strictement politiques… Cet enlèvement n’avait rien d’un geste héroïque; il n’y a rien là dont je puisse être fier, non absolument rien… Je souhaiterais présenter mes excuses à tous les Canadiens qui ont pu être induits en erreur par nos fausses déclarations d’innocence. »
Le retour au Canada
La reconnaissance par le couple de sa culpabilité embarrasse de nombreux Canadiens, particulièrement ceux qui avaient mené campagne pour sa libération sur la base de ses déclarations d’innocence. Bien que David Spencer ait précisé que sa famille connaissait depuis toujours la vérité quant à sa culpabilité, les parents de Christine Lamont, qui avaient conduit la campagne de soutien, prétendent, quant à eux, que leur fille n’a cessé de leur mentir au sujet de sa participation à cet enlèvement.
Cependant, cette reconnaissance de la vérité, même tardive, ouvre la voie à un retour au Canada. Avec l’aide du syndicat canadien des Travailleurs unis de l’automobile et de son homologue brésilien, et sous la pression du gouvernement libéral du premier ministre Jean Chrétien, David Spencer et Christine Lamont sont transférés au Canada en 1998 pour purger le restant de leur peine. Cette même année, le couple entreprend également une brève grève de la faim pour protester contre la poursuite de leur emprisonnement au Brésil, sans que l’on sache toutefois très bien le rôle qu’elle a pu jouer dans leur transfert au Canada.
Selon la loi canadienne, David Spencer et Christine Lamont peuvent presque immédiatement demander une libération sur parole après avoir déjà purgé un tiers de leur peine. De fait, en janvier 1999, après neuf ans de prison, ils sont libérés des prisons d’Abbotsford, en Colombie‑Britannique.