Le terme destinée manifeste (on traduit également le terme original anglais « Manifest Destiny » par « destin manifeste ») est utilisé pour la première fois en 1845 dans un article du journaliste new‑yorkais John O’Sullivan, dans le contexte de l’annexion par les États‑Unis de la République du Texas. On parle de destinée manifeste des États‑Unis pour faire référence à l’idée selon laquelle c’était leur droit, voire leur destin, à étendre leur territoire à l’ensemble de l’Amérique du Nord. À cette époque, des politiciens et des citoyens américains exhortent les États‑Unis à poursuivre leur expansion en prenant le contrôle de l’ensemble du territoire de l’Amérique du Nord britannique. Ils visent notamment la Province du Canada (auparavant composée du Haut‑Canada et du Bas‑Canada), le Nouveau‑Brunswick et la Nouvelle‑Écosse.
Contexte historique
À l’issue de la révolution américaine (1775‑1783), de nombreux Américains s’inquiètent de la persistance de la présence britannique en Amérique du Nord. Après la guerre de 1812 (1812‑1814), le sort des dernières colonies de l’Amérique du Nord britannique semble incertain. Ne formant pas collectivement une nation unique, elles sont vulnérables vis‑à‑vis d’une ingérence, voire d’une agression, des États‑Unis. Les tenants du concept de destinée manifeste sont convaincus que ces colonies pourraient être facilement intégrées au sein du régime américain.
En réaction, nombreux sont ceux, en Amérique du Nord britannique, qui préconisent une expansion territoriale vers l’ouest et vers le nord (voir également Terre de Rupert), ces régions ayant, du fait de leur éloignement, moins de chance d’être annexées par les États‑Unis. Durant la guerre civile américaine (1861‑1865), les Britanniques adoptent une politique officielle de neutralité. Cependant, ils s’emploient, en coulisses, à aider les États du Sud dans leur lutte contre le Nord. Certains journaux des États du nord de l’Union suggèrent que les territoires perdus au sud des États‑Unis pourraient être compensés par une expansion au Canada.
La destinée manifeste et le Canada
Les Nord‑Américains réagissent de manière diversifiée au concept de destinée manifeste. Certains saluent « l’émancipation » américaine de l’Amérique du Nord britannique. Cependant, d’autres, fidèles à l’Empire, maintiennent une tradition de soutien loyaliste à la Couronne, similaire à celui s’étant manifesté durant la révolution américaine.
En mars 1867, les États‑Unis achètent l’Alaska à la Russie, suscitant, au sein de la population canadienne, des craintes accrues vis‑à‑vis d’un expansionnisme américain. Toutefois, la menace d’une invasion américaine diminue avec la formation de la Confédération. Les politiques définies sous la houlette du premier ministre fédéral sir John A. Macdonald et du Parti conservateur contribuent également à éloigner un tel péril. En 1879, le gouvernement met en effet en œuvre la Politique nationale visant à protéger les fabricants canadiens de la menace de la concurrence américaine. Cette politique contribue également aux efforts du Canada pour s’étendre vers l’ouest et vers le nord. À ce chapitre, la prolongation du Chemin de fer du Canadien Pacifique et la Loi des terres fédérales de 1872, favorisant l’immigration et la colonisation de l’Ouest, représentent des éléments décisifs.
La notion de destinée manifeste des États‑Unis provoque l’émergence et un renforcement continu du sentiment d’identité nationale au sein des colonies de l’Amérique du Nord britannique, ce processus débouchant, en 1864, sur la Conférence de Charlottetown, puis, en 1867, sur la Confédération. Dans un contexte où la Grande‑Bretagne adopte des politiques de libre‑échange, les dépenses relatives à la défense et à l’administration des colonies de l’Amérique du Nord deviennent prohibitives. D’autres facteurs nourrissent également la volonté des Britanniques de réduire leur rôle dans les provinces canadiennes. Il s’agit notamment de l’émergence de gouvernements responsables dans les deux Canadas, de l’abrogation des lois sur les céréales, en 1846, et de la défaite de l’armée confédérée aux États‑Unis, en 1865.
Portée
Le concept de destinée manifeste occupe une place centrale dans le colonialisme du 19e siècle en Amérique du Nord. Il joue un rôle important dans les efforts du Canada pour s’étendre vers l’ouest et vers le nord et pour coloniser les provinces des Prairies et l’Arctique. La solution à la menace d’un expansionnisme américain s’est avérée être… un expansionnisme canadien!
La notion de destinée manifeste illustre finalement l’histoire imbriquée du Canada et des États‑Unis en tant que pays ayant émergé après la colonisation de l’Amérique du Nord par les Britanniques. Elle devient un thème récurrent des efforts pour dessiner les similitudes et les différences entre Canadiens et Américains. Dans les deux pays, les peuples autochtones, qui ont été disloqués, ont perdu leur souveraineté et se sont retrouvés gouvernés dans le cadre de modèles qui n’étaient pas les leurs, ont payé un très lourd tribut lors de la conquête expansionniste de l’ouest.
(Voir également Géopolitique; La guerre de Sécession et le Canada; La ruée vers l’or de la rivière Fraser et la création de la Colombie‑Britannique.)