Dramatiques à la Télévision Québécoise, Les
Aux origines de la télévision, les productions dramatiques occupent une part importante de la programmation et se diversifient en divers genres: téléthéâtres, dramatiques pour enfants et jeunes adultes, téléromans, téléséries comiques et policières.Téléthéâtres (1952-1994)
Les origines de la télévision (1952-1960)
Dès l'ouverture de CBFT, en août 1952, on diffuse des téléthéâtres de 30 minutes pour permettre aux auteurs et réalisateurs de se familiariser avec l'écriture propre à ce média différent de la radio. Les premières œuvres de Pierre Pétel, Joseph Schull, Marcel Dubé, Félix Leclerc, Guy Dufresne, Jean Lazare, Claude Jutras, Odette Coupal, Fernand Doré, sont jouées en alternance avec le théâtre international dans quelques programmes dont Théâtre Addison (1952-53) qui diffuse plusieurs pièces de Félix Leclerc et la série Corridor sans issue (1953) qui propose des adaptations québécoises de dramatiques à suspense. Le Téléthéâtre de Radio-Canada qui débute en 1954 tout comme les programmes Théâtre des Étoiles et Théâtre chez soi, Contes gaspésiens qui proposent trois œuvres d'Éloi de Grandmont, font connaître des créations d'auteurs québécois. Au cours des années 1950 et 1960, la programmation comprend des drames psychologiques ou policiers, des peintures de moeurs, des comédies fantaisistes ou satiriques, des tragi-comédies, du théâtre de boulevard. Des réalisateurs éminents, dont plusieurs venus de la radio, expérimentent à cette occasion les possibilités de la télévision: parmi eux, Florent Forget et Georges Groulx, Paul Leduc, Jean Faucher, Jean-Paul Fugère, Paul Blouin, Jean Dumas, Claude Désorcy, Jean Léonard, Fernand Quirion, René Verne, Jean Boisvert, Louis Bédard, Bruno Paradis, qui ont marqué cette production du téléthéâtre et développé un style spécifique. Il faut souligner aussi l'importance des comédiens et comédiennes dans cette réussite exceptionnelle des téléthéâtres, de même que le travail de collaboration de certains auteurs avec leur réalisateur.
Les programmes des années 1950-60, particulièrement Le Téléthéâtre de Radio-Canada ont créé une habitude d'écoute qui s'est consolidée avec Théâtre d'été, de 1954 à 1958, et qui se poursuit avec En Première (1958-59) et Première (1959-60). On y découvre alors les œuvres de Louis Morisset, Anne Du Coudray, Eugène Cloutier, Paul Legendre. Le Théâtre populaire (1956-58) présente des adaptations mais aussi des œuvres originales de Louis Pelland, Yves Thériault, Adèle Lauzon, André Laurendeau, Éloi de Grandmont, Bertrand Vac, Lise Lavallée. Les auteurs venus de la radio font leur preuve à la télévision. Sont inscrits comme référence pour alimenter les séries Quatuor (1955-1959) et Trio (1960), Robert Choquette, Jean Desprez, Françoise Loranger, Charlotte Savary, Yves Thériault. Ces séries, réalisées en grande partie par Paul Blouin, Jean Faucher et Florent Forget, confirment ces auteurs radiophoniques dans leur carrière à la télévision. Ainsi, dans ces deux séries, Robert Choquette, Maurice Gagnon, Françoise Loranger, Anne du Coudray, Eugène Cloutier élaborent des œuvres fondées sur des situations diverses inspirées de drames conjugaux, d'intrigues policières, de profil de personnages comme types ou de groupes sociaux se prêtant à une peinture humoristiques.
Séries Dramatiques Pour La Jeunesse (1952-2007)
Les émissions pour enfants (1952-2000)
En même temps que les téléthéâtres, on crée dès 1952, des séries dramatiques conçues pour les enfants, qui ont innové tant par leurs thèmes, leurs personnages originaux et fantaisistes que par le jeu des comédiens et comédiennes. On compte plus d'une centaine de programmes pour enfants et adolescents, entre 1952 et 2006. Plusieurs ont fait leur marque dans la mémoire des spectateurs. Ainsi, à CBFT, les premiers programmes créent la tradition : Pépinot et Capucine (1952), Pépinot (1953-75) de Réginald Boisvert, La Boite à surprises (1956-72) avec Pierre Thériault, Bobino (1957-85) de Michel Cailloux, avec Guy Sanche, Paule Bayard et Christine Lamer. Ces émissions ont joint la technique de la marionnette à la mise en scène théâtrale, et le personnage principal a parfois le rôle d'animateur, inscrivant le théâtre dans le téléthéâtre par son jeu interactif avec les marionnettes. La Souris verte (1964-76) de Marie Racine avec Louisette Dussault, Fanfreluche (1968-71) de Kim Yaroshevskaya, Sol et Gobelet (1968-75) de Luc Durand et Marc Favreau, sont davantage inspirés du théâtre, explorant diverses situations propres à la dramatisation d'événements. Les Oraliens (1969-1972), Minute Moumoute! (1973-75), La Boîte à lettres (1975-78), Une fenêtre dans ma tête (1977-79), L'Ingénieux don Quichotte (1979-81) de Raymond Plante, L'Évangile en papier 1975-76) et La Bible en papier (1976-77) d'Henriette Major et Claude Lafortune, se présentent comme structure mixte d'apprentissage et de réflexion critique, orientés par un animateur dynamique qui interpelle sans cesse son jeune auditoire, ou encore les jeunes personnages de la fiction mis en présence dans diverses situations. À Télé-Québec, Passe-Partout (1977-87 et 1994-97) explore aussi des situations propres à solliciter l'imaginaire des jeunes enfants et à créer une littérature dramatique fantaisiste et très originale avec la comédienne Marie Eyckel et les personnages Passe-Montagne et Passe-Carreau incarnés par Claire Pimparé et Jacques L'Heureux. À TVA, le programme Capitaine Bonhomme (1962-1967) invite les jeunes à la découverte du monde par le voyage, tout comme auparavant L'Île au Trésor (1954-57), à CBFT, avec Michel Noël qui jouait le rôle du Capitaine Hublot dans un scénario de Bernard Letremble. L'Île au Trésor « c'était l'histoire imaginaire d'un équipage qui voyageait à bord d'un bateau d'explorateur, Chocoslavie ».
Téléromans et Téléséries (1953-1980)
Les genres téléromanesques (1953-1970)
Le téléroman se construit par la mise en scène de plusieurs intrigues qui se développent simultanément et alimentent un récit ouvert à de nombreuses possibilités d'invention au jour le jour. La multiplicité des personnages favorise une diversité de situations dramatiques et une peinture de mœurs de divers milieux sociaux qui servent de contexte à l'action. La télésérie est conçue comme structure narrative le plus souvent définie dans sa continuité thématique avant que ne commence le tournage, et elle s'élabore sur une durée limitée d'épisodes. Les intrigues sont plus concentrées et font appel à un nombre de personnages restreints. Les séries de sketches comiques présentent les mêmes personnages dans des espaces déterminés où se déploie le comique de situations. Chaque épisode est clos sur lui-même et la continuité vient de la permanence des principaux personnages à chaque épisode. Il faut noter que les personnages sont conçus le plus souvent comme des types sociaux, dont la caricature et les dialogues humoristiques sont les moteurs du comique tout autant que les situations dramatiques mêmes.
Séries dramatiques et téléromans pour la jeunesse
À la fin des années 1950, CBFT met à sa programmation des émissions pour adolescents. On y trouve Jeunes visages (1959-1961) d'Alec Pelletier, Le Professeur Calculus (1960-1962) de Roger Garand, Rue de l'Anse (1963-1971) de Guy Fournier et Jovette Bernier, Avec le temps (1975-77) des champs d'exploration d'un savoir et d'une vision du monde moderne et fantaisiste. Ces programmes veulent développer les connaissances tout en divertissant. Entre 1990 et 2005, Watatatow de Michel Berthiaume et Michel Tardy, tente de représenter la vie des jeunes adultes et leurs contacts avec le monde urbain et adulte. C'est aussi un ensemble de situations de la vie quotidienne de ces jeunes étudiants ou travailleurs, amoureux en quête de mieux vivre entre eux et socialement que 4 et demi... propose, dans des textes de Sylvie Lussier et Pierre Poirier, écrits entre 1994 et 2001, avec des reprises en 2006-2007. Chambres en ville (1989-1996) dans un synopsis de Fanie Gingras et un scénario de Sylvie Payette met aussi en scène des jeunes vivant en pension et qui évoluent avec leurs problèmes et leurs désirs, autour d'un personnage adulte qui leur vient en aide soit comme confident, soit comme autorité pour démêler les situations difficiles. Ces deux dernières séries, par la continuité narrative des intrigues et les structures dramatiques qui les spécifient sont des téléromans à part entière écrits avec soin. Plusieurs ont même obtenu des prix. Ils s'adressent à de jeunes adultes en quête d'identité et qui veulent prendre en main leur avenir selon des modèles socio-culturels actuels.
Une nouvelle génération d'auteurs québécois (1960-1980)
Au cours des années 1960 et 1970, le téléthéâtre connaît une large expansion dans les programmes tels que Théâtre du dimanche (1960-62), Scénario (1960-61), qui revient en 1970-71, Jeudi-théâtre (1962-63), Théâtre d'une heure (1963-66) et particulièrement le programme Les Beaux dimanches (1966-2004) qui diffuse pendant une quarantaine d'années, en alternance, des concerts et du téléthéâtre québécois et international. Ce cadre de production joue un rôle essentiel pour la promotion du théâtre auprès du grand public, fasciné par les œuvres proposées en soirée le dimanche. Claude Léveillée compose pour cette série dominicale le thème musical et écrit sept comédies musicales qui y seront produites: Doux temps des amours (1964), Il est une saison (1965), Ne ratez pas l'espion (1966), Elle tournera la terre (1967), On n'aime qu'une fois (1967), L'Arche de Noé (1968) et Posters (1968). On se souvient aussi que Les Beaux dimanches est le titre choisi par Marcel Dubé, en 1973, pour l'un de ses téléthéâtres célèbres. Dès cette époque, la collaboration des réalisateurs et des auteurs est marquante. Ainsi en est-il avec Louis-Georges Carrier et les auteurs Marcel Dubé, Hubert Aquin, Claude Jasmin. De même, avec le réalisateur Jean-Paul Fugère et Guy Dufresne, avec Paul Blouin et les auteurs Pierre Perrault, Marcel Dubé ou Louise Maheu-Forcier.
Pour sa part, Louis-Georges Carrier innove dans la réalisation des pièces de Marcel Dubé, revisitées dans une série de téléthéâtres qui seront diffusés entre 1968 et 1974, dans le cadre du programme Le Monde de Marcel Dubé (1968-69), à CBFT. Ce programme met en lumière les drames amoureux et les situations conflictuelles des personnages de la bourgeoisie. Ainsi se retrouvent Médée, Virginie, Pauvre amour, Au retour des oies blanches, La Cellule, Entre midi et soir, et en 1974, Il est une saison, dans le plus pur style de l'auteur et du réalisateur. De même, les connivences esthétiques de l'écrivain Hubert Aquin et du réalisateur Louis-Georges Carrier se manifestent dans la production de téléthéâtres, entre 1959 et 1972. Plus tragique est le traitement des œuvres d'Aquin, d'une originalité inédite, telles Le Choix des armes (1959), Faux bond (1969), Table tournante (1968), Vingt-quatre heures de trop (1970), Double sens (1972), qui relèvent aussi d'une écriture de plus en plus influencée par la postmodernité. Louis-Georges Carrier réalise aussi les grandes œuvres de Jacques Languirand, Hamlet (1956) et Les Grands départs (1957), et de Françoise Loranger, Un cri qui vient de loin (1965) et Encore cinq minutes (1971).
Plusieurs autres réalisateurs, dont Florent Forget, Jean-Paul Fugère, et Paul Blouin, ont travaillé à la réalisation de quelque trente téléthéâtres de Marcel Dubé, des téléthéâtres d'André Langevin, La Neige en octobre (1968), réalisé par Jean Faucher, et Les Semelles de vent (1972), par Paul Blouin qui réalise aussi Une maison...un jour (1970) de Françoise Loranger. On se souviendra de Zone (1953), Florence (1957), Un simple soldat (1957), Bilan (1960), Le Temps des lilas (1962), Octobre (1976), de Marcel Dubé, d'abord joués sur scène, et qui sont parmi les plus caractéristiques de l'art de cet auteur. Au cours de cette période des années 1960-70, la production est d'une grande inventivité. On y retrouve les principaux auteurs dramatiques qui deviendront célèbres par l'un ou l'autre aspect de leur oeuvre : Hubert Aquin, Marie-Claire Blais, Pierre Dagenais, Michel Faure, Jean Filiatrault, Maurice Gagnon, Madeleine Gagnon, Claude Jasmin, Françoise Loranger, André Laurendeau, Jacques Languirand, Louise Maheu-Forcier, Louis Pelland, Pierre Perreault, Jean-Robert Rémillard, Yves Thériault, Michel Tremblay.
Téléthéâtres, téléfilms : de nouvelles écritures et de nouveaux thèmes (1980-1994)
Le début des années 80 voit la technique du téléfilm transformer le téléthéâtre dans son écriture. Les réalisateurs chevronnés, Paul Blouin, Jean Faucher, Jean-Paul Fugère, André Bousquet, Yves Laforce, pour ne nommer que ceux-ci, ne manquent pas d'en faire un instrument de production efficace qui permet de déborder le cadre des studios pour travailler dans d'autres espaces et parfois dans d'autres régions du monde. Plusieurs de ces productions marquent une date dans l'histoire du téléthéâtre, tant par leur grande qualité esthétique que par l'intérêt de la technique du téléfilm utilisé. De la production des années 80, on retiendra quelques noms : Jacques Languirand, notamment Les Violons de l'automne (1980), Marcel Dubé, Bilan (1980), Michel Tremblay, Demain matin , Montréal m'attend (1980), Les Hauts et les bas de la vie d'une diva (1984) et Le Vrai monde (1993), Roch Carrier, La Céleste bicyclette (1987). A cette époque, la télévision présente des oeuvres déjà jouées sur scène et élargit le corpus à son public de téléspectateurs. Les femmes ont aussi leur place dans cette programmation. Notons les oeuvres Antoine et Sébastien (1981) de Françoise Dumoulin-Tessier, celles d'Antonine Maillet, Gapi (1983) et Evangéline deusse (1985), de Marie Laberge, Eva et Evelyne (1983) et Oublier (1992). Les importantes dramatiques de Louise Maheux-Forcier Arioso (1982), Le Piano rouge (1985), Un Parc en automne (1985), mettent en scène diverses situations amoureuses dans des contextes d'une modernité et d'une liberté propres au début des années 80 et dans un style admirable. Les thèmes de la vieillesse et de la mélancolie amoureuse y côtoient le lesbianisme et l'éternel triangle amoureux.
Les Gens de la ville (1980), de Monique Proulx, et Fermer l'oeil de la nuit (1981), de Francine Ruel, proposent des univers totalement différents où collectivité et couples évoluent selon des modalités dramatiques tantôt revendicatrices, tantôt poétiques. Dans Encore un peu (1982) de Serge Mercier, et La Chose la plus douce au monde ou les Passeuses (1982) de Pierre Morency, s'inscrit aussi la thématique du vieillissement mis en opposition avec les thèmes du plaisir et de la mort. Terre des jeux (1985), de Jean-Marie Lelièvre met en scène une Amérindienne attachée aux traditions ancestrales et révèle toute la poésie d'une vision du monde unique à conserver comme patrimoine. Jacques Poulin dans Les Grandes marées (1981), Robert Gurik dans Api (1981) Robert Gurik et Suzanne Aubry dans Comment acheter son patron (1987), Raymond Plante dans Poussière d'automne (1989), ouvrent à des aspects socioculturels ou politiques, mais aussi au questionnement face à la difficulté de vivre l'amour, la vie scientifique, et la différence identitaire dans un monde de plus en plus éclaté et postmoderne.
Durant les années 1990, le téléthéâtre s'enrichit des productions scéniques telles La Charge de l'orignal épormyable (1992) de Claude Gauvreau, Le Dortoir (1992) de la troupe Carbone 14 et Plaques tectoniques (1993) de Robert Lepage, représentatifs du théâtre d'avant-garde des années 80-90 porté de la scène à la télévision. Cette ouverture à la production théâtrale sur scène, transmodalisée par la caméra à la télévision, n'est pas nouvelle, mais elle permet un contact du grand public avec des formes théâtrales inédites, qui autrement demeureraient le fait d'un public averti. Au cours de cette période, plusieurs téléthéâtres se font déjà porteurs des images d'une acculturation mondiale propre aux classes aisées, images auxquelles des touches québécoises donnent son ancrage, surtout par l'expression linguistique et le champ référentiel social. La figure de l'étranger y est aussi configurée de façon nouvelle. La menace et la méfiance sont remplacées par une vision d'échanges et de collaboration entre les pays. Le plan commercial sert d'isotopie pour révéler que la compétence québécoise est reconnue mondialement. Le téléthéâtre Court circuit (1983) de Guy Dufresne met en évidence ces nouveaux rapports entre diverses ethnies (des Japonais, Allemands, Américains et Français) à l'occasion de rencontres entre hommes d'affaires québécois. Les figures les plus fréquemment présentées sont celles des ethnies les plus prospères au Québec où se côtoient Américains immigrés, Allemands ou Autrichiens, Français et Juifs. La plupart de ces personnages ont acquis une relative capacité de participation à la vie économique, mais demeurent encore en marge sur le plan socio-culturel.
Le thème des voyages à l'étranger est lié à l'exploration de nouveaux espaces et du loisir que les techniques de tournage rendent possible dans les téléthéâtres des années 80. L'exotisme est lieu de rêve, espace de liberté et de plaisir. Il manifeste un besoin de rompre avec l'idéologie de survie, avec le rigorisme moral, avec la pauvreté et l'isolement d'un certain Québec d'avant-guerre plus que d'avant la Révolution tranquille. Ainsi l'ailleurs géographique est signe d'affranchissement et même de transgression, puisque tout devient possible et permis hors des frontières de l'espace culturel québécois, même l'homosexualité. L'univers des îles est particulièrement propice à ces expériences : Haïti et les îles Vierges servent de décor à quelques tournages dont celui d'Arioso et de La Chose la plus douce du monde ou les Passeuses. Ces espaces géographiques suggérés sont souvent donnés comme lieux symboliques où le soi trouve son identité, alors que, dans les périodes antérieures, le voyage de fiction était lié à un devoir national (la guerre) ou à des obligations professionnelles et culturelles (études à Paris, travail à l'ONU, à New York). Cette configuration qui fait se conjoindre l'espace étranger et l'identité québécoise renouvelée est possible grâce à la nouvelle situation socio-économique du Québec.
Après 1985, de moins en moins de téléthéâtres se retrouvent dans la programmation de la SRC. On présente quatre à cinq oeuvres par année, dont plusieurs sont plus filmiques que théâtrales. La période de 1987 à 1992 marque donc un temps de désaffection de la SRC pour le genre théâtral. En 1988, la direction du Service des dramatiques propose qu'on réduise à deux par année les téléthéâtres, en vue de satisfaire minimalement aux demandes d'émissions culturelles exigées par le CRTC. Dès lors, le reste de la programmation culturelle sera surtout axé sur les documentaires. On comprend, par l'ampleur de la programmation des téléromans et des feuilletons depuis les années 1980, qu'ils ont pris le pas sur le téléthéâtre. Si les restrictions budgétaires sont en partie la cause de la nouvelle politique de réduction des téléthéâtres, la désaffection du grand public pour les émissions de théâtre y est, dit-on, pour quelque chose. Mais il faudrait revoir les cotes d'écoute de ce temps pour en confirmer la pertinence. À la fin des années 1990, la production des dramatiques en tant que téléthéâtres est disparue de la programmation. Il ne reste que les téléromans, quelques séries, drames ou comédies, et leurs dérivés.
Écriture et conditions de production
Dès les débuts du téléroman, se créent un langage télévisuel et un art de l'image qui se consolident et se diversifient en même temps que les technologies se développent avec les caméras légères et les facilités de montage à l'arrivée du numérique. Aux origines du téléroman, l'élaboration des scènes se fait en tenant compte d'un ensemble d'éléments visuels et de dialogues conçus selon les modèles du théâtre sur scène. Le dialogue entre personnages est plus substantiel et argumenté, les déplacements des personnages sont limités et saisis dans un espace restreint, parce que le tournage est fait pour la diffusion en direct et avec de lourdes caméras. Après les années 1970, les jeux de caméras et la production des plans sont plus complexes (plongée, contre-plongée, panoramique, très gros plans, etc), le mouvement des personnages dans l'espace est plus facile à filmer et plus varié. En comparant le type de tournage et de fabrication des scènes des Belles histoires des pays d'en haut avec Lance et compte, Virginie, Les Hauts et les bas de Sophie Paquin ou Rumeurs, on saisit mieux le chemin qui a été fait quant à la structuration de l'image, au jeu des personnages et au style des productions de téléromans et de téléséries. À notre époque, seuls les téléromans historiques, diffusés à compter des années 1975, conservent le souci de dialogues bien ficelés et fondés sur des arguments bien structurés. L'apport de la numérisation à l'écriture téléfilmique des téléromans en a modifié l'écriture et a favorisé l'émergence de divers styles marqués par la postmodernité, particulièrement au tournant du 21e siècle.
Quelques caractéristiques sont propres à la production entre 1953 et 1989. On note que : 1. L'écriture théâtrale et le jeu des comédiens sont manifestement hérités, dès les débuts, du théâtre sur scène. Le développement des dialogues et de l'action dramatique permet l'élaboration des thèmes et la compréhension du contexte. Le mouvement des personnages est limité dans l'espace à cause du peu de mobilité des caméras. 2. La mise en valeur du décor (intérieur et extérieur) par les plans d'ensemble est aussi importante que l'usage des gros plans et plans moyens, ce qui permet une description du cadre spatio-temporel où évoluent les personnages selon les situations. 3. Après les années 1960, l'action des personnages est saisie dans un ensemble d'images qui privilégient le plan moyen et le gros plan, plus cinématographiques. 4. Le traitement accéléré des plans et des séquences, depuis les années 1980, est à l'opposé de l'écriture du téléroman des quinze premières années, où le jeu repose sur les gestes ou les mimiques pour exprimer les sentiments. 5. Le découpage des séquences a une fonction déterminante, celle d'accélérer le déroulement des images et, en conséquence, de transformer la valeur des courtes scènes en les multipliant au rythme de trois à cinq minutes chacune, ce qui crée un rythme rapide et souvent l'illusion de l'action dramatique.
En ce qui concerne ces nouvelles écritures et techniques qui datent de la fin des années 1980, les auteurs/réalisateurs en appliquent les formes particulièrement dans la structure du dialogue. On remplace les conversations de type argumentatif entre les personnages par des répliques rapides, purement informatives et qui n'ont plus aucun style littéraire (comme dans les vidéos-clips) mais qui affirment le personnage comme sujet central de l'image. La fonction démonstrative ou argumentative du discours est réduite, souvent presque nulle, et les réparties servent le plus souvent à traduire des émotions vives mais passagères, à moins qu'elles ne deviennent récurrentes et obsessives pour marquer un trait de caractère du personnage.
Les téléromans des origines dans la suite de la radio (1953-1980)
Les premiers téléromans diffusés entre 1953 et 1960 présentent des images d'une société en transition : vie urbaine ouvrière dans La Famille Plouffe (1953-59) et En haut de la pente douce (1959-61) de Roger Lemelin, petite bourgeoisie dans La Pension Velder (1957-61) de Robert Choquette, monde paysan dans le Survenant (1954-56) de Germaine Guèvremont et dans Les Belles histoires des pays d'en haut (1956-69) de Claude-Henri Grignon. Ces premiers téléromans ont leur source dans les romans québécois publiés au cours des années 1930 et 2940 et dans leur transmodalisation radiophonique. Toutefois dans la programmation, dès 1954 et jusqu'aux années 1980, se dessine l'émergence d'un monde ancré dans la modernité et en quête d'autonomie économique et de diversité culturelle. Ainsi au cours d'une ou deux décennies, on passe de la vision d'une société traditionnelle en quête de modernisation à celle de divers milieux transformés par les valeurs modernes dont le succès économique est un des signes propres à l'univers québécois surtout régional et urbain. Cap-aux-sorciers (1955) de Guy Dufresne et Sous le Signe du lion (1961) de Françoise Loranger en sont exemplaires, par le succès des entreprises et la force des personnages. Même dans la longue production du téléroman de Claude-Henri Grignon, Les Belles histoires des pays d'en haut (1956-69 et dans ses reprises), la culture québécoise du temps et la quête de bien-être et d'enrichissement des colons dépassent le seul portrait de l'avare, Séraphin, ce qui donne à cette œuvre une portée socio-historique remarquable. En effet, bien que le contexte spatial et la peinture des mœurs mettent en relief le côté traditionnel des modes de vie au tournant du 20e Grignon établit un lien très fort entre l'univers régional et le monde urbain qui infiltre peu à peu le milieu laurentien tout comme l'information journalistique qui circule. Ainsi malgré un certain statisme, le milieu imaginaire de Séraphin ne cesse d'évoluer et de s'imposer par une quête d'affirmation collective.
Le Survenant (1954-56) et Marie Didace (1958) de Germaine Guèvremont, situent leur action dans une période plus proche des années 1930 et mettent en scène des personnages ruraux, construits sur une opposition de figures masculines en interaction avec de sympathiques personnages de jeunes femmes. Ces personnages typiques d'une société rurale bien enracinée diffèrent de ceux qu'ont évoqués certains critiques littéraires, considérant que les personnages masculins dans notre littérature québécoise étaient des faibles et que la mère en était la figure dominante.
Figures masculines
Sans doute que le père déjà âgé de La Famille Plouffe a favorisé cette perception du père fragile, mais on ne saurait considérer que les fils de la famille Plouffe sont des faibles. L'image de l'homme absent a été créée dans La Pension Velder du fait que Madame Velder est veuve et que son fils Alexis, jeune adulte influençable, se cherche. Toutefois, ces représentations ont sans cesse leur double contradictoire, car Didace, Survenant, J.B. Latour, l'avocat Marcel Latour et Philidor Papineau sont tout autre chose que des homme faibles. Dans Le Survenant, la figure du Père Didace, cultivateur énergique et plutôt dominateur, et Survenant, le « grand dieu des routes » qui n'a peur de rien et dont la force séduit les jeunes femmes, sont des personnages forts, des hommes vaillants mis en contraste avec Amable, le fils impuissant qui désespère Didace par son incapacité. Dans Cap-aux-sorciers (1955), Guy Dufresne met en scène un vaillant marin, le capitaine Aubert, navigateur sur le grand fleuve du Québec et qui n'a rien d'un incapable. Dans plusieurs autres œuvres, la figure du père énergique et souvent dominateur est marquante, particulièrement dans Je vous ai tant aimé (1958) de Jovette Bernier, dans Joie de Vivre (1959) de Jean Desprez, et plus encore dans Sous le Signe du lion (1961) où le père, Jérémie Martin, est un puissant homme d'affaires montréalais, riche et dictatorial pour tout le monde. Dans Mont-Joye (1970-75) de Réginald Boisvert, la figure du père est celle d'un riche propriétaire de la région de l'Estrie, qui réussit dans ses affaires, mais moins dans ses relations avec ses enfants. Ainsi la distance intergénérationnelle est significative dans ces œuvres et elle devient encore plus structurante de situations inédites dans la suite de la production téléromanesque et sérielle.
Rôles féminins
Les rôles féminins dans les premières productions du téléroman s'inscrivent dans de fortes personnalités, comme chez Madame Plouffe, chez Joséphine Velder et Mina Latour dans La Pension Velder, chez la jeune maîtresse d'école Solange Chardonnel dans Je vous ai tant aimé. De même Fabienne, la petite fille du Capitaine Aubert dans Cap-aux-Sorciers, sortant de l'épreuve de la séduction amoureuse d'un Américain trouve dans l'affirmation de son identité québécoise son autonomie et une force nouvelle (cf Renée Legris, Cap-aux-Sorciers, D.O.L.Q., tome III, 1940-1959, Fides, 1982). Dans les téléromans des années 1960-80, émergent des femmes de caractère, soucieuses de prendre leurs responsabilités familiales et sociales. Ainsi dans Côte de Sable, Septième nord, De 9 à 5 et Rue des Pignons, les femmes ont une personnalité marquée quel que soit le milieu social dans lequel elles opèrent. Les initiatives sociales, commerciales, professionnelles et même amoureuses de ces femmes s'imposent tout autant dans les personnages créés par Lise Payette que par Gilles Richer, Guy Fournier, Jean Lajeunesse et Janette Bertrand, après 1982. Les téléromans traduisent leur volonté de liberté dans des formes nouvelles de relations interpersonnelles, entre autres en ce qui concerne l'égalité des femmes et des hommes revendiquée par les personnages féminins. Plusieurs personnages, à ce titre, s'autorisent de plus en plus d'une vie sexuelle libre. Comme les maris qui trompent leur femme sans remords, les femmes ont des amants et des partenaires et remettent en question la fidélité du couple traditionnel, sans autre questionnement. Ainsi en est-il dans La Bonne aventure, Des dames de cœur, Un signe de feu, de Lise Payette. La vie bourgeoise et mondaine de ces femmes mariées et insatisfaites, critiques de leur situation maritale et en quête d'aventures, devient un nouveau modèle socio-culturel, amplifié dans ses conséquences par les ruptures de couples et les figures masculines obsédées par l'aventure sexuelle.
Les milieux sociaux
Le téléroman n'a jamais cessé de s'écrire à partir de situations conflictuelles, de quêtes amoureuses, de trahisons, de ruptures et de réconciliations, de quêtes de pouvoir et de domination sociale, d'échecs et de réussites. Ainsi, au cours des années 1960 et 1970, les téléromans explorent les images de la société bourgeoise et populaire des milieux urbains et ruraux, en mettant l'accent sur les conflits posés à l'occasion de l'affirmation de certains personnages qui se démarquent de leur milieu par leur quête amoureuse ou professionnelle. Ainsi en est-il dans Septième Nord de Guy Dufresne et du milieu régional de la Côte Nord (1963-67), de La Petite Patrie de Claude Jasmin (1974-76) et du milieu montréalais, de Rue des Pignons (1966-77), Terre humaine (1978-84) et Le Grand remous (1988-91) de Mia Riddez-Morisset, où la peinture d'un monde urbain peu favorisé et de ses valeurs sociales d'entraide alterne avec celle du monde rural, de ses mœurs et de ses espoirs de progrès. De même Mont-Joye (1970-75) de Réginald Boisvert nous conduit en Estrie alors que Le Paradis terrestre (1969-72) de Jean Filiatrault, Quinze ans plus tard (1976) de Robert Choquette, La Vie promise de Marcel Dubé (1983-85), Monsieur le Ministre (1982-86) de Michèle Bazin et Solange Chaput, proposent une nouvelle vision de la société urbaine et de la bourgeoisie riche. Toute cette panoplie d'intrigues manifeste comment les nouveaux désirs des personnages de cette époque s'expriment et comment se structurent les nouvelles valeurs des groupes sociaux investigués qui modifient la société québécoise.
Les téléséries et les sketches comiques (1960-1980)
C'est à compter du milieu des années 1960 que sont inaugurées les séries comiques dont le succès est incontestable avec Moi et l'autre (1966), Symphorien (1970), La P'tite semaine (1973-76), Y a pas de problème (1975-77), Du tac au tac (1976-82), Vaut mieux en rire (1982-85), Chez Denise (1979-80), Jamais deux sans toi (1977-80), Dominique (1977-79), Paul, Marie et les enfants (1985). Ces œuvres s'appuient sur des situations du quotidien, inédites par le traitement qui en est fait, et qui mettent en relief les différences de vision du monde entre classes sociales et couples, entre parents et enfants, entre employeurs et employés, ou en confrontant des types sociaux témoins des diverses réalités socio-culturelles des milieux québécois. Ainsi en est-il dans l'humour de Quelle famille (1969) de Janette Bertrand et Jean Lajeunesse qui opposent parents et enfants sur l'éducation, sur les façons de vivre de l'époque des années 60, sur l'autorité parentale à respecter, mais dans une relation de dialogue et de discussions où l'affection rassemble tous et chacun. Dans Symphorien (1970), Chez Denise (1979-80), La P'tite Semaine de Michel Faure (1973-76), les personnages déclenchent les rapports de solidarité ou de conflit par leur vision de la vie sociale, leurs rivalités ou leurs désirs d'être autres. Tantôt une vieille fille caricaturale, très bien caractérisée par le jeu de Janine Sutto, et un concierge Symphorien, joué par Gilles Latulippe, s'affrontent ou se concertent dans leur quotidien avec leur voisin dans l'immeuble. Tantôt c'est un quartier autour d'un commerce dont les personnages se retrouvent autour d'un bar et de la propriétaire Denise. Tantôt c'est la peinture d'un personnage bougon, Lucien Lajoie, pilier des scènes où s'élabore le comique de situations, qui s'étale sur des rapports de contradiction avec les autres personnages, et d'autoritarisme avec ses enfants. Ces séries de sketches comiques pratiqués à CBFT et TVA ne cessent de conquérir un auditoire qui trouve son sommet avec le comique caricatural de La Petite Vie (1994, 1996) où « popa » et « moman » sont entourés de personnages caricaturaux, et aussi de vidange dont il faut tenter de se débarrasser. Les cotes d'écoute de cette série de sketches comiques briseront tous les records.