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Lord Dufferin

Frederick Temple Hamilton-Temple-Blackwood, 1er marquis de Dufferin et Ava, gouverneur général du Canada de 1872 à 1878 (né le 21 juin 1826 à Florence, en Italie; décédé le 12 février 1902 à Bangor, en Irlande du Nord, au Royaume-Uni). Lord Dufferin et sa femme, lady Dufferin, ont été le premier couple vice-royal depuis la Confédération à occuper un rôle important dans la société canadienne, menant des tournées dans chacune des provinces et rencontrant des Canadiens de tous horizons. Lord Dufferin a créé plusieurs précédents d’importance pour tous les futurs gouverneurs généraux, notamment en voyageant énormément et en offrant des bourses universitaires et sportives aux citoyens du Canada.
Marquis de Dufferin
Gouverneur général du Canada de 1872 \u00e0 1878

Enfance et vie de famille

Lord Dufferin est le fils unique de Price Blackwood, 4e baron de Dufferin et Clandeboye, et de Helen Sheridan. Les Blackwood sont une famille anglo-irlandaise influente au Parlement qui possède de nombreuses terres dans ce que l’on appelle aujourd’hui l’Irlande du Nord. En 1800, ils obtiennent une pairie irlandaise grâce à leur soutien de l’Acte d’Union entre la Grande-Bretagne et l’Irlande. Le grand-père de Helen, Richard Brinsley Sheridan, est un dramaturge, satiriste, poète et membre du parlement pendant plus de 32 ans, tandis que sa sœur, Caroline Norton, est une militante pour les droits des femmes qui a lutté pour l’adoption de la Married Women’s Property Act de 1870 (la « Loi sur les biens des femmes mariées »).

En 1862, lord Dufferin épouse une cousine lointaine, Hariot Rowan-Hamilton du château Killyleagh (1843-1936), résolvant ce faisant des disputes foncières entre les deux familles. Le couple jouit d’une union heureuse et lady Dufferin devient elle-même une figure populaire au Canada pendant la carrière diplomatique de son mari. Les Dufferin ont une grande famille, et plus de sept enfants survivent au-delà de la petite enfance : Helen, Archibald, Terence, Hermione, Basil, Victoria et Frederick.

Lady Dufferin (née Hariot Georgina Rowan Hamilton)
24-29 février 1876

Formation, débuts en politique et premier livre

Lord Dufferin étudie au Eton College, puis à l’Université Oxford, où il ne reste que deux ans sans obtenir de diplôme. De 1849 à 1852 et de 1854 à 1858, il est gentilhomme de service auprès de la reine Victoria, qui le trouve « beaucoup trop charmant et captivant ». Lord Dufferin entame sa carrière politique en 1850 au sein de la Chambre des Lords. En 1855, il commence aussi sa carrière diplomatique en agissant à titre d’attaché pour le premier ministre britannique John Russell à la Conférence de Vienne qui vise à négocier la fin de la guerre de Crimée. En 1856, il publie un populaire livre de voyage, Letters from High Latitudes (Un voyage en yacht : lettres de hautes latitudes), portant sur ses aventures en Islande et en Norvège. L’ouvrage est d’ailleurs réédité au Canada lorsque lord Dufferin devient gouverneur général. En 1860-1861, il siège comme délégué britannique à une commission internationale sommée de résoudre la guerre civile dans ce que l’on appelle aujourd’hui le Liban et la Syrie. Ces mandats sont suivis de postes de secrétaire adjoint en Inde et au War Office, le ministère de la Défense britannique.

Gouverneur général du Canada

En 1872, lord Dufferin devient gouverneur général du Canada, et part sur le Nouveau Continent avec sa femme lady Dufferin et deux de ses cinq enfants, Hermione et Basil. Avant de les rejoindre, les trois aînés – Helen, Archibald et Terence – restent un temps en Grande-Bretagne afin « d’apprendre un peu de français ». Victoria et Frederick, quant à eux, naissent alors que lord Dufferin effectue son mandat au Canada. La nomination de lord Dufferin comme gouverneur général arrive à point : il croule en effet sous des dettes contractées pour l’entretien de ses terres irlandaises.

Au moment où lord Dufferin devient gouverneur général du Canada, le Times de Londres décrit le poste comme un mélange entre les fonctions de roi constitutionnel, de premier ministre, de secrétaire d’État et de gentilhomme campagnard et hospitalier. Lord Dufferin manifeste un vif intérêt pour le Canada et ses politiques, désignant la nation avec les mots « notre Canada » et « mon gouvernement » dans ses discours et publications. Dans une lettre adressée en 1874 au secrétaire colonial, le duc de Carnarvon, lord Dufferin explique son mandat de gouverneur général en ces mots : « Au sein du Conseil privé, j’ai autant le droit d’exprimer mon opinion que n’importe lequel de mes ministres et ceux-ci, dans les dossiers du moment, ne peuvent s’attendre à ce que je suive leurs conseils simplement parce qu’ils me les prodiguent; leurs conseils doivent appeler à ma compréhension et à ma conscience. »

Lord Dufferin voue tant d’admiration à sir John A. Macdonald, le premier politicienà défendre le mandat de premier ministre du Canada, qu’il le compare au premier ministre britannique Benjamin Disraeli; il lui demande même d’être le parrain de son fils cadet Frederick, né à Ottawa en 1875. John A. Macdonald, toutefois, ne partage pas la même affection pour lord Dufferin, dont il reconnaît « les manières plaisantes » et apprécie les compliments à son égard « à la fois en personne et dans ses lettres », mais qu’il trouve « bien trop effusif à [son] goût ». Malgré tout, les deux politiciens développent une relation de travail étroite. Le soutien de Dufferin envers John A. Macdonald s’étiole toutefois au cours du scandale du Pacifique de 1873, pendant lequel le gouverneur général avoue en privé que la chute du premier ministre est « presque une nécessité pour la moralité publique du pays ».

Le gouverneur général réserve également des critiques acerbes au successeur de John A. Macdonald, Alexander Mackenzie, et à son gouvernement libéral, qu’il trouve « tout simplement insignifiants », et il intervient pour renforcer les politiques de John A. Macdonald, notamment en ce qui concerne le chemin de fer du Canadien Pacifique. Dans la caricature « Le maçon et le piqueur », publiée dans le Canadian Illustrated News en 1875, on montre d’ailleurs Alexander Mackenzie et lord Dufferin en train de construire un mur de briques sur lesquelles sont écrits les mots « Nord-Ouest », « Quais de Québec » et « Chemins de fer », pour le compte du ministère des Colonies, appelé le « patron ». Alexander Mackenzie s’oppose fermement à ce que lord Dufferin communique en privé avec le ministère des Colonies et le premier ministre de la Colombie-Britannique, lui rappelant au passage que le Canada n’est plus une colonie de la Couronne, mais bien un Dominion autodéterminé.

Les priorités de lord Dufferin, à titre de gouverneur général, sont de renforcer la relation entre le Canada et la Grande-Bretagne et d’empêcher les Américains d’empiéter sur le territoire canadien. Il encourage donc le ministère des Colonies britanniques à donner plus de pouvoir aux Canadiens dans les dossiers qui les concernent, car il craint que « le cri de l’indépendance ne sonne une génération trop tôt, ce qui aurait pour conséquence directe et immédiate l’annexion du Canada [par les États-Unis] ».

Rideau Hall, honneurs et voyages au Canada

Lord Dufferin est le troisième gouverneur général du Canada depuis la Confédération. Si ses prédécesseurs, le vicomte Monck et lord Lisgar, se sont plutôt faits discrets, lord Dufferin, lui, transforme Rideau Hall en un centre social dont il devient le maître. Lord Dufferin met en branle une foule de rénovations à Rideau Hall, dont l’aménagement de la salle de bal et de la salle de la tente, dans lesquels le gouverneur général et lady Dufferin peuvent tenir des bals, des concerts et autres performances théâtrales devant plus de mille invités. Les rénovations incluent également la construction d’une patinoire, d’une piste de curling et de toboggan et d’un parc ouvert aux membres du public qui sont « convenablement vêtus ».

Marquis de Dufferin
Gouverneur général du Canada de 1872 \u00e0 1878

Lord Dufferin est le premier gouverneur général à se rendre dans toutes les provinces canadiennes au cours de son mandat, y compris dans la nouvelle province du Manitoba. Lord et lady Dufferin sont reconnus pour avoir rencontré des Canadiens de tous les milieux de vie, autant dans des foires agricoles que dans des réceptions officielles. D’un point de vue politique, la visite de 1874 en Colombie-Britannique est non négligeable pour lord Dufferin, parce qu’elle lui permet de manifester son soutien envers l’initiative vedette de John A. Macdonald, soit le chemin de fer du Canadien Pacifique. Il déclare en effet qu’il espère voyager par train la prochaine fois qu’il aura l’occasion de visiter la Colombie-Britannique.

Lady Dufferin et Lord Dufferin
Portraits individuels de Harriot Georgina, comtesse de Dufferin (mai 1878) et Lord Dufferin, gouverneur général du Canada (février 1876).

Le gouverneur général est également le premier à créer des médailles soulignant l’excellence scolaire et sportive des Canadiens. En 1873, il crée les Médailles académiques du Gouverneur général pour les élèves du secondaire et les étudiants du niveau postsecondaire, ainsi que le trophée de curling et le prix du tir d’adresse du gouverneur général.

Le Québec et la rébellion de la rivière Rouge

Lord Dufferin intervient à la suite de la rébellion de la rivière Rouge de 1869-1870 afin d’éviter l’exécution d’Ambroise Lépine, un chef militaire métis et allié de Louis Riel condamné à mort pour son rôle dans le meurtre du colon irlandais protestant Thomas Scott. Même si Thomas Scott est le fils d’un de ses locataires en Irlande du Nord, lord Dufferin réduit la peine d’Ambroise Lépine à deux ans d’emprisonnement en réponse aux supplications des Canadiens français au Québec, qui sympathisent avec les Métis.

Lord Dufferin voit le Québec comme une partie intégrante du succès du Canada à titre de dominion indépendant; à ce titre, il déclare que le Canada français « a joué un rôle plus qu’important contre l’américanisation de la population canadienne anglophone ». Il admire également l’architecture historique de la ville de Québec et s’oppose à la démolition de ses murs et fortifications en récoltant des fonds pour leur rénovation auprès du conseil de ville, de la province et de la reine Victoria. Il est aussi le premier gouverneur général à choisir la Citadelle comme résidence estivale et à organiser un événement social régulier à Québec.

Popularité au Canada

À la fin de son mandat de gouverneur général, lord Dufferin a très bonne réputation au Canada, bien qu’il ne s’attire pas que des compliments des politiciens et journalistes canadiens, qui trouvent qu’il s’immisce dans les affaires politiques du pays et agit un peu trop de son propre chef. Lord Dufferin contrôle son image de façon minutieuse, participant à la rédaction de deux biographies commémorant son départ du Canada.

Fin de vie

Après avoir quitté le Canada, lord Dufferin poursuit sa carrière diplomatique en tant qu’ambassadeur de la Russie (de 1879 à 1881) et de l’Empire ottoman (de 1881 à 1884). Il réalise également un rêve en devenant le vice-roi d’Inde, où il supervise l’annexion de la Birmanie. En 1888, il devient marquis de Dufferin et duc d’Ava (des titres issus de l’Irlande du Nord et de la Birmanie). Au cours des années 1890, il accomplit son dernier mandat diplomatique comme ambassadeur britannique en France. Dans les dernières années de sa vie, Dufferin s’empêtre dans un scandale financier à la tête de la société London and Globe; bien qu’il ignore tout des escroqueries commises par son entreprise auprès des investisseurs (y compris lui-même), il est quand même blâmé, en tant que président, pour les dommages financiers occasionnés. En 1902, il décède des suites d’un cancer de l’estomac.

Patrimoine

L’île Dufferin, en Colombie-Britannique, est nommée en l’honneur du politicien, tout comme les rues Dufferin à Toronto et à Québec. Les fortifications dans la ville de Québec que lord Dufferin a sauvées de la démolition, y compris la terrasse Dufferin qui surplombe le fleuve Saint-Laurent, sont un site du patrimoine mondial des Nations Unies. En tant que gouverneur général, lord Dufferin crée une foule de précédents, notamment en transformant Rideau Hall en centre social, en voyageant énormément dans toutes les provinces canadiennes et en reconnaissant l’excellence scolaire et sportive des Canadiens.