L’initiative en question du gouvernement britannique est lancée à la suite d’un constat fait par un obscur magistrat de police de Londres, Robert Chambers. Le 14 avril 1826, celui-ci déclare devant un comité du Parlement britannique que « Londres pullule d’enfants » et il recommande que les enfants en surnombre soient envoyés dans les colonies britanniques. Sa recommandation se concrétise et prend le nom, plusieurs décennies plus tard, de child emigration scheme (programme d’émigration d’enfants).
La mise en œuvre du projet est vivement encouragée par des réformateurs évangéliques comme Annie Macpherson, bénévole dans le quartier East End de Londres. Celle-ci prône le placement à long terme d’enfants pauvres comme apprentis dans des fermes et des foyers, jusqu’à l’âge de 18 ans. Des organismes de charité tels les Barnardo’s Homes et l’Armée du Salut viennent grossir les rangs de ce mouvement qui compte bientôt 50 organisations. C’est ainsi qu’entre 1869 et 1939, plus de 80 000 enfants (des chercheurs parlent même de 100 000), pour la plupart âgés de 9 à 14 ans (certains ayant à peine 3 ans), quittent la Grande-Bretagne pour le Canada. Aucun n’est accompagné de ses parents. Ces enfants sont considérés comme des orphelins, et ce, bien que les deux tiers d’entre eux aient encore un ou des parents vivants, mais simplement trop pauvres pour veiller à leurs soins et à leur éducation.
De fait, à l’époque, il n’est pas rare que des enfants de familles démunies soient placés dans des institutions ou des foyers pour enfants abandonnés. L’histoire des enfants engagés à long terme comme apprentis remonte quant à elle à l’époque élisabéthaine et notamment à la « loi des pauvres » (Poor Law) promulguée en 1601. Cette loi, qui oblige les paroisses à soutenir les indigents et à financer les mesures à cet effet par le prélèvement d’une taxe, distingue les pauvres en les classant dans différentes catégories. Ainsi, les « bons pauvres » sont les gens malades, âgés ou incapables de travailler et les « mauvais pauvres » sont ceux jugés aptes au travail mais ne voulant pas travailler. Au début du XIXe siècle, le chômage très élevé entraîne la création d’une troisième catégorie, celle des « pauvres chômeurs ».
Par conséquent, lorsque des réformateurs et des organismes facilitent la migration des enfants à destination des colonies britanniques, ils sont considérés comme des visionnaires. Ils ouvrent des refuges à Londres et à Liverpool pour accueillir les enfants pauvres et abandonnés, qui partent ensuite par navire pour le Canada avec la promesse d’une vie meilleure leur offrant un foyer, une famille, de l’air pur et une alimentation saine. Une fois arrivés à destination, ils sont envoyés dans des maisons d’accueil, puis chez des fermiers des régions rurales. On espère ainsi accroître leurs chances de vivre en bonne santé physique et morale.
Toutefois, l’expérience de beaucoup de ces enfants diffère des espoirs des réformateurs. Si certains trouvent bel et bien un foyer et une famille, d’autres ne retrouvent au Canada que pauvreté et misère. Alors que plusieurs sont bien traités, beaucoup connaissent des conditions de vie et de travail difficiles et, dans certains cas, sont même victimes de violence psychologique, physique ou sexuelle. Le manque de suivi des organismes de charité et des autorités gouvernementales après l’arrivée des enfants dans les maisons d’accueil ou les familles, et aussi le fait qu’ils sont considérés comme des ouvriers agricoles ou des domestiques bon marché, contribue certainement à ces abus. Exploités jusqu’à leur majorité, bon nombre des petits immigrés ne reçoivent pas ou presque pas d’éducation. En 1925, la sensibilisation croissante à cette situation aboutit à l’interdiction de l’immigration d’enfants « non accompagnés » de moins de 14 ans.
Malgré les épreuves qu’ils ont dû traverser, ces quelque 100 000 enfants que l’on appelle aujourd’hui les petits immigrés britanniques (British Home Children) ont établi des racines au Canada et ont contribué au développement social, économique et politique du pays. Plusieurs ont servi au sein de l’armée canadienne lors de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui, plus de 10 % des Canadiens seraient leurs descendants.
Bien que leur contribution à la société canadienne soit de plus en plus reconnue et que leur histoire fasse partie du programme d’enseignement de la province de l’Ontario, les petits immigrés britanniques encore vivants et leurs descendants n’ont toujours pas reçu d’excuses officielles du gouvernement canadien, contrairement à ce qui a été fait en Australie (2009) et au Royaume-Uni (2010).
Néanmoins, le 16 février 2017, une motion d’excuses présentée par un député du Bloc québécois et endossée par les trois autres partis à la Chambre des communes a été adoptée par le Parlement canadien. On peut donc souhaiter que ce ne soit qu’une question de mois avant que le gouvernement reconnaisse aussi bien l’injustice et les abus dont les petits immigrés britanniques ont été victimes que l’importance de leur apport à la société canadienne.
Voir aussi Enfants maltraités; Travail des enfants; Violence familiale; Adoption