Article

Féminismes autochtones au Canada

À la base, les féminismes autochtones examinent la façon dont le genre et les conceptions du genre influencent la vie des peuples autochtones, historiquement et aujourd’hui. Les approches féministes autochtones remettent en question les stéréotypes sur les peuples autochtones, le genre et la sexualité, ainsi que la manière dont ils sont présentés en politique, dans la société et dans les médias. Les féminismes autochtones offrent des cadres d’apprentissage et de compréhension de ces questions et d’autres enjeux sans égard au sexe ou à l’origine ethnique d’une personne.

Militantes FFADA
Dans le cadre de la Journée internationale des femmes, des militantes manifestent afin d’attirer l’attention des médias sur la disparation et l’assassinat des femmes et des filles autochtones au Canada (8 mars 2013, Montréal, Québec). (avec la permission de blogocram/Flickr CC BY-NC 2.0).

Principes fondamentaux

Les féminismes autochtones peuvent être compris comme une idéologie ou un concept, comme une identité et comme une expression. Il n’y a toutefois pas d’expression unique du féminisme autochtone et, par conséquent, le terme est souvent utilisé au pluriel. De manière générale, les féminismes autochtones abordent les nombreuses façons dont la sexualité, le genre et les normes de genre (c’est-à-dire les attentes sur la manière d’agir ou de se comporter en fonction des perceptions de genre) influencent la vie des peuples autochtones.

Même si le genre, le sexe et la sexualité sont au cœur des féminismes autochtones, ils recoupent aussi d’autres aspects de l’identité des gens, notamment l’identité autochtone, l’âge, les capacités et la classe sociale. Les universitaires soulignent donc que les féminismes autochtones doivent tenir compte des multiples aspects de l’identité, et que le fait de se concentrer sur un aspect ou deux engendre nécessairement une compréhension incomplète et imparfaite.

Les féminismes autochtones se préoccupent également de la façon dont le genre est ancré dans des relations de pouvoir plus larges, et du fait que le sexisme, le racisme et le colonialisme sont des structures d’oppression qui agissent ensemble. Les spécialistes Maile Arvin (d’ascendance kanaka maoli), Eve Tuck (unangax) et Angie Morrill (klamath), ainsi que de nombreuses autres féministes autochtones, soutiennent que « le colonialisme de peuplement a été et demeure un processus genré ». Autrement dit, les répercussions du colonialisme de peuplement ciblent les gens différemment et sont vécues différemment selon le sexe. Il est reconnu, par exemple, que les femmes autochtones connaissent en moyenne des taux plus élevés de violence à caractère sexiste et ont des revenus et une représentation politique plus faibles que les hommes autochtones et les femmes non autochtones. Trop souvent, ces réalités sont ignorées par les communautés coloniales et parfois même dans certaines communautés autochtones.

Les féminismes autochtones poussent les gens à reconnaître, à comprendre et à combattre ces oppressions. Comme l’explique Kim TallBear (sisseton wahpeton oyate), les féminismes autochtones rassemblent des voix marginalisées pour démanteler les hiérarchies et « créer de bonnes relations » les unes avec les autres. Par conséquent, la souveraineté, les cadres et les modes de savoir des Autochtones sont tous au cœur de ces féminismes. Les réalités et les répercussions de l’hétéropatriarcat et du colonialisme de peuplement, les expériences et le pouvoir d’action des deux sexes, ainsi que les relations éthiques par rapport aux autres et aux territoires que nous occupons, en sont également d’autres aspects importants.

Cela étant dit, les féminismes autochtones ne doivent pas être compris uniquement comme une réponse à l’imposition de normes patriarcales dans les sociétés autochtones (comme la Loi sur les Indiens et les pensionnats). En réalité, les féminismes autochtones s’efforcent également de favoriser le bien-être et les relations positives entre les sexes dans les communautés autochtones.

Approches et différentes expressions

Pauline Johnson
Pauline Johnson est surtout connue pour sa poésie qui fait l'éloge de son héritage culturel autochtone.
Buffy Sainte-Marie
(photo par Lois Siegel)
Maria Campbell
(photo de Thomas King)
Lee Maracle
27 mars, 2009 (rmajzels/Wikimedia CC)

Avec des définitions et des significations aussi variées, il n’est pas surprenant qu’il existe des approches diverses (mais interdépendantes) au sein des féminismes autochtones. Depuis la fin du 19e siècle, des femmes autochtones comme Pauline Johnson (mohawk), Beth Brant (mohawk), Maria Campbell (métis), Buffy Sainte-Marie (crie) et Louise Bernice Halfe (crie) ont utilisé la poésie, la musique, la littérature et la performance pour souligner la résilience et l’autonomie des femmes autochtones. Ces artistes sont généralement considérées comme des voix importantes (bien que pas toujours intentionnelles) dans la promotion des féminismes autochtones.

Même s’ils sont de plus en plus présents dans les conversations communautaires et universitaires, les féminismes autochtones ne sont pas nouveaux. Le concept des féminismes autochtones, cependant, a pris du galon vers la fin des années 1990, après que la célèbre auteure et critique Lee Maracle (stó:lō) a parlé de la place des femmes autochtones dans les grands mouvements féministes canadiens. Elle explique : « Intégrer le “mouvement des femmes blanches” ne m’intéresse pas. J’aurais l’air un peu ridicule, assise dans leur salon, à leur dire : “Faisons ceci et faisons cela.” » Comme l’ont souligné Mishuana Goeman (sénéca) et Jennifer Nez Denetdale (diné), « le féminisme [lui-même] est depuis longtemps considéré comme relevant de l’autorité blanche… il est longtemps considéré une invention européenne ou, pire encore, comme une imposition coloniale qui vise à détruire les modes de vie tribaux. » Lee Maracle et d’autres ont donc cherché à s’éloigner des « féminismes blancs » et à adopter des principes qui s’accordent aux réalités autochtones.

Depuis la fin des années 2000, il existe deux tendances principales dans la recherche féministe autochtone : les travaux qui abordent les féminismes autochtones comme un concept théorique et une identité; et les travaux qui appliquent les féminismes autochtones comme une catégorie d’analyse appliquée à un certain nombre de domaines et de sujets.

De nombreux chercheurs de la première tendance sont aux prises avec la relation complexe entre les femmes autochtones et le féminisme. Leurs travaux portent sur les idéaux et les pratiques féministes, ainsi que sur les expressions du féminisme dans l’ art et la culture, le droit, la politique, l’activisme et la vie quotidienne. Les conversations transnationales sur les féminismes autochtones mettent en lumière les luttes communes ainsi que les divergences dans la manière dont les femmes autochtones du monde entier se perçoivent elles-mêmes et perçoivent les idéologies féministes. De façon possiblement plus importante encore, ces ouvrages proposent des définitions aux féminismes autochtones que d’autres peuvent adopter et critiquer et auxquelles elles peuvent contribuer librement.

Parallèlement à ces travaux (et parfois même au sein de ceux-ci), il existe des approches des féminismes autochtones qui étendent la théorie féministe à de nouveaux domaines d’analyse. Par exemple, les féminismes autochtones participent aux conversations universitaires et communautaires sur la violence faite aux femmes autochtones, sur la souveraineté et sur les enjeux de la communauté LGBTQ2. L’exploration de ces sujets permet de mieux comprendre les féminismes autochtones qui ne se préoccupent pas uniquement des sexualités et des genres normatifs.

Application

Les féminismes autochtones soulèvent des questions critiques sur le genre en relation avec la politique, le droit, l’histoire, l’économie, l’art, la culture, la santé et les relations sociales. Ils jouent donc un rôle vital dans la lutte contre l’oppression raciste, sexiste et coloniale. Les discussions qu’ils soulèvent engendrent des collectifs et des mouvements d’importance tels que Idle No More, ainsi que des organisations communautaires comme le Native Youth Sexual Health Network. Les perspectives féministes autochtones sont également au cœur des discussions sur les questions sociopolitiques contemporaines, comme les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées (FFADA), car elles soulèvent des préoccupations importantes non seulement au sujet de cette violence, mais aussi du rôle que diverses personnes et communautés ont à jouer dans la lutte contre ce problème. De plus, ils contestent l’absence d’implication préalable du gouvernement dans les cas de FFADA. Même si la diversité des expériences et des identités influe sur les points de vue et les utilisations des féminismes autochtones, ils demeurent des cadres de compréhension utiles pour tous.

Guide pédagogique perspectives autochtones

Collection des peuples autochtones